Le 3 novembre 2021
Œuvre-culte aussi précieuse qu’avant-gardiste, Belladonna d’Eiichi Yamamoto est une perle de l’animation japonaise.
- Réalisateur : Eiichi Yamamoto
- Acteurs : Tatsuya Nakadai, Aiko Nagayama
- Genre : Animation, Érotique, Manga
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Eurozoom
- Durée : 1h33mn
- Reprise: 15 juin 2016
- Titre original : Kanashimi no Beradonna
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 7 mai 1975
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– Année de production : 1973
Résumé : Dans un cadre médiéval, l’histoire de Jeanne et de Jean, deux serfs épris l’un de l’autre. Le jour de leur mariage, leur seigneur use de son droit de cuissage et arrache la virginité de Jeanne. Violée, mal-aimée par un époux symboliquement castré par l’événement, la belle sombre dans un sommeil troublé par l’apparition d’un incube à l’aspect phallique, qui en fera une puissante sorcière en échange de ses faveurs sexuelles. Revigorée, Jeanne ne tardera pas à s’attirer la suspicion des petites gens et les foudres des puissants…
Critique : Les racines de Belladonna s’inscrivent au Japon, au crépuscule des années 60. À cette époque, la télévision commence à s’imposer dans les foyers, si bien que la fréquentation des salles obscures décroît considérablement. L’industrie cinématographique, soucieuse de proposer au spectateur nippon un divertimento que son modeste tube cathodique ne peut lui offrir, trouve une nouvelle manne dans l’érotisme. Ce sont, après l’émergence du pinku eiga, les prémisses du roman porno, portées aux nues par l’ancestrale Nikkatsu. Le secteur de d’animation, également meurtri par l’emprise tentaculaire du petit écran, se met à son tour à exploiter la fascination générée par autant de dépictions sensuelles et charnelles.
Osamu Tezuka, figure de proue de la japanimation à la tête de la société Mushi Production, entreprend dès 1969 de superviser la création de contes érotiques... En résultera la trilogie des Animerama. Si le premier film, Les Mille et une nuits, jouit d’une bonne réception, Cléopâtre, reine du sexe est un échec désastreux. Monstrueusement mal distribué, pâtissant de la déliquescence des studios d’animation et nimbé d’une aura expérimentale difficilement exploitable, La Belladone de la Tristesse marquera la fin de la Mushi, ponctuée par le départ de Tezuka. Une œuvre catastrophique, in fine… mais pétrie d’ardeur, d’influences picturales, et d’inventivité.
- Copyright Eurozoom distribution
Belladonna, réalisé par Eiichi Yamamoto, est librement inspiré d’un essai de Jean Michelet, La Sorcière, sorte de conte libertaire parcourant les thèmes de la féminité et de la sorcellerie au Moyen Âge. Drastiquement heurtée par des restrictions techniques, l’œuvre est essentiellement composée de panoramiques sur de longues frises ou de travellings optiques sur des aquarelles à l’expressivité viscérale, aux courbes évocatrices de l’Art nouveau. L’animation minimaliste du film laisse place à une prolificité créatrice débridée, apte à transcender les aspects fantasmatiques du récit en exploitant l’intensité d’images souvent statiques. L’emploi d’une myriade de codes esthétiques distincts, unis par la vision artistique radicale de Kuni Fukai (et impérialement structurés par un montage d’une efficience rare), subliment du reste les impacts émotionnels provoqués par la kyrielle de ruptures de ton rythmant le métrage. Oscillant entre volutes klimtiesques et monstruosités quasi cubiques, Belladonna est hypnotique, violent et plein de volupté… D’aucuns pourraient l’ériger en acte artistique absolu (presque anti-cinématographique au sens littéral du terme, si l’on exclut la virtuosité d’un montage générateur de mouvement), passant outre les limitations imposées par sa forme pour rendre princièrement grâce à son fond. Jeanne, jeune vierge violée par son seigneur, est magnifiée par la découverte et l’assouvissement progressif de sa sexualité. À mesure qu’elle offre son corps au démon, l’obsession nourrie par les modestes gens à son égard croît - et les couleurs de se succéder, et les traits de s’affirmer, et la profusion stylistique de s’épanouir… La substance épouse le propos à la manière d’un orgasme.
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Comment ne pas admirer la force sensitive de Belladonna ?
Dans une série d’éclats oniriques, articulés – à l’instar de l’hétérogénéité de l’ensemble - par une bande originale grevée de leitmotivs déchirants et de morceaux allant de l’acid jazz au rock psychédélique (et par les voix des illustres Aiko Nagayama et de Tatsuya Nakadai, rompant avec la rigidité de l’animation), Belladonna propose au spectateur un torrent de passion. Dans un Moyen Âge régi par la mort, où tout ne semble être que violence, famine et maladie, l’émancipation graduelle d’une femme entraînant dans son sillage un petit peuple tyrannisé et rongé par l’obscurantisme enfante une œuvre d’une beauté prodigieuse, dans laquelle l’ignominie du viol et les bacchanales orgastiques parviennent à être retranscrites avec lyrisme… Si la singularité du film risque d’en révulser certains, l’indifférence ne sera jamais de mise devant cette belladone si pleine de vie… et la place qu’elle ravit dans un ultime tableau.
Entre Orient et Occident. Sublime à jamais.
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