Au pays des pulls angora et des dragons verts
Le 12 février 2016
Bach Films publie le coffret le plus complet à ce jour sur l’œuvre fauchée et abracadabrante du fameux Ed Wood. Faux raccords, dialogues abusifs, stock shots.... Redécouvrez les ficelles du roi du système D. Critique.
- Réalisateur : Edward D. Wood Jr.
- Acteurs : Béla Lugosi, Vampira, Lyle Talbot, Steve Reeves, Dolores Fuller
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Fantastique, Épouvante-horreur, Érotique
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Bac Films
- Durée : 700 mn
- Plus d'informations : Le site du distributeur
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Sortie DVD : le 28 décembre 2015
Bach Films publie le coffret le plus complet à ce jour sur l’œuvre fauchée et abracadabrante du fameux Ed Wood. Faux raccords, dialogues abusifs, stock shots incongrus, obsession pour les pulls angora et le monstrueux. Un style unique et jubilatoire auquel Tim Burton avait brillamment rendu hommage avec son film de 1994.
L’argument : Dix longs métrages, des courts très rares, interviews, documentaires, bandes annonces, making of et autres archives pour rendre hommage à l’étrange petit monde d’Edward D. Wood Jr. Un coffret soigné qui a valeur d’événement.
Notre avis : Si un premier coffret Ed Wood était paru en France en 2005, jamais un travail aussi complet n’a été fourni jusqu’à présent pour rassembler ses films sur un même support. Mis à part deux manques notables, notamment le pur produit d’hicksploitation, Shotgun Wedding (1963) scénarisé par Ed Wood et inspiré de films du genre hillbilly dans la lignée de Child Bride (1938), et Necromania (1971), un porno avec la star de l’époque René Bond, dix films ont été rassemblés ici, sept qu’Ed Wood a réalisés et trois qu’il a scénarisés. Mais comme souvent, Ed Wood ne s’est pas contenté que de la mise en scène ou de l’écriture, vu qu’il joue dans certains d’entre eux. Il peut aussi assurer le montage et la production.
Né en 1924 à Poughkeepsie dans l’état de New York, Edward D. Wood Jr. se passionne pour le cinéma très jeune. Pour son douzième anniversaire, sa famille lui offre sa première caméra et depuis, il n’a plus qu’une obsession : partir à Hollywood et y faire carrière. Il y déménagera à la fin des années 1940, après avoir notamment servi chez les Marines, époque où il se baladait déjà en dessous féminins ! C’est ce sujet du travestissement qui sera au centre de sa première œuvre majeure, Glen or Glenda (1953). L’année précédente, une rencontre fondamentale va amener cet enthousiaste à réaliser ses rêves, celle avec son idole de toujours : Bela Lugosi, l’interprète du fameux Dracula de Tod Browning et de tout un tas d’autres rôles similaires. Si Glen or Glenda pourra sembler catastrophique aux yeux de certains de par son amateurisme technique, ses séquences fauchées et ses remplissages aberrants, ce métrage n’en est pas moins le plus fort et le plus personnel du cinéaste. Tout ce qui caractérisera ses films à suivre est ici présent en une sorte de patchwork surréaliste touchant et naïf. On peut y voir des stock shots de circulations urbaines, de guerre et de buffles, des jeunes femmes en positions bondage, un Diable grotesque, une voix off expressive, un Bela théâtral s’emportant sur un dragon vert sur le pas de la porte qui mange les petits garçons, les queues de chiens et les gros escargots, incantations repris par des voix d’enfants... Et cela n’est qu’un petit échantillon de ce que l’on retrouve dans ce pseudo-documentaire qui élabore un discours sur la tolérance à travers deux cas d’hommes se livrant au travestissement. Autant le sujet était brûlant à cette époque et souvent traité dans les séries B pour drive-in, mais jamais une approche aussi singulière n’avait été gravée sur pellicule.
