Cannes 2018 : Un couteau dans le cœur, Vanessa Paradis underground dans le porno gay des années 70

Le film : Pour Gainsbourg, "Paradis" c’était "l’enfer". Il ne s’est pas trompé. La muse de Joe le Taxi, est devenu une muse pour le cinéma français tout court.
En décrochant le César de la Meilleure révélation dans Noce Blanche, il y a 29 ans, chez Brisseau, elle ressort grandie d’une expérience avec un cinéaste exigeant qui l’a poussée dans ses retranchements. Puis vint la consécration pour l’actrice femme, avec Elisa, succès de Jean Becker au box-office, elle y est superbe. Dans La Fille sur le pont, elle traverse le "Pont des Arts", rayonnant en noir et blanc, dans les salles d’art et essai du monde entier, pour un succès sans frontière. Son film le plus culte.
Les succès au cinéma, elle en connaîtra un autre de grande envergure, avec L’arnacoeur, du regretté Pascal Chaumeil. La comédie romantique avec Romain Duris se classe dans le top 10 de marchés internationaux habituellement hermétiques au cinéma francophone.
Mais Paradis n’est pas accro au succès commercial. Si quelques blockbusters destinés à ratisser large ont fait flop dans sa carrière sur trois décennies - le navet de comédie fantastique de René Manzor, Un amour de sorcière, et la déception de la réunion au sommet de Delon/Belmondo dans Une chance sur deux -, la chanteuse bobo, l’ex-épouse de Johnny Depp, l’éternelle égérie de mode, est surtout une cinéphile pur qui fait des choix artistiques radicaux : Atomik Circus, le B movie expérimental des frères Poiraud, La Clé, le Twin Peaks français de Nicloux, le road movie Dubaï Famingo de Delphine Kreuter, Frost, du contemplatif Sharunas Bartas... jusqu’à, en 2018, Chien, de son nouvel homme, Samuel Benchetrit.

Filmographie

Intransigeante, revoici Paradis en haut d’une oeuvre atypique par un cinéaste étonnant. Yann Gonzales, frère du mec qui se cache derrière M83, féru de musique (le clip gore et sexe des Vacances continues de Perez), le Niçois signe là son troisième long-métrage en 10 ans. Ses deux premiers, Je vous hais petites filles et Les Rencontres d’après minuit, étaient déjà présentés à Cannes, dans la section Quinzaine des réalisateurs et à la Semaine de la Critique.
Mais le réalisateur est loin d’avoir chômé avant d’être nominé en Sélection Officielle. Il a en effet depuis multiplié les courts métrages. Son dernier, Les îles avait d’ailleurs lui aussi fait un détour par Cannes où il a reçu la Queer Palm. Autant de travaux qui affirment à chaque fois un style visuel personnel, entre romantisme psychédélique et sensualité crue, un goût pour la provocation et le cinéma homoérotique. Aujourd’hui, avec Un Couteau dans le Cœur, il propose une plongée dans l’univers du cinéma porno-gay des années 70.

Photo : Ella Herme

Le thriller avec une affiche aux couleurs aussi criardes que glauques, nous promet d’explorer le versant sombre d’un cinéma français qui aime se référer aux moments les plus cultes de son histoire, ici, les cinéma de quartier, à l’odeur de semence et de chaussettes mélangée, avec en plus une musique de M83 (Oblivion, pour le grand public). Délicieusement anachronique ?
Peu d’acteurs connus autour de Paradis, si ce n’est Nicolas Maury, égérie gay bien plus à l’aise quand il est lui-même dans la comédie décalée (il figurait dans l’étrange Les Rencontres après Minuit, de Gonzalez, aux côtés du fils rebelle de Delon, Niels Schneider ou encore Eric Cantona), que dans une comédie grand public comme Les Tuche 3 où il s’était fourvoyé !
Yann Gonzalez avait beaucoup souffert du manque de reconnaissance des professionnels et surtout des exploitants lorsqu’il a essayé d’exhiber en salle sa partouze morbide des Rencontres après Minuit. Une poignée de cinémas avait essayé de le programmer. Son effort était passé totalement inaperçu. Avec Un couteau dans le cœur et sa sélection à Cannes, ce sont les projecteurs internationaux qui sont braqués sur lui : la star Paradis au générique, le parfum de scandale qui pourrait auréoler sa projection, sont autant d’éléments qui font de sa programmation l’un des temps forts d’une sélection qui a bien besoin, avec Lars Von Trier, d’être secouée, pour rappeler que le cinéma, ce n’est pas que du confort, contrairement à ce qu’Hollywood essaie de nous faire croire à longueur de franchise.