De l’homme ou de la bête, qui est le monstre ?
Le 8 décembre 2015
Ron Howard offre une relecture vibrante de Moby Dick, dans un blockbuster à échelle humaine, entre classicisme et modernité. Et se paye le luxe, l’air de rien, de faire un peu de politique.
- Réalisateur : Ron Howard
- Acteurs : Ben Whishaw, Brendan Gleeson, Chris Hemsworth, Benjamin Walker, Tom Holland
- Genre : Drame, Film de monstre
- Nationalité : Américain
- Date télé : 21 octobre 2016 21:02
- Chaîne : Canal +
- Date de sortie : 9 décembre 2015
L'a vu
Veut le voir
Ron Howard offre une relecture vibrante de Moby Dick, dans un blockbuster à échelle humaine, entre classicisme et modernité. Et se paye le luxe, l’air de rien, de faire un peu de politique.
L’argument : Au début du XIXème siècle, à l’aube de la révolution industrielle, le baleinier Essex quitte la nouvelle Angleterre et met les voiles direction l’océan pacifique. A son bord, le capitaine George Pollard et son second Owen Chase vont devoir faire face à une terrible et immense baleine surgie des profondeurs de la mer. S’engage alors une lutte pour la survie de l’équipage contre un monstre inconnu.
Notre avis : Les premiers plans, sous-marins, sont un peu sentencieux. Une voix solennelle évoque les mystères encore inconnus de l’océan, au cas où on n’était pas bien sûr du film qu’on allait voir. Ces premières images s’en vont rapidement. Le ton solennel aussi, pour ne plus revenir par la suite. Le titre du film apparaît, et le spectateur est vite ramené sur la terre ferme. Le halo d’un phare vient régulièrement éclairer l’image, de la ville d’Essex d’abord, puis les visages d’un vieux couple. Comme si Ron Howard, malgré la reconstitution numérique de la ville, voulait nous faire croire qu’il filmait en éclairage naturel. Faire croire, c’est peut-être la définition première du cinéma. Pour le spectateur, y croire, c’est douter, d’abord. A l’instar des marins, incrédules quand ils entendent pour la première fois l’histoire d’une baleine tueuse, on se dit qu’on va avoir du mal, justement, à y croire. Il faut donc le talent d’un vieux routard du cinéma pour réussir un grand écart périlleux : convoquer l’imaginaire du mythe de Moby Dick, et l’intégrer à une histoire dont on apprend qu’elle a vraiment eu lieu. Entre film de fiction et reconstitution historique autour d’un récit connu de tous, Ron Howard construit un film de valeurs. Valeurs humaines d’abord. Au cœur de l’océan est un film qui convoque les grands sentiments. Les hommes y sont courageux, parfois lâches, souvent cupides. Les marins portent des noms de marins, les femmes pleurent le départ des hommes pour de longs mois en mer, et le sens du sacrifice, comme de la survie, sont maintes fois célébrés.
- © Warner Bros
Naïf, Ron Howard ? Habile, plutôt, quand il s’agit d’insuffler, au sein de ce film d’un classicisme assumé, un discours jamais sentencieux sur l’homme, sa cupidité, et sa tendance à exploiter la nature sans y faire attention. Tendance de l’homme, aussi, à exploiter les autres hommes, les pauvres, les paysans, pour s’enrichir sur leur dos. Marxiste, Ron Howard ? On ne fera pas ce grand écart. Pas sur, pourtant, que la Fox aurait produit un tel film.
Avant d’être le film de monstre tant attendu, Au cœur de l’océan est donc un film sur les hommes, et leur égalité face à mère nature lorsque celle-ci décide de rendre les coups. Les privilèges tombent, le capitaine nanti et son second, fils de pêcheur, se retrouvent face aux mêmes dangers, et en viennent aux mêmes extrémités. « A quoi bon donner de l’eau à un mort ? », chuchote un naufragé à son compagnon, alors qu’un autre, à l’agonie, reçoit sa ration d’eau quotidienne. Ou quand la survie de chacun devient une affaire comptable, jusqu’à cette scène, terrible, où l’on tire à la courte paille pour savoir qui se sacrifiera afin de servir de nourriture aux autres.
- © Warner Bros
Qu’on se rassure, le film de Ron Howard n’en néglige pas pour autant sa créature, dont la première apparition, aussi furtive que dévastatrice, est un beau moment de cinéma. Un mouvement dans l’eau, une ombre sous-marine, et une nageoire, immense, qui se dresse et s’abat sur les hommes. A l’instar de Bong Joon-Ho dans The Host, autre fameux film de monstre, Ron Howard ménage les apparitions de la bête. Les morceaux de bravoure ne manquent pourtant pas, d’une sanglante chasse aux baleines lourde de conséquences en passant par une tempête spectaculaire. La mise en scène assure l’immersion dans les éléments déchaînés, sans jamais sombrer dans la surenchère, et Ron Howard filme son bateau comme il filmait les bolides dans Rush. Il n’hésite pas non plus, dans une éprouvante scène de boucherie autour d’un dépeçage de baleine, à insérer une touche d’humour noir bienvenue. Notons d’ailleurs le travail formidable du directeur de la photographie Anthony Dod Mantle, qui donne du corps aux images et le goût du sang, baignant les décors et les personnages dans une lumière presque irréelle.
Un mot, enfin, sur le casting. De Brendan Gleeson à Ben Wishaw, en passant par Cillian Murphy, qu’on est heureux de retrouver dans un rôle émouvant, difficile de trouver à redire sur le choix des acteurs. Pour autant, c’est bien Chris Hemsworth qui rafle ici la mise. S’il fallait encore douter du talent de l’acteur australien, il faut le voir, regard bleu perçant et voix grave, tenir son personnage, pourtant archétypale, avec une conviction et une sincérité sans faille, déjà à l’œuvre dans Rush. C’est peut être là que réside tout son talent. Du beau gosse tête brûlé au courageux et viril marin, jouer avec la même ardeur, et nous faire oublier, par la seule grâce de son talent, que l’on a déjà vu ça cent fois. Grand film qui s’ignore, trop humble pour s’afficher comme tel, Au cœur de l’océan est donc ce beau geste d’un réalisateur en pleine possession de son talent. Un des plus beaux films de l’année, qui offre à sa créature marine un dernier plan tout à l’image du film, chargé en émotion, poétique et libérateur.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.