Charme bestial
Le 8 janvier 2019
Cette étonnante histoire d’amour entre deux amoureux aux antipodes des stéréotypes glamour est le fruit d’une imagination bluffante. Pourtant, elle ne parvient pas à tirer profit de la thématique vers laquelle elle sous-tend, à savoir l’acceptation de soi et de son identité.


- Réalisateur : Ali Abbasi
- Acteurs : Eero Milonoff, Eva Melander, Viktor Åkerblom
- Genre : Fantastique, Romance
- Nationalité : Suédois
- Distributeur : Metropolitan FilmExport
- Durée : 1h41mn
- Titre original : Gräns
- Date de sortie : 9 janvier 2018
- Festival : Festival de Cannes 2018

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Résumé : Tina, douanière à l’efficacité redoutable, est connue pour son odorat extraordinaire. C’est presque comme si elle pouvait flairer la culpabilité d’un individu. Mais quand Vore, un homme d’apparence suspecte, passe devant elle, ses capacités sont mises à l’épreuve pour la première fois. Tina sait que Vore cache quelque chose, mais n’arrive pas à identifier quoi. Pire encore, elle ressent une étrange attirance pour lui...
Critique : N’ayons pas peur des mots : Tina est moche. Son interprète Eva Melander n’est peut-être pas un top model, et a jusqu’à présent été cantonnée à des rôles secondaires, mais elle se retrouve cette fois propulsée en haut de l’affiche, affublée d’un maquillage qui la rend littéralement repoussante. En plus de son physique, assimilable à celui d’un énorme phacochère, le réalisateur Ali Abbasi insiste sur ses capacités olfactives, qui appuient encore un peu plus son caractère inhumain. Et pourtant, Tina semble ne pas se poser de questions sur ses origines et a réussi à tirer parti de ses particularités. D’abord pour se trouver un emploi stable -depuis lequel lui sera confiée une mission dans laquelle elle épanouit sa fibre maternelle- mais aussi à se trouver un mari, quand bien même son couple est loin d’être un modèle : son époux, que son père qualifie d’ « arnaqueur », semble lui préférer ses chiens de concours. On peut donc aisément comprendre que, même si elle nous est présentée comme un modèle en terme d’assimilation, il lui manque toujours ce petit quelque chose qui lui permette de s’affirmer, et que l’on nomme amour. Et c’est là qu’intervient Vore.
- Copyright : Meta Spark & Karn film AB 2018
Cet individu mystérieux, tel qu’il nous apparaît, semble être, physiquement, le parfait alter ego masculin de Tina. De savoir qu’elle n’est pas qu’une sorte d’aberration génétique mais qu’elle appartient à une « race » relance alors la question de son identité. Et tandis que Vore et Tina vont inévitablement apprendre à se découvrir, l’un des enjeux devient alors d’en savoir un peu plus sur l’origine mystérieuse de ces deux créatures. Mais, dans la façon dont Abbasi filme leurs échanges et ébats bestiaux, ce qui devient le plus intéressant est assurément la façon dont Tina, qui a passé sa vie à faire abstraction de ses pulsions animales, va peu à peu apprendre à les assumer, au même titre que sa difformité. Le réalisateur fait pour ceci preuve d’une audace visuelle telle que seul le cinéma scandinave peut nous en offrir. En l’occurrence, sa plus grande réussite est d’avoir su insuffler une part de lyrisme dans les scènes où ce couple répugnant part folâtrer nus dans la forêt et dévore des vers de terre, au point d’en faire des moments d’un étonnant romantisme.
- Copyright Metropolitan FilmExport
Sans que cela soit une vraie surprise, le film va prendre une toute autre tournure à mi-parcours, dès l’instant où Vore va révéler à Tina son secret. Le réalisateur a dès lors recours à un imaginaire fantastique, qu’il exploite avec bien moins de finesse que les éléments introduits jusque-là. La poésie des batifolages champêtres de ce couple anti-glamour se met peu à peu à muer en une farce grand-guignolesque, forcément moins séduisante. Mais dans cette seconde partie le cinéaste se concentre avec intelligence sur les troubles moraux de Tina. D’une part, elle doit apprendre à cultiver, à l’aide de son amant, l’instinct maternel qui vient de naître en elle. Mais surtout, la violence qui se dégage de plus en plus de Vore, et qui semble inhérente à sa nature non humaine, l’oblige à choisir entre l’acceptation d’une telle vie en marge ou un retour à une existence dans les normes de la société. La radicalité ou l’intégration apparaissent alors comme les deux alternatives face à la délicate question de savoir qui l’on est. Le parcours de Tina dépasse alors l’argument surnaturel : il est la parabole d’une interrogation, autant intime que sociétale, bien plus vaste ; et l’on se doute que le réalisateur, d’origine iranienne, se l’est forcément posé. Dommage alors que celui-ci n’ait pas su mieux en tirer parti, le développement maladroit frisant à plusieurs reprises le grotesque.
– Cannes 2018 : Prix Un Certain Regard
- Copyright : Meta Spark & Karn film AB 2018 / Distribution Metropolitan FilmExport