Le 6 mai 2024
À travers le récit implacable d’une arnaque bien rodée, le réalisateur Stephan Komandarev livre un constat particulièrement sombre sur l’état actuel de son pays, en proie à une crise morale et économique.
- Réalisateur : Stephan Komandarev
- Acteurs : Ivan Barnev, Eli Skorcheva, Gerasim Georgiev, Rosalia Abgarian, Stefan Denolyubov, Ivaylo Hristov
- Genre : Drame, Drame social
- Nationalité : Allemand, Bulgare
- Distributeur : Damned films
- Durée : 1h54mn
- Titre original : Uroctcite Na Blaga
- Date de sortie : 8 mai 2024
- Festival : Arras Film Festival 2023, Les Arcs Film Festival 2023, Festival Karlov Vary 2023
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Résumé : Blaga, enseignante à la retraite, est victime d’une arnaque téléphonique. Afin de récupérer la somme, Blaga commence à travailler pour ceux qui l’ont escroquée. La femme autrefois honnête commence à sacrifier tous ses principes.
Critique : Frappé par l’état de délabrement dans lequel s’enfonce peu à peu son pays, le réputé réalisateur bulgare Stephan Komandarev amorce en 2017 une trilogie sociale. Suivant le parcours de quelques chauffeurs de taxi et de leurs passagers, il dresse le portrait d’un pays plutôt mal en point dans Taxi Sofia, présenté à Cannes dans la section Un certain Regard à Cannes. Deux ans plus tard, Rounds, primé au festival du film de Sarajevo, présente, entre humour et désespoir, des policiers ni tout à fait ripoux, ni tout à fait exemplaires, en butte à la pauvreté et à la corruption d’une Bulgarie qui a perdu tout espoir d’une vie meilleure, trente ans après la chute du mur de Berlin. Récompensé du Globe de Cristal au festival Karlovy Vary (République tchèque), Blaga’s Lessons est le troisième volet, volontairement plus sombre et centré sur une catégorie sociale particulièrement vulnérable : celle des personnes âgées que les gouvernements successifs, empêtrés dans une économie de marché asphyxiante, n’ont pas su protéger.
- Copyright jip Films/verlieh gbr
Enseignante à la retraite, Blaga est une femme digne, pétrie de valeurs morales. Discrète, elle se contente de sa maigre retraite qu’elle arrondit en donnant quelques leçons de bulgare. Jetée dans une jungle qu’elle aurait aimé ne jamais rencontrer, elle s’adapte pourtant à ses lois pour pouvoir survivre.
Dans un terrain vague près d’une rivière, une liasse de billets a été abandonnée dans un pneu. Une manière efficace et claire de démontrer qu’ici l’argent n’emprunte pas que des voies totalement légales et que corruption et arnaque sont monnaie courante, ce que ne va pas tarder à pouvoir vérifier Blaga, une veuve qui se fait dérober par de faux policiers l’argent qu’elle avait mis de côté pour offrir un belle sépulture à son mari tout récemment décédé.
Blaga appartient à une génération certes largement confrontée à la censure et au contrôle permanent mais où l’argent n’était pas la valeur essentielle. L’ère post-communiste a balayé ces anciens préceptes au profit d’un capitalisme débridé et dans un laisser-aller général n’a pas enrayé la spirale de la délinquance, obligeant cette victime à participer au système de déshumanisation qui l’a elle-même broyé.
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Digne et implacable, notre héroïne ne laisse rien paraître de ce désarroi qui la traverse auquel s’ajoute la honte que son âge et sa situation pécuniaire fragile lui renvoient. De la banque qui l’abandonne à son triste sort à son fils qui l’accable, en passant par l’ingratitude d’un ancien élève ou l’absence de compassion de l’entreprise des pompes funèbres, tous témoignent d’une cruauté assumée qui ne laissent aux moins bien lotis que le droit de se débrouiller seuls avec les moyens mis à leur disposition, fussent-ils illégaux. Un constat qui pourrait faire redouter une noirceur excessive que le réalisateur parvient cependant à éviter grâce à une mise en scène dynamique et à un scénario équilibré entre chronique sociale et portrait psychologique.
La présence d’Eli Skorcheva, qui connut des heures de gloire dans les années 80 avant de sombrer dans une misère financière, physique et émotionnelle quand, après la chute du mur de Berlin, la Bulgarie, aux prises avec une difficile transition économique, abandonne l’industrie cinématographique, contribue à la parfaite authenticité de ce thriller social. Son visage transmet toute une palette d’émotions, de l’angoisse à la dignité, tandis que la caméra, avec une précision d’orfèvre, s’attache à restituer le moindre de ses gestes pour nous faire partager sa fébrilité autant que sa détermination. Une remarquable interprétation tout en retenue qui lui a valu le prix de la meilleure actrice au festival de Karlov Vary.
L’effroi suscité par la scène finale confirme que l’on n’est pas près d’oublier les leçons de Blaga.
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