Fais moi peur !
Le 3 février 2012
L’humour noir est roi dans ce brillant précurseur du film à sketchs fantastique qui réussit pourtant à installer un réel sentiment d’inquiétude.


- Réalisateur : Richard Oswald
- Acteurs : Bernhard Goetzke, Conrad Veidt, Anita Berber, Reinhold Schünzel
- Genre : Fantastique, Film muet
- Nationalité : Allemand
- Durée : 1h40mn
- Titre original : Unheimliche Geschichten

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– Première en Allemagne : 5 novembre 1919
L’humour noir est roi dans ce brillant précurseur du film à sketchs fantastique qui réussit pourtant à installer un réel sentiment d’inquiétude.
L’argument : A minuit, la Mort, le Diable et une prostituée sortent de tableaux déposés dans la boutique d’un antiquaire pour se raconter des histoires horrifiques.
– L’apparition : Dans un hôtel, un femme disparaît sans laisser de traces. La direction de l’hôtel a voulu cacher le fait qu’elle était morte de la peste.
– La main : La main d’un homme assassiné poursuit le meurtrier.
– Le chat noir : Un homme tue sa femme et l’emmure dans la cave. Mais le chat qu’il a emmuré avec le cadavre le trahit.
– Le club du suicide : Un commissaire de police s’introduit auprès d’une société secrète où celui qui aux cartes tire l’as de pique doit mourir.
– La maison hantée : Un homme se débarrasse d’un hôte qui courtise sa femme en lui faisant croire que la maison est hantée.
A la fin les trois narrateurs retournent dans leurs tableaux respectifs. Mais l’antiquaire, devenu fou, doit être emmené à l’asile d’aliénés.
- Conrad Veidt dans Unheimliche Geschichten (1919)
Notre avis : Cet ancêtre du film à sketchs fantastique à la Dead of night - Au coeur de la nuit (1945) ou I tre volti della paura - les trois visages de la peur (Mario Bava, 1963), réunit, en 1919, une équipe qui a déjà fait ses preuves. En effet le cinéaste et producteur allemand Richard Oswald, connu pour son goût des thèmes sulfureux et des succès de scandale, y faisait appel à trois acteurs à forte personnalité qu’il avait révélés au cinéma dans ses films précédents : Conrad Veidt, génial cabotin au visage anguleux bientôt promis à une carrière internationale (L’homme qui rit de Paul Leni, 1927 ; Le voleur de Bagdad, version de 1940 ; Casablanca) ; Reinhold Schünzel, acteur chez Lubitsch (Madame Dubarry, 1919), Lang (Hangmen also die) ou Hitchcock (Notorious), mais aussi cinéaste (Viktor und Viktoria, 1933) ; et la danseuse Anita Berber (1899 - 1928), figure légendaire de la vie nocturne berlinoise de ces folles années, à qui Rosa von Praunheim rendra hommage en 1987 dans son film Anita, Tänze des Lasters.
Le cinéaste et ses deux vedettes masculines, affichant lorsqu’ils posent à l’ouverture du film une complicité enjouée, semblent appeler le spectateur à ne pas prendre trop aux sérieux ce qui va suivre. Il est vrai que la parodie, l’humour noir et le grotesque ne seront pas en reste dans les histoires inquiétantes (Unheimliche Geschichten) que se lisent la Mort, le Diable et une prostituée sortis du cadre de vieux tableaux entreposés dans une boutique d’antiquaire venue tout droit d’un conte d’ E.T.A. Hoffmann : cinq sketchs plus ou moins horrifiques (le titre alternatif est Grausige Nächte - Nuits d’effroi), adaptés (sauf le dernier imaginé par Oswald lui-même) de récits signés Anselma Heine (1855-1930), Robert Liebmann, Edgar Allan Poe et Robert Louis Stevenson.
- Reinhold Schünzel et Conrad Veidt dans Unheimliche Geschichten (1919)
Brillante démonstration d’un métier consommé, tant au niveau de la mise en scène que des décors, de l’éclairage et du jeu des acteurs, cette suite d’exercices de style parvient pourtant par moments à tenir les promesses de son titre et à être réellement unheimlich, c’est à dire à susciter l’inquiétude en révélant l’étrangeté d’un univers qui cesse soudain d’être familier.
Le premier épisode est, de ce point de vue, le plus réussi parce que le plus réaliste. Le malaise, présent dès la première scène (une rencontre dans un parc), y nait d’un sentiment de décalage tenant à presque rien (un détail du décor, le jeu comme halluciné des acteurs).
Mais les autres épisodes, plus ouvertement parodiques, témoignent eux aussi d’un véritable sens de la composition visuelle et sont également fort prenants. Seul le dernier, à l’ambiance rococo et aux laborieux intertitres versifiés, dépare un peu l’ensemble. Mais Richard Oswald, qui signera en 1932 une nouvelle version, sonore, de son film, pourrait bien être un cinéaste à réévaluer.