Le 27 février 2025
Affichant ostensiblement les caractéristiques du thriller paranoïaque, genre qui fit jadis les très riches heures du cinéma américain, Brave New World n’en est en fait qu’un pastiche sans originalité ni mordant.


- Réalisateur : Julius Onah
- Acteurs : Harrison Ford, Liv Tyler, Mark Ruffalo, Anthony Mackie, Carl Lumbly, Giancarlo Esposito, Tim Blake Nelson, Shira Haas, Danny Ramirez
- Genre : Aventures, Fantastique, Action, Film de super-héros
- Nationalité : Américain
- Distributeur : The Walt Disney Studios Motion Pictures France
- Durée : 2h01mn
- Date de sortie : 12 février 2025

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Résumé : Peu après avoir fait la connaissance du nouveau président des États-Unis Thaddeus Ross, Sam Wilson se retrouve plongé au cœur d’un gigantesque incident international. Dans une lutte acharnée contre la montre, il se retrouve contraint de découvrir la raison de cet infâme complot avant que le véritable cerveau de l’opération ne mette bientôt le monde entier à feu et à sang…
Critique : Ils se succèdent les uns après les autres, arborant des couleurs différentes mais prônant tous des méthodes largement similaires ; ils vont de petites victoires en grandes défaites mais aiment à bomber le torse dès que l’occasion s’y prête ; parlent chaque jour de « progrès » mais ont pourtant un mal fou à tenir tête à ceux qui vermoulent un à un les piliers de nos frêles démocraties, rêvent de coloniser nos cerveaux ou engloutissent pour leur propre intérêt des ressources sans cesse raréfiées.
On parle là évidemment des super-héros Marvel - mais de qui d’autre aurait-on bien pu parler ? –, dont Captain America est l’un des porte-étendards. Avec, dans ce Brave New World, une nouveauté de taille : ce n’est plus le boy scout WASP Steve Rogers à qui revient la tâche de porter le lourd bouclier mais Sam Wilson, ex-bras droit dudit Rogers et Afro-Américain venu « de la street » comme on dit dans les chansons de rap. Ce passage de témoin, cette succession que presque tous contestent à Wilson faisaient déjà les beaux jours de la mini-série Falcon et le soldat de l’hiver, dont cet opus est la suite logique. Sans doute ce qu’il y a de plus réussi dans un long-métrage qui… loupe presque tout le reste.
- © 2024 Marvel. Tous droits réservés.
Commençons d’abord par ce qui constitue le point faible de chaque film de cette saga tentaculaire (une vingtaine de longs-métrages, des brouettes de mini-séries et moyens-métrages très inégaux...) : cette volonté de raccrocher laborieusement chaque volet à un précédent, dans ce qui n’est plus désormais qu’un robinet d’eau tiède grand ouvert. Un continuum d’histoires sans début ni fin, sans queue ni tête, dans lequel plus rien d’important ne peut plus vraiment arriver ; un héros ou une héroïne meurt ? Pas grave : un énième voyage spatio-temporel les ramènera à la vie. De nouveaux héros, appelés à gagner en importance dans cet univers, désappointent les plus réactionnaires des fanboys ? Qu’importe : mettons-les au placard, on les rebootera dans cinq ou dix ans. Et si tout cela ne marche pas, on pourra toujours envoyer l’infatigable Deadpool pour briser le quatrième mur et surjouer la connivence avec le public.
Discutable d’un point de vue créatif, cette volonté de faire du bof avec du vieux l’est encore plus d’un point de vue mercantile – le seul dont se soucie sans doute la maison Disney – et atteint une sorte d’apogée dans ce nouveau Captain America. Qui a pour grand méchant un dénommé Samuel Sterns, savant fou d’une laideur inouïe pas revu au ciné depuis L’Incroyable Hulk, sorti en… 2008 ! Y a-t-il vraiment quelqu’un chez Disney pour croire qu’à part une poignée d’idolâtres regardant les Marvel en boucle, le spectateur se souviendra de ce brave docteur Sterns ? Ignorent-ils que le spectateur lambda a d’autres choses à penser, et surtout d’autres films à voir ? Et après, on s’étonne que toujours moins de spectateurs fassent le déplacement en salle…
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Ce tic scénaristique, des plus paresseux, n’est pourtant pas le seul problème ; même quand Brave New World lâche la rampe pour tenir debout tout seul, on lui sent les guibolles qui flanchent. Car, s’il se place ostensiblement en successeur des grands thrillers paranos post-Watergate (Les Trois Jours du Condor, À cause d’un assassinat), ce film-là n’en constitue in fine qu’une version toilettée, creuse et superficielle, qui ne retient du genre que les passages obligés (des complots partout et tout le temps, fomentés par des agents doubles voire triples) et laisse stratégiquement de côté tout ce qui pourrait chatouiller l’intellect. Une œuvre d’une rare pudeur de gazelle, pavant son récit d’éléments potentiellement explosifs qui finissent comme autant de pétards mouillés.
Voyons plutôt : un président étasunien « facilement manipulable et prêt à risquer l’avenir de l’Amérique, à emprisonner ses citoyens et à contrarier ses alliés pour atteindre ses propres objectifs égoïstes » doté « d’une peau à la couleur étrange, et susceptible de se transformer en un monstre à tout moment, provoquant l’effondrement de l’infrastructure de son gouvernement* » qui tente de se faire obéir d’un super-soldat noir – celui-ci, sans cesse tiraillé entre allégeance envers un drapeau auquel il doit son statut et défiance envers un pays qui a si mal traité (et maltraité) ceux qui ont sa couleur de peau, mène sa propre croisade pour faire réhabiliter un « Capitaine oublié », rayé des livres d’histoire contant l’histoire officielle… Alors que, pendant ce temps, les États-Unis sont sur le point d’entrer en guerre avec le Japon… Tout cela rappelle bien des souvenirs – en tout cas à ceux qui ne piquaient pas un somme quand leurs profs d’histoire leur parlaient de Pearl Harbor et la guerre du Vietnam. Las : plutôt que de regarder dans le blanc des yeux son sujet et les nouvelles années de plomb que nous vivons, Brave New World rêve déjà au prochain volet des Avengers et invente au passage un nouveau sous-genre : le thriller politique apolitique.
(*Pour citer la description que le sardonique David Ehrlich d’IndieWire fait, dans sa propre critique du film, du président Thaddeus Ross (qui d’autre, là encore ?))