La légende du fond du lac
Le 17 juillet 2023
Production européenne s’inspirant d’un classique de littérature chinoise, long-métrage d’animation en 3D aux décors en 2D, film pour adolescents reposant sur la nostalgie du wu xia pian, 108 Rois-démons pèche par ses trop grandes ambitions et peine à convaincre un public un tant soit peu exigeant.
- Réalisateur : Pascal Morelli
- Genre : Aventures, Animation, Film pour enfants, Teen movie, Film pour ou sur la famille
- Nationalité : Français, Belge, Luxembourgeois
- Distributeur : Gebeka Films
- Durée : 1h44mn
- Date de sortie : 21 janvier 2015
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Empire de Chine. XIIe siècle. Les Rois-Démons terrorisent tout le pays. Pour vaincre ces monstres, il faudrait avoir le courage de cent tigres, la force de mille buffles, la ruse d’autant de serpents... et une chance de pendu. Le jeune prince Duan n’a que ses illusions romanesques et de l’embonpoint. Zhang-le-Parfait n’a que son bâton de moine et tout un tas de proverbes incompréhensibles. La petite mendiante Pei Pei n’a que son bagout et son grand appétit. Mais surtout, le prince Duan, le vieux moine et la petite mendiante, ne savaient pas qu’il était impossible de vaincre les Rois-Démons. Alors ils l’ont fait !
- Copyright : Gebeka Films
Critique : Après avoir, avec Corto Maltese : La Cour secrète des arcanes (2002), transposé à l’écran un album de la célèbre série de bandes dessinées de Hugo Pratt, Pascal Morelli s’est proposé d’adapter, dans 108 Rois-démons, l’un des quatre romans classiques de la littérature chinoise, Au bord de l’eau : palimpseste élaboré au fil des siècles et d’abord transmis par la tradition orale, ce récit-fleuve, couché pour la première fois sur le papier au XIVe siècle par Shi Nai’an avec l’aide de Luo Guangzhong, n’est rien moins qu’un monument de l’épopée.
Le réalisateur et son coscénariste, Jean Pêcheux, n’en retiennent cependant que des éléments saillants pour imaginer un synopsis qui prend sa source lors de l’assassinat de l’empereur par l’antagoniste principal d’Au bord de l’eau, le maréchal Gao : de fait, le film narre le destin d’un personnage imaginé pour l’occasion, l’héritier légitime du trône, un garçon capricieux, enrobé et empoté, qui échappe à la mort grâce à un vieux moine aveugle, et rejoint, à son apparente disparition, les bandits d’honneur du roman.
- Copyright : Gebeka Films
Condenser en une heure et demie les mille sept cents pages d’Au bord de l’eau aurait certes relevé de la gageure, et l’on aurait beau jeu de reprocher à Pascal Morelli d’avoir considérablement modifié son matériau d’origine pour en faire, comme la plupart des films occidentaux d’inspiration orientalisante, un récit d’initiation. Les cent-huit brigands, qui ne sont d’ailleurs plus que dix, évoquent néanmoins davantage Les 47 Rōnins, tels qu’ils ont été adaptés à l’écran par Kenzi Mizoguchi, ou les Seven Swords de Tsui Hark et, si la manière d’accumuler des anecdotes n’est pas sans rappeler le roman de Shi Nai’an, le fil narratif semble parfois trop ténu au regard de la richesse du matériau d’origine.
Mais surtout, pourquoi le scénario s’égare-t-il dans des intrigues secondaires sentimentales ou des séquences de bivouac durant lesquelles les personnages palabrent avec une gouaille quelque peu décalée ? Et pourquoi ces mêmes bandits semblent-ils tout ignorer des realia de l’univers wu xia dans lequel ils évoluent ? Pourquoi, enfin, ne pas avoir pris la peine d’indiquer aux doubleurs une prononciation, si ce n’est rigoureuse, du moins approchante et cohérente, des noms chinois qu’il leur fallait utiliser ?
- Copyright : Gebeka Films
Sur le plan visuel, 108 Rois-démons a manifestement été conçu comme un catalogue de paysages exotiques, réunissant ce qu’il faut de plans de nature et de temples pour évoquer la Chine du XIIe siècle et faire évoluer une galerie de personnages typiques. De fait, Pascal Morelli, par ailleurs superviseur d’effets visuels, s’acquitte d’une direction artistique certes soignée, mais qui s’avère plombée par des mouvements de caméra saccadés, mais aussi et surtout par son choix de mêler la 2D et la 3D.
De fait, malgré de très beaux décors peints, dont la poésie n’est pas sans rappeler la peinture sur rouleau, le rendu de l’animation, manifestement conçue grâce au procédé de la motion capture, est pour le moins déconcertant : il arrive trop souvent que l’on se demande si les personnages, dont les mouvements évoquent la pantomime, sont des images de synthèse, des marionnettes ou bien des acteurs dont le faciès a été remplacé par un masque numérique. D’autant que les visages obtenus manquent de l’expressivité qui aurait permis de les rendre amusants ou attachants. Ainsi, les défauts trop visibles de l’animation brisent régulièrement l’immersion dans le long-métrage.
- Copyright : Gebeka Films
Le scénario n’en reste pas moins ingénieux, Pascal Morelli mettant en scène la manière dont une mystification se retourne in fine contre son auteur : de fait, afin de légitimer son usurpation, le maréchal félon accuse des Rois-démons imaginaires de l’assassinat de l’empereur et se propose de protéger l’héritier des monstres qu’il a lui-même inventés et qui ne pourront pas, par conséquent, être vaincus.
Mais c’est sans compter la jeune Pei-pei, une petite mendiante aux talents de conteuse, qui alimente cette fable dans chaque lieu où elle se rend, d’abord au détriment, puis à l’avantage de la bande des brigands : on s’amuse ainsi à voir des anecdotes triviales, des affrontements sans toujours beaucoup de panache, se transmuer en hauts faits, une fois ceux-ci rapportés par l’enfant, puis par des ennemis penauds cherchant des excuses à leur déconfiture.
- Copyright : Gebeka Films
Cependant, alors que le spectateur attend légitiment que le long-métrage se referme sur un combat dantesque, le dénouement final se résume à un affrontement aussi poussif que confus, qui manque de la virtuosité et du souffle épique des productions du genre auxquels il prétend rendre hommage.
108 Rois-démons a manifestement été pensé à l’intention d’un public de néophytes, plutôt composé d’adolescents que de jeunes enfants qui risqueraient d’être dérangés par certaines situations et plaisanteries : les amateurs d’épopée médiévale chinoise préféreront, quoi qu’il en soit, la trilogie consacrée au roman par la Shaw Brothers dans les années 1970 et supervisée par le maître Chang Cheh.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.