Justice sauvage
Le 31 octobre 2024
De la vague des polars urbains italiens des années 1970, Big Racket figure parmi les grandes réussites du genre, mêlant les influences américaines (L’inspecteur Harry, Un justicier dans la ville) à la réalité politico-sociale italienne de l’époque. Le tout filmé à un rythme d’enfer par Enzo G. Castellari.
- Réalisateur : Enzo G. Castellari
- Acteurs : Fabio Testi, Vincent Gardenia, Giovanni Cianfriglia , Massimo Vanni , Renzo Palmer, Joshua Sinclair, Sal Borgese, Orso Maria Guerrini, Glauco Onorato, Marcella Michelangeli
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Action
- Nationalité : Italien
- Distributeur : Planfilm Distribution
- Editeur vidéo : Artus films
- Durée : 1h41mn
- Box-office : 27 053 entrées (France)
- Titre original : Il grande racket
- Date de sortie : 2 août 1978
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Résumé : À Rome, une organisation mafieuse dirigée par Rudy le Marseillais rackette les commerçants avec une violence inouïe. Chargé de l’enquête, l’inspecteur Nico Palmieri (Fabio Testi) manque de se faire tuer et fait un bref séjour à l’hôpital. Il décide alors de combattre cette bande criminelle par tous les moyens. Avec l’aide de citoyens, il forme une milice armée qui entreprend de nettoyer la ville par la violence.
Critique : Continuant à explorer le cinéma de genre italien qu’elle affectionne tant, la belle équipe d’Artus Films nous propose cette fois-ci un des meilleurs exemples de ce que l’on a nommé le « poliziotteschi ». En deux mots, des polars urbains ultra violents et désabusés réalisés dans les années 1970 en Italie. Connaissant une vague criminelle sans précédent, à laquelle s’ajoutaient les attentats terroristes des Brigades Rouges, l’Italie était un pays à feu et à sang. Corruption policière, abus de pouvoirs, enlèvements, assassinats, crimes impunis : nous étions en plein dans les « années de plomb » et l’extrême brutalité du cinéma italien de l’époque en est le total reflet. Pour ce nouvel exercice dans le genre, après Le témoin à abattre (1973) et Steet Law (1974), et avant Action immédiate (1977) et Cobra (1980), cet artisan du cinéma de genre qu’est Castellari nous livre avec Big Racket l’un de ses meilleurs films aux côtés de Keoma, tourné d’ailleurs durant la même année 1976. Dès les premières secondes, nous sommes plongés dans un climat de chaos et de violence. Les commerçants de Rome sont rackettés. Ils sont terrorisés par des bandes de fauves sadiques qui vandalisent tout. Les gens sont à bout mais se taisent de peur des représailles. Un restaurateur nommé Luigi Giulti (Renzo Palmer) finira par craquer et parler à l’inspecteur Nico Palmieri (Fabio Testi). Au résultat, sa fille adolescente, jouée par la propre fille de Castellari, sera violée par la bande des quatre malfrats et finira par se suicider. Ce climat de sauvagerie, de terreur, de haine et de désordre collectif est encore plus accentué par la scène où des manifestants prolétaires détruisent les rayons d’un magasin, symbole pour eux du capitalisme, ou celle où une foule devient enragée et commet un lynchage. Big Racket se fait donc le reflet de cette Italie apocalyptique, où, comme le dit le grand instigateur du racket, les politiques ont tout intérêt à ce que les individus vivent dans la peur car cela leur rapporte des électeurs.
Mais à l’image de Clint Eastwood dans L’inspecteur Harry (1971) ou Charles Bronson dans Un justicier dans la ville (1974), le personnage interprété par l’élégant Fabio Testi décide de s’attaquer à cette grande organisation criminelle menée notamment par Rudy le Marseillais (Joshua Sinclair). Il y échappera de justesse après un accident de voiture et avec l’aide de Pepe (Vincent Gardenia, lui même présent dans Un justicier dans la ville), il va essayer de démanteler ce réseau. Face aux actes de plus en plus ignobles des racketteurs qui abattent son coéquipier Velasci (Salvatore Borghese), la haine va prendre le dessus, et après avoir perdu son poste au sein de la police pour ses méthodes peu orthodoxes, Palmieri crée sa propre milice, un peu dans l’esprit des Douze salopards (1967). Il assemble des victimes du gang qui veulent toutes se venger. On y retrouve notamment un champion de ball trap, Rossetti (Orso Maria Guerrini), dont la femme a été violée et brûlée vive devant ses yeux par le gang, ou Mazzarelli (Glauco Onorato), un gérant de boîtes de nuit et ex-parrain de la drogue rendu infirme par les mêmes voyous. Le polar se transforme alors en vigilante movie, avec une bonne dose de rape & revenge.