Toutes les autres œuvres du cinéaste vont alors n’être qu’un développement sur ce film fourre-tout dans lequel il a mis tant de son intimité (il joue avec sa propre compagne de l’époque, Dolores Fuller, leur vie intime), tout cela mêlé à sa passion pour les revues pulp et les genres populaires. Car quoi que l’on dise, Ed Wood avait la capacité ou l’effronterie de toucher à tout : horreur, western, fantastique, science-fiction, film de gangsters, sexploitation, mélodrame, films de délinquance juvénile ou de tueurs en série.... Et en parallèle à sa carrière cinématographique, il a écrit un nombre conséquent de romans et nouvelles. Mis à part Plan 9 from Outer Space (1959), qui demeure son film le plus connu et l’incontournable nanar que tous les fans de Bis ont vu une fois dans leur vie, le reste de sa production est bien plus obscur. Si le film de Tim Burton a fait beaucoup pour révéler ce fantasque artisan du septième art, de nombreuses œuvres ont été considérées comme perdues pendant des années (et certaines encore, comme The Undergraduate de 1972). Ce coffret nous permet de les découvrir pour la première fois, et si certaines présentent peu d’intérêt, on ne peut nier qu’il se trouve ici quelques pépites, notamment le court métrage Final Curtain, prévu pour être le pilote d’une série qui se serait intitulée Portraits of Terror, sorte de Quatrième Dimension avec quelques années d’avance. Dans ce film, nous voyons le fameux Duke Moore, acteur fétiche d’Ed Wood au physique pas si éloigné de celui de Russ Meyer, errer dans un théâtre après la fermeture. Des esprits invisibles se manifestent alors que le monologue intérieur rendu par une voix off mélodramatique nous fait pénétrer la psyché de ce comédien tourmenté. Les décors sont minimalistes, les éclairages expressionnistes, les objets et ombres prennent vie alors que le personnage finit par s’enfermer dans sa propre tombe. Ici, le monstrueux n’est pas exposé, et tout le talent poétique du cinéaste émerge. Certaines séquences seront d’ailleurs utilisées plus tard dans Night of the Ghouls mais dans une optique bien différente.
L’intérêt du coffret se situe donc bien dans ce travail d’enquête qu’a fourni Bach Films pour rassembler les chaînons manquants entre Glen or Glenda et Plan 9 from Outer Space. Apparaît alors tout un petit monde avec ses acteurs qui reviennent sans cesse : Bela Lugosi et Duke Moore, le fameux lieutenant Bradford bien sûr, mais aussi le lutteur suédois Tor Johnson (et son rôle de Lobo), Paul Marco (le flic stupide et peureux Kelton), Criswell (incapable de retenir ses lignes), etc. Tout un tas d’habitués qui donnent à ce coffret un air de série (Night of the Ghouls n’est-il pas la suite de La fiancée du monstre et ainsi de suite ?), d’où l’importance de regarder les DVDs dans l’ordre. Puis de temps en temps apparaissent des invités incongrus : l’athlétique Steeve Reeves avant qu’il ne devienne la star des péplums avec notamment Les travaux d’Hercule, Monica Gayle, bien connue des amateurs d’exploitation seventies (Southern Comforts, Switchblade Sisters...), Harry Keaton, le frère de Buster en personne, la sublime star télé Vampira et sa taille incroyablement fine, etc. Alors bien sûr, tous ces films sont mal joués, techniquement foireux, constamment en faux raccords, avec les coiffures des actrices qui changent d’un plan à l’autre (Orgy of the Dead), pourtant les scénarios décalés les rendent étrangement agréables à voir, souvent drôles ou inventifs. Forcément quand on n’a pas d’argent, il faut trouver des astuces, et à ce rayon là, Ed Wood était plutôt ingénieux. Et si un acteur meurt au bout de deux jours de tournage (Plan 9), hé bien on le remplace par une doublure qui gardera la main sur le visage tout du long, même si elle ne ressemble pas du tout à la star originale. Une seule chose compte, le film !
Sur tous ces films, on peut relever des constantes : un goût pour les freaks et les marginaux, une passion pour les stéréotypes du genre horrifique, une tendance à élargir les thèmes à des réflexions philosophico-sociales souvent abstraites et aussi la volonté de traiter de sujets tels que la délinquance juvénile et le travestissement, avec selon les films une approche tolérante humaniste (Glen or Glenda), plus moralisatrice (The Violent Years, The Sinister Urge) ou carrément surréaliste, comme dans La fiancée de la jungle où une jeune épouse doit faire le choix entre continuer une vie de couple normale ou rejoindre ses ancêtres, les gorilles. À la même époque, beaucoup d’autres cinéastes s’intéressaient à ces thèmes sensationnels pour nourrir les doubles programmes des drive-in, mais peu avaient la démesure d’Ed Wood et son sens de l’absurde (le dénouement final de The Sinister Urge). D’ailleurs, quand les films se rapprochent de séries B à peu près normales, ils sont moins intéressants. C’est bien la personnalité de Wood que l’on sent derrière la caméra qui rend ces OVNI si attachants, et, comme le dit très bien Guy Maddin, avec Ed Wood on perçoit le film en train de se faire sous nos yeux de manière artisanale, et c’est aussi un des intérêts à redécouvrir le cinéma d’Ed Wood.
