Le 6 février 2021
Dans un Paris nocturne vidé par le premier confinement, Julien Goudichaud filme les nuits des plus pauvres. Saisissant.

- Réalisateur : Julien Goudichaud
- Genre : Court métrage
- Nationalité : Français
- Distributeur : Mon Ballon Productions
- Durée : 24'05
- Festival : Festival International du Court-Métrage de Clermont-Ferrand 2021

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Résumé : Printemps 2020. Dans un Paris vidé de sa population, de ses voitures, de son bruit, il reste encore une partie de la population française qui n’a pas d’autre choix que de se confiner dehors. Comment continuer à survivre alors que le monde entier s’est arrêté ?
Critique : Comme dans une dystopie, les grandes métropoles ont été figées par le premier confinement.
La caméra de Julien Goudichaud saisit la beauté irréelle et géométrique des grandes artères de la capitale française, vidée du flux de sa population, recouverte par une nuit déserte où clignotent les enseignes et fonctionnent les lampadaires. Des feux de signalisation semblent animés d’une existence absurde, posés là pour personne.
Cette ambiance irréelle accroît la visibilité des plus nécessiteux et rend leur solitude encore plus tragique. Pour tout dire, on ne voit qu’eux, souvent en maraude : un homme racle le fond des égouts dans une expédition qui tient de la spéléologie ; une femme à qui les Champs-Elysées semblent enfin appartenir explique comment elle en est arrivée là ; un autre SDF danse sur des deux pieds pour conjurer le froid ou se précipite vers les voitures, afin de quérir une obole convertible en cigarette et en "pensées d’amour", comme il le dit. Un autre exclu conserve dans sa boîte à bijoux des chaînes, des bagues, des boucles d’oreille qu’il donnera plutôt que de les revendre. En fait, il s’agit autant de s’occuper que de survivre. Les morsures de l’ennui valent hélas celle du froid qui attaque les corps.
Du haut de leur balcon parisien, d’hypocrites applaudisseurs de soignants sont renvoyés à leur tartufferie par les fanfaronnades d’un SDF, qui prend pour lui les compliments et engendre des réflexes certes moins humanistes : on ferme les vitres, on tire les rideaux pour cacher la vue.
Bien plus généreux en actes qu’en mains réchauffées par des battements compulsifs, chaque soir à vingt heures, un SDF à casquette n’a pas le butin égoïste. Il dépose les couverts dénichés dans les sous-sols de Paris, devant la porte d’un restaurant. On ne sait jamais, ça peut servir.
La caméra de Goudichaud, jamais intrusive, documente la vie de ces "confinés dehors", livrés à tous les dangers dont le coronavirus n’est qu’une des déclinaisons. Ces témoignages devraient révolter toute bonne conscience pourtant désireuse de ne laisser personne dormir dehors sous son mandat électif. Mais gageons que ces bonnes âmes se contenteront des derniers mots d’une dame au visage buriné par les épreuves : "Il faut que je me relève". Quand les plus démunis endossent la responsabilité d’une misère qu’ils subissent, les plus riches peuvent dormir sur leurs deux oreilles satisfaites.