Tais-toi quand tu pleures
Le 24 mars 2021
Énième mélodrame urbain dénonçant la détresse des enfants dans les bidonvilles de notre globe, le film de Nabine Labaki confond emphase et empathie, avec une lourdeur qui est celle des ratés du genre.
- Réalisateur : Nadine Labaki
- Acteurs : Zain Al Rafeea, Yordanos Shiferaw
- Genre : Drame, Mélodrame
- Nationalité : Libanais
- Distributeur : Gaumont Distribution
- Durée : 2h03mn
- Date télé : 6 octobre 2021 20:40
- Chaîne : OCS City
- Titre original : Cafarnaúm
- Date de sortie : 17 octobre 2018
- Festival : Festival de Cannes 2018
Résumé : À l’intérieur d’un tribunal,, Zain, un garçon de douze ans, est présenté devant le juge. Le juge : "Pourquoi attaquez-vous vos parents en justice ?" Zain : "Pour m’avoir donné la vie"
Critique : Des deux précédents long-métrages de Nabine Labaki, Caramel et Et maintenant on va où ?, sortis respectivement en 2007 et 2011, on avait retenu des portraits de femmes libérées du joug masculin, dans les tréfonds du Liban, teintés de légèreté doucereuse, mais non sans charme. Caramel avait d’ailleurs été un formidable succès public.
L’approche est aujourd’hui plus dramatique, plus rentre-dedans dans sa thématique sociale, même si le pitch, connu jusqu’à sa projection cannoise n’en disait pas grand chose (un enfant qui tente de se libérer de ses parents, dans le cadre d’un procès à Beyrouth). Le sujet interpellait en promettant d’interroger sur le poids moral d’avoir une engeance, sans avoir les moyens de lui assurer une vie décente.
Le long-métrage démarre ainsi sur les rails d’une reconstitution judiciaire aux enjeux philosophiques passionnants. Il introduit au passage une thématique non moins délicate qu’est l’influence des médias au Liban. Mais, à peine l’échange cité par le synopsis officiel est-il prononcé (à savoir « _Pourquoi attaquez-vous vos parents en justice ? _Pour m’avoir donné la vie ») que la narration nous renvoie vers un flashback convenu qui ouvre la porte aux tant redoutés bons sentiments.
La réalisatrice nous invite ainsi à suivre le quotidien de Zain au sein de sa famille, dans une insouciance enfantine qui ne couvre pas le caractère indigent du quartier où ils vivent. Les détracteurs de Labaki ne pourront que se réjouir de la voir enfin se doter de ce qui faisait défaut, à leurs yeux, à ses précédents films, à savoir un personnage attachant (un gosse de 12 ans, comment faire plus attachant ?) et surtout une énergie servie par l’effervescence urbaine qu’elle capte grâce à une caméra au poing virevoltante. A l’inverse, les amateurs de son cinéma se féliciteront qu’elle n’ait pas délaissé son sujet de prédilection, celui du destin des femmes dans un monde arabe patriarcal, en faisant du sort de la petite sœur de Zain, promis à un mari plus âgé que le sien et qu’elle ne connaît pas, le nœud dramatique des premières minutes.
C’est la disparition de cette sœur qui va mener Zain à fuir le cocon familial. Dès lors, le long-métrage avance en accumulant tous les poncifs du mélodrame juvénile.
Livré à lui-même, le pauvre gamin va tour à tour dormir dans un parc d’attractions, être recueilli par une immigrée clandestine, puis se voir contraint de s’occuper d’un bébé dans des conditions toujours plus précaires, avant d’être remis à la rue pour y vivre de mendicité et de vols à la tire. Le mélo repose essentiellement sur les frêles épaules de ce rejeton à la mine maussade mais qui dégage suffisamment d’énergie, pour faire oublier les facilités avec lesquelles la réalisation appuie lourdement ce misérabilisme urbain (le montage dynamique montre surtout que l’auteure a retenu la leçon de Slumdog Millionaire !). La panoplie d’effets de mise en scène confond empathie et emphase, signe de confiance de la réalisatrice dans l’universalité des sentiments face au sort de ces enfants des rues. Mais devant pareilles lourdeurs, la tentation du cynisme guette et, parfois, l’on ne parvient même pas à s’émerveiller du jeu du jeune protagoniste, Zain Al Rafeea, au naturel pourtant troublant.
- Copyright : Photo : Fares Sokhon | Titre : CAPHARNAÜM
Si en diagonale, la cinéaste aborde avec un réalisme poignant et une vraie retenue le thème de la migration vers l’Europe, via la quête de papiers d’une Éthiopienne, le naturalisme a ses limites. Celui du sujet principal, moins consensuel, à savoir la responsabilité des parents à assurer un minimum de bienséance à leur progéniture, qui manque d’argumentation.
Ce rapport entre les enfants et leurs responsables n’est évoqué que par la dénonciation, à laquelle il est bien dur de ne pas adhérer, puisqu’ici l’on évoque des gens qui vendent leurs enfants pour toucher de quoi manger. Et, alors que le film avance doucement vers sa fin, et nous laisse espérer un retour à la situation d’ouverture, et donc à ces débats endiablés attendus, la cinéaste trouve bon d’accentuer le pathos. Les vingt dernières minutes se vautrent donc dans les ralentis et les scènes ressassées sur une musique tire-larmes.
Mais alors, quelle décision le juge, aperçu au début du film, que l’on pouvait penser être la voix de la réalisatrice, va-t-il donner à cette plainte porteuse de tant de questionnements sociétaux ? La réponse est simple : l’auteur n’est pas la pour polémiquer et faire avancer les débats.
À l’issue de la projection cannoise, le public a pleuré, c’est tout ce qui paraît importer aux yeux de Labaki.
Et, si Cate Blanchett pleure aussi, misons de retrouver ce Capharnaüm au palmarès de cette 71ème édition du Festival de Cannes.
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ceciloule 1er novembre 2018
Capharnaüm - Nadine Labaki - critique
Un film très dur, pas tant mélodrame que drame insupportable, à mes yeux. Un mélodrame donne envie de lever les yeux au ciel et se noie dans la guimauve, et on ne peut pas dire que cela soit le cas ici - à moins que la guimauve soit d’une âcreté inimaginable. Le spectateur hésite à sortir durant le film tant l’horreur du quotidien de Zain est tangible. Alors le mélodrame, non, mais l’aspect caricatural oui. Trop c’est trop se dit-on, surtout que l’on ne peut rien faire à part subir le regard vaillant mais las de Zain. Son naturel est désarmant, effectivement, et c’est bien normal puisque le casting sauvage de Nadine Labiki a assuré des acteurs au destin similaire à ceux de leur personnage (pour en savoir plus : https://pamolico.wordpress.com/2018/11/01/un-capharnaum-dechirant-capharnaum-nadine-labaki/)