Le coffret
Nous trouvons donc ici six DVDs bien remplis. Les films présents sont les suivants : Glen or Glenda, Jail Bait, La fiancée du monstre, The Violent Years, La fiancée de la jungle, Night of the Ghouls, Plan 9 from Outer Space, The Sinister Urge, Orgy of the Dead et Take it out in Trade. À ceci s’ajoutent des bandes annonces, les présentations de Stéphane Bourgouin, un making of de Orgy of the Dead, des courts (Crossroad Avenger, Final Curtain, The Sun is setting), une interview de Bela Lugosi au sortir de sa cure de désintoxication, un home movie d’anniversaire d’Ed Wood et aussi un documentaire où des cinéastes divers sont interviewés pendant l’Etrange Festival pour parler de l’œuvre d’Ed Wood, et on se surprend à voir qu’il a eu un impact aussi bien sur Marc Caro que Lucile Hadzihalilovic, Guy Maddin, Hideo Nakata ou encore Ben Wheatley. Tous les films sont en version originale sous-titrée. On trouve néanmoins une version française de La fiancée de la jungle, la qualité sonore est exécrable mais c’est tellement rare qu’on en profite !
Nous ne parlerons pas ici des intrigues de tous ces films car il faut les découvrir et se laisser porter par l’incongru d’une pieuvre géante carnivore qui ne bouge pas (La fiancée du monstre), d’un extraterrestre nommé Eros qui cherche à empêcher la Terre de découvrir la solaronite, bombe qui peut détruire l’univers (Plan 9), ou de musique flamenco sur un film de gangster qui vire à la vengeance chirurgicale (Jail Bait). Celle ci fut d’ailleurs empruntée au film Mesa of Lost Women de Herbert Tevos et le fameux Ron Ormond, qui mériterait lui aussi un coffret et un hommage pour avoir fait financer ses films par des congrégations baptistes (ce qu’a fait Ed Wood pour Plan 9). Puis au milieu de tout cela, des scènes dépeignent une violence plus réaliste : un jeune homme violé par un gang de filles dans The Violent Years, une fille abattue dans un parc, la poitrine offerte, dans The Sinister Urge ... Tout n’est pas que franc délire, et c’est ce qui fait de ce coffret un objet varié et enrichissant. Il est tout de même difficile de se coltiner le cinquième DVD, le film Take it on Trade (1970) étant composé que des rushes retrouvés avec musique additionnelle, et Orgy of the Dead (1965) étant une suite interminable de danses go go dans un cimetière, pseudo cérémonie funèbre où les goules sont obligées de danser en faisant du boob twirl directement inspiré des films de sexploitation de Russ Meyer mais aussi des films sexy italiens sur les numéros de cabaret qui cartonnaient cinq ans plus tôt. Les bizarreries et maladresses sont légion, du coup on ne s’étonne pas de voir des stock shots animaliers interminables mettre en parenthèse l’intrigue de La fiancée de la jungle, des champs/contre-champs jour/nuit jamais raccords dans l’introduction de Orgy of the Dead ou encore un certain John Carpenter crédité au générique de Night of the Ghouls.
Image et son
Comme précisé plus tôt, nous sommes là face à de la rareté et des films non restaurés en formats 4/3 ou 1/33, donc on trouve beaucoup de défauts sur les copies, des tâches sur la pellicule, des manques de contrastes et un son mono parasité par des craquements et du souffle. Malgré cela, la qualité visuelle de certaines de ces vieilles bobines est remarquable (Plan 9, Orgy of the Dead, Night of the Ghouls, etc). Au bout du compte, cela participe entièrement au charme, et on se prend même à écouter la version française presque inaudible de La fiancée de la jungle avec une certaine délectation. Le cinéma d’Ed Wood a un caractère lo fi tellement prononcé, il ne faut pas perdre cela non plus !
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