Corto Maltese, la cour secrète des arcanes

Le héros d’Hugo Pratt est plutôt bien servi, ma foi !

Aventurier d’exception, mystérieux marin de terres plus très fermes, il sillonne mais jamais ne récolte autre chose qu’ennuis, amours déçus et du vent dans le charme d’un voyage intérieur toujours plus lointain. Tel est Corto Maltese, héros ne pouvant révérer qu’un seul créateur, le dessinateur et scénariste italien Hugo Pratt disparu en 95, qui a fait barouder, entre légendes et canevas historique, ce marin apatride, des pirates Caraïbes à la Venise fasciste en passant par les monts helvètes.

Ici : 1918. La Chine, ses sectes, ses bandits ; la Russie, ses soldats perdus, la Grande Révolution et un train d’or impérial. Corto embarqué, jamais embrigadé, à la recherche d’un trésor volé mille fois, convoité plus encore et de l’aventure pour elle-même, ce feulement de la mort.

Tsaristes, communistes, pan-asiates, qui aura quoi ? Au milieu des tempêtes et tournants, Corto et son famélique et maléfique compagnon Raspoutine rencontrent des femmes à poigne, des armes de poing et des arguments politiques de poids.

Les noms des protagonistes (ne déflorerons pas) libéreront le lourd parfum du scénario : Shangaï Li, l’amiral Kolchak, Von Ungern-Steinberg, le général Tcheng. Les méchants sont nombreux et (tous) réussis. Les traits rendent hommage au maître.

Brume asiatique comme de l’opium, blizzard le long des voies surhumainement sises au milieu de nulle part. Le décor est posé et non superposé. Une réussite. Les hommes et encore plus les quelques femmes sont joliment croqués. Silhouettes furtives ou lourdement harnachées et des visages esquissés mais pas à l’état d’ébauche. Gagné.

Pour la couleur, pas de cette grosse palette à l’ordi-mini. Des camaïeux de beige, marron, gris magnifient la fluidité de l’image ou les saccades de l’action, hommage au fin aquarelliste Pratt. L’animation montre à quel point l’on doit faire confiance à la renommée de ces artisans français du dessin. Subtilité du statique et vivacité du mouvement.

Seule ombre au tableau et elle s’avère de taille, écrasante. La voix du héros a été confiée à Richard Berry qui jouant trop blanc ou trop romantique ne rend en rien l’indomptabilité, le cynisme et parfois la passivité et la douceur du personnage. Mal campé par ce miscasting absolu, le film perd une grande partie de son attrait. On peut aussi reprocher les logorrhées pseudo-poétiques qui semblent plaquées comme sur un cahier des charges pour Télérama. Quant aux scènes d’action, on nous précise qu’elles ont été raccourcies au montage. Quel dommage !

Ici Ellipsanime, producteur hexagonal, joue son va-tout et l’on espère pour la survie du dessin animé à la française que ce Corto en Sibérie [1] saura convaincre vieux fans de la BD et jeunes amateurs de manga.

Yeux écarquillés, oreilles malheureusement plissées laissez-vous glisser sur les pentes des accidents de l’histoire et de ses protagonistes à la recherche de leurs âmes, arme à la main, goût amer à la bouche en cabas marin et pelisse kaki. Corto ou tard, d’aventures vous y viendrez et mourrez. Plaisir ou ennui. Seul les rêves guident vers la réalité nouvelle. Révolutionnaire et identitaire.