Le 7 novembre 2016
Entre comédie cinglante et constat amer d’une société, la nouvelle série portée par Donald Glover, derrière et devant la caméra, est un bijou sans aucune limite, défonçant férocement toutes les portes fermées d’une Amérique et ses travers. Incontestablement la plus grande nouveauté de l’année.
- Acteur : Donald Glover
- Genre : Comédie, Drame
- Nationalité : Américain
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Résumé : Deux cousins se tournent vers la scène rap d’Atlanta. Mais leurs points de vue opposés sur la différence entre art et commerce, le succès et les éthnies ne vont pas leur faciliter la tâche.
Notre avis : Atlanta, cette série sur le hip hop qui n’en est pas une...
A tout casser, une douzaine de morceaux à peine doivent significativement s’élever au sein des 10 épisodes de cette saison, axés avant tout sur la vie de 3 galériens plus qu’à la carrière de l’un d’eux dans le milieu du rap. Formellement, même si le sujet ne ment pas complètement sur la marchandise, nos dents (et celles de Glover et sa bande) ne s’affûtent pas tant sur ce genre musicale et son business, avec le plaisir de savourer une bande originale bien mise en avant. La série refuse de verser dans une coolitude factice, et derrière son humour ravageur se cache une satyre plus ou moins rentre-dedans (où le manque de subtilité décuple un peu plus la jouissance éprouvée), mais toujours cinglante.
- Copyright : FX
Car avec Atlanta, le rire se fait plus souvent jaune et nerveux, qu’hilare et enjoué. Dans cette excursion à l’intérieur des ghettos d’Atlanta et sa communauté afro-américaine, avec une ou deux escales dans la bourgeoisie, la gêne imbibe fréquemment l’esprit du spectateur, avant tout grâce à ses personnages complètement déconnectés de la réalité, même lorsqu’ils ne sont pas défoncés à la marijuana. Il s’instaure aussitôt un climat surréaliste, où l’esprit ralenti de notre trio contaminerait presque le nôtre, dans cet univers calqué sur une réalité rendue malaisante par l’écart impressionnant entre les réactions de nos personnages et celles auxquelles on s’attendrait. Étrangement, cette passivité accentue la gravité d’une série usant de son décalage pour produire le rire, ainsi qu’une réflexion glaçante, si bien qu’elle collectionne les moments cultes au fil de la saison.
Cette déconnexion affecte même la structure des épisodes, unitaires entre eux. Aucune connexion ne rattache les portions de 20 minutes (excepté pour les deux premiers épisodes, séparés de seulement quelques heures), à l’image des bribes de vies de nos personnages, insignifiantes sur le long terme, stagnant dans cette même galère, encore, et encore, rencontrant des personnages que l’on ne reverra plus jamais, des histoires d’un soir, des péripéties judiciaires qui n’iront jamais plus loin que des palabres, paradoxe lorsque même la télé locale propage l’information. Atlanta est hors du temps, et ses personnages en ont bien conscience.
- Copyright : FX
Dans ce contexte, le show se fout de conforter le spectateur, jusque dans sa structure, si bien que, dans une liberté artistique que l’on devine totale, Donald Glover perturbe momentanément son récit dans des hors-séries si culottés et imprévisibles qu’ils ne peuvent créer un consensus. Néanmoins, Atlanta nous a t-elle déjà racontés une histoire ? Devant l’image complète formée par cette première saison, on se retrouve en position pour le remettre en question. Même son postulat de base, la série ne le respecte pas. Chaque épisode ne représente qu’une infime partie de vie structurée (une soirée, ou un après-midi par exemple) afin de saisir l’occasion de faucher sévèrement différents éléments de la société américaine, illustrer, et le clivage séparant les blancs des noirs, et le communautarisme effarant d’absurdité, comme cet épisode où un riche blanc rêve d’être noir, convaincu d’être dévolu à leur cause, révélateur dans sa stupidité du gouffre qui sépare l’un de l’autre. Difficile d’exhaustivement établir une liste des victimes ciblées par la série tant elles sont nombreuses, de nouvelles à chaque épisode, avec un sacré pic lors du surprenant et jubilatoire épisode 7, B.A.N., Brutale Attaque Narquoise, gros parpaing à l’écriture incendiaire envoyé dans les dents des programmes télévisuels américains, que les chaînes afro-américaines copient allègrement, prônant une différence et des émissions soit-disant dédiées à leur audimat, mais avec le même enrobage indigeste.
- Copyright : FX
Atlanta invite incontestablement à la réflexion, appelle derrière son génie comique à l’interpellation, à notre conscience, notre sens moral et nos émotions, preuve de la portée incommensurable du show (mention spéciale pour l’épisode 2, effrayant de véracité). Pour autant, sa raison d’exister ne se limite pas à son étude sociologique grisante, construite justement à partir de personnages et leurs aventures, et non pas l’inverse. Toute la série centralise son propos autour d’Earn, Paper Boi et de Darius, trio mémorable car développé avec un touchant amour, presque tendre, pour une façon de vivre reposant sur la recherche d’argent et