Comme on peut s’en douter, le film ne fait pas dans la dentelle. L’action est constante, le montage rapide, les dialogues bien sentis, les personnages méchants au possible et sans limites (notamment la très vilaine Marcy interprétée de façon hystérique par Marcella Michelangeli), la mise en scène maîtrisée et les deux scènes de massacre sont simplement impressionnantes (la première dans une gare, l’autre dans un entrepôt). Les cadavres tombent par dizaines, avec des ralentis constants qui rappellent les westerns de Peckinpah ; et même si les effets spéciaux ne sont pas toujours au top (le sang gicle une fois sur deux sous l’impact des balles), l’ambiance nous happe littéralement jusqu’à un freeze frame final d’une noirceur absolue. La violence est permanente et même les petites touches d’humour apportées par Vincent Gardenia disparaîtront vite après que son neveu soit tué par une meute de gens en furie. C’est cette ambiance oppressante et suffocante qui fait que Big Racket s’éloigne des modèles américains dont il prend des idées de scénario. On peut d’ailleurs remercier Artus d’avoir rajouté les scènes de viols et de nudité qui avaient été jusqu’à présent supprimées de la version française, car elles justifient en grande partie les actions du film. Dans ce climat où seuls les plus armés survivent, le désespoir et la folie ne sont jamais loin (le suicide de Giulti).
Si certains pourront critiquer une certaine exagération dans la mise en scène (très stylisée et très italienne) qui rend évidents les codes du genre, on ne peut nier la force d’un film qui dépeint un monde de corruption (l’avocat est bien sûr dans le coup) et une société en pleine dégénérescence, réduite à des sentiments de survie, de dégoût et de terreur. Un engrenage infernal qui en fait un « poliziotteschi » de très haut niveau.
Les suppléments
En bonus, nous trouvons une interview du dessinateur Curd Ridel qui connaît sur le bout des doigts les parcours des acteurs du film, dont un bon paquet étaient aussi cascadeurs et maîtres d’armes. Il les passe tous en revue dans ce sujet de trente-cinq minutes nommé « De la grande violence ». Malgré le débit de parole parfois difficile à comprendre car très rapide, on y apprend des tas de choses. Par exemple, Fabio Testi, bien connu des amateurs de cinéma de genre mais qui a aussi tourné pour Zulawski, est à la tête de la troisième société italienne de productions de kiwis ! Ridel revient aussi sur la carrière de réalisateur de Castellari et sur la réception de Big Racket. Autant le film fut un succès populaire incroyable (les spectateurs s’y retrouvaient vraiment dedans), autant la critique essaya de l’interdire, l’accusant même de « fascisme », ce qui semble démesuré car le film ne présente que des personnes qui essaient de survivre dans un monde où tout n’est plus que violence. En bonus, on trouve également un diaporama de matériel promotionnel du film, ainsi que six bandes-annonces qui mettent à l’honneur le cinéma italien, dont celle de La dernière maison sur la plage, rape & revenge chroniqué sur ce site, qu’il est intéressant de mettre en parallèle avec le film de Castellari.
La copie du film est de grande qualité avec sa photographie très soignée. Il s’agit de la version complète en format 1.85 original respecté, avec les trois scènes qui avaient été coupées pour cause de nudité, probablement (deux scènes de viol et une avec une prostituée). Celles-ci sont en anglais. Sinon, le DVD propose la version originale italienne sous-titrée ou la version française qui est de très bonne facture. La musique, aux fortes tonalités rock psychédélique, assurée par Guido et Maurizio de Angelis, nous replonge directement dans les années 1970 et sied très bien avec le rythme trépidant du film.
– Sortie DVD : 25 avril 2006
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