Le 22 octobre 2015
Une dernière journée avec Martin Scorsese, prix Lumière 2015.
- Réalisateur : Martin Scorsese
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Commencé lundi 12, le festival Lumière s’est achevé ce samedi avec avec la remise du prix à un Martin Scorsese ployant sous l’émotion, acclamé par des milliers de fans venus féliciter leur idole. En sus, comme chaque année, le festival a joué les prolongations le dimanche. L’occasion de voir d’autres films de Marty et de partir en visite dans le Japon d’après-guerre chez l’autre grand nom de cette édition 2015 : Akira Kurosawa, monstre sacré du cinéma nippon dont nous reparlerons prochainement dans nos colonnes. On regrette juste que les Lyonnais ne puissent bénéficier d’une rallonge plus conséquente afin de profiter encore un peu de ce moment si particulier devenu l’un des rendez-vous phares de la vie culturelle de la cité.
Pas de surprise majeure question programmation, la soirée de clôture s’est terminée par la projection d’un des films les plus emblématiques de Scorsese : Les Affranchis. Sauvage, boursouflé, décapant, les adjectifs manquent pour décrire les tribulations d’ Henry Hill, Jimmy Conway et Tommy DeVito, ces affranchis, ces durs à cuire rêvant de devenir ceux qui tirent les ficelles.« Autant que je me souvienne, j’ai toujours rêvé d’être gangster », clame haut et fort Ray Liotta dès le début du film. « La famille » et sa galerie de personnages psychopathiques et paranoïaques terrifie autant qu’elle ne fascine, jusqu’à un sentiment de jubilation que le spectateur a bien du mal à refréner. Cette vénération pour les truands, véritables avatars de nos pulsions primaires, fait office d’exutoire. Et c’est non sans une certaine délectation que l’on peut « apprécier » des scènes d’une violence inouïe comme le massacre d’un type à grand coups de couteau de boucher dans le coffre d’une voiture ou les accès de rage de Joe Pesci, dont la composition follement outrancière lui valut l’Oscar incontesté du meilleur second rôle masculin. Universel par sa construction chorale et sa voix-over omniprésente, bâton de dynamite prêt à exploser à la face du monde, fresque épique du gangstérisme brut et sans vergogne, Les Affranchis reste un objet hors-normes, souvent copié, jamais égalé. Une oeuvre majeure de son auteur qui servit de base, cinq ans après, à l’élaboration du non moins génial Casino.
Scorsese aime les cycles et ne cesse de parachever son œuvre tout en gardant l’essence libertaire de son cinéma. Au cœur : l’homme. Autour : la société et ses multiples ramifications. Scorsese s’attaque à l’arbre, et fait, à sa manière, son propre« Tree of life », inscrit dans la chair, l’âme et le sang. Et Dieu sait qu’il n’a pas fini de nous surprendre. Dieu, parlons en. Car le cinéma de Scorsese en est pleinement irrigué. Son dernier né, Silence, en salles prochainement après de multiples problèmes de tournage, viendra clore un triptyque « mystique » commencé par La Dernière Tentation du Christ et continué par Kundun. Très contesté à sa sortie, en particulier par les fondamentalistes religieux, La dernière tentation du Christ, adaptation du livre polémique de Níkos Kazantzákis, est l’un des grands films maudits du réalisateur (avec Gangs of New-York qu’il considère toujours comme un film inachevé) en raison de conditions de tournage dantesques et d’un sujet pour le moins « casse-gueule ».
Cette tentation de la vie terrestre, de l’humanité tendant les bras, de Jésus agonisant sur la croix, interroge non seulement sur la double nature du Christ mais permet surtout de le rendre accessible. C’est de cette nature duale que naît toute la tension dramatique du film : Jésus se bat contre lui-même, contre ses démons, mais ne peut devenir fils de Dieu et sauveur de l’humanité qu’à la condition de se détacher de ses contingences terrestres. Sans remettre en cause sa foi, Scorsese s’autorise un voyage intérieur qui navigue en eaux troubles. Entre paix et glaive, soif de justice, de fraternité, miracles et violence des châtiments, La dernière tentation du Christ ne cherche pas à ébranler les dogmes mais invite plutôt à se questionner sur son propre rapport à la foi. Qu’est-ce qu’être croyant et que peut-on comprendre des paraboles ? En vivant l’expérience de l’intérieur, par procuration, Scorsese propose au spectateur un véritable cheminement, plein de de doutes et d’incertitudes, et donne à un Christ croulant sous le poids et la misère du monde une véritable possibilité d’incarnation. Notons que le festival a tenu à projeter le film dans sa copie originale, soit non numérisée, les multiples scories accentuant une curieuse sensation d’authenticité.
Difficile de rapprocher Jésus de l’héroïne d’Alice n’est plus ici Et pourtant, la recherche de soi-même, de sa voie, de son destin, doublée d’une plongée dans les arcanes de la culpabilité constituent un tronc commun de l’œuvre scorsesienne. Film de femme, féministe et engagé, Alice n’est plus ici émeut par sa simplicité. Même si le film, aux accents très seventies et aux couleurs pastellées n ’est pas exempt d’un certain schématisme et a pas mal vieilli, il reste une référence du genre et une source d’inspiration certaine pour de nombreux réalisateurs. On pense notamment au Be Happy de Mike Leigh ou au Tamara Drewe de Stephen Frears. Fuite en avant pour retrouver ses racines, chemin semé d’embûches pour s’accomplir enfin et passer de la contemplation à l’action, nous assistons à la lente transformation d’une chenille en chrysalide. Scorsese offre à Ellen Burstyn (Oscar de la meilleure actrice en 1974) un rôle touchant de mère courage irradiant la pellicule de sa simple présence. Alice n’est plus ici, c’est la route, le déracinement, la volonté de s’en sortir dans une Amérique peuplée de marginaux plus ou moins sympathiques où l’on retrouve des acteurs fétiches du réalisateur comme Harvey Keitel ou Jodie Foster. Une certaine Amérique passée au crible par la caméra de Scorsese pour une comédie douce-amère aux multiples éclats qui ne cesse de tanguer entre détresse et joie de vivre contagieuse. Du rire aux larmes, des larmes au rire, maître Scorsese (comme l’a rebaptisé Thierry Frémaux) ne s’appesantit jamais longtemps sur les malheurs de son personnage principal et livre un portrait de femme haut en couleurs. Véritable bouffée d’air frais, une belle ode à la vie, ni plus ni moins.
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