The Sweetest Taboo
Le 26 septembre 2018
Interdit au Kenya « apologie du lesbianisme », Rafiki parvient surtout à nous dépeindre l’Afrique via le prisme d’une belle histoire d’amour, là où le cinéma la limite souvent à la misère, la guerre et la maladie. Et même si le film assume son ingénuité, il n’en reste pas moins touchant.


- Réalisateur : Wanuri Kahiu
- Acteurs : Samantha Mugatsia, Sheila Munyiva, Dennis Musyoka
- Genre : Drame, Romance, LGBTQIA+, Drame social
- Nationalité : Français, Allemand, Néerlandais, Sud-africain
- Distributeur : Météore Films
- Durée : 1h22mn
- Date de sortie : 26 septembre 2018
- Festival : Festival de Cannes 2018, Kenyan
Section Un Certain Regard Cannes 2018
Résumé : À Nairobi, Kena et Ziki mènent deux vies de jeunes lycéennes bien différentes, mais cherchent chacune à leur façon à poursuivre leurs rêves. Leurs chemins se croisent en pleine campagne électorale au cours de laquelle s’affrontent leurs pères respectifs. Attirées l’une vers l’autre dans une société kenyane conservatrice, les deux jeunes femmes vont être contraintes de choisir entre amour et sécurité...
Notre avis : Il aura suffi d’un simple regard pour tout faire basculer. Le postulat romantique est simplissime mais le film qui en découle parvient à faire preuve d’un courage inattendu.
Le regard en question est celui que se sont échangé Kena et Vikki, deux jeunes kenyanes que tout semble opposer, à commencer par leurs pères respectifs, tous deux candidats à une élection locale. Dès les premiers instants, il ne fait aucun doute que la relation entre les deux jeunes femmes ne restera pas au stade de la simple amitié pudibonde. Deux femmes amoureuses, mais pas du bon genre.
La réalisatrice de cette relecture féminine de Roméo et Juliette, Wanuri Kahiu, ne cache à aucun moment sa volonté de filmer un amour au féminin, sachant pertinemment que la censure de son pays interdira toute diffusion sur son territoire d’origine. Un film de courage, donc. Et de qualité, aussi.
Malgré une certaine pudeur formelle, la mise en scène réussit à capter la passion amoureuse qui unit les deux adolescentes et réussit à rapidement les amener, avec une délicatesse touchante, jusqu’à une scène de sexe tournée avec cette même retenue. Non, définitivement, nous sommes bien loin d’une transposition africaine de La Vie d’Adèle !
- Meteore Films
L’une des réussites de Wanuri Kahiu pour rendre palpable cette émotion est sans aucun doute d’avoir filmé cette histoire à l’identique des romances homme femme, sans aucune complaisance. On en arrive même à regretter que l’homophobie féroce qui règne au Kenya ne soit qu’effleurée dans le film, qui préfère faire de l’opposition des deux paternels la seule et unique source d’antagonisme. Il faut ainsi attendre une heure pour que les deux jeunes amantes se voient victimes d’une première remarque résolument homophobe, en l’occurrence de la part de deux représentants de l‘ordre, ce qui n’est pas peu symbolique ; ensuite la mère de Kena lui fait subir un exorcisme, passage qui aurait pu être fort dans la dénonciation du poids de la religion rétrograde, mais qui restera traité de façon purement anecdotique.
Au fur et à mesure, pour le public occidental, le sentiment d’une certaine naïveté grossit, bien au-delà de la mise en scène très artisanale (en France, on l’aurait qualifié de « téléfilmique ») et d’un casting, globalement peu convaincant. Samantha Mugatsia, qui incarne Kena, présente de tous les plans, fait ainsi preuve d’un jeu particulièrement inexpressif.
- Meteore Films
On pourrait qualifier nos reproches d’ethnocentriques, mais cela serait oublier cette candeur sur laquelle s’est construit ce film audacieux, dans la défiance de la morale et des tabous de son pays, qui, forcément, impose un sentiment non d’indulgence, cela serait condescendant, mais bel et bien d’admiration. L’approche artistique a pour elle la force des œuvres simples qui rendent leur discours pédagogique plus accessible, au-delà de toute frontière. Quelle belle manifestation de sincérité de la part de Wanuri Kahiu qui, dans un monde global, rattache le personnel à l’universel, et raccroche in fine le cinéma kenyan à la cinématographie mondiale. La sélection de son œuvre à Cannes, dans la section Un Certain Regard, lui donne totalement raison.
ceciloule 30 septembre 2018
Cannes 2018 : Rafiki - la critique du film
Outre la faute sur le prénom de l’héroïne (Ziki et non Vikki), je ne partage pas votre avis en ce qui concerne le jeu de Samantha Mugatsia. Elle incarne de manière touchante un garçon manqué qui a du mal à trouver sa place, manque de confiance en elle et d’assurance. La pudeur et la timidité de Kena sont donc représentées à la perfection par l’actrice.
Quant au problème de l’homophobie qui ne serait qu’effleuré, là encore, je ne suis pas d’accord. Certes l’accent est mis sur l’histoire d’amour des deux lycéennes, mais c’est justement un pied-de-nez à cette haine. En laissant l’implicite et les non-dits prendre le dessus, la dénonciation n’en est que plus forte.
En outre, il convient de mentionner la magnifique manière de filmer de la réalisatrice, tout en finesse, en pudeur et en poésie (jeu sur la lumière, sur la transparence, rythme étudié). Pour en savoir plus : https://pamolico.wordpress.com/2018/09/30/amie-rafiki-wanuri-kahiu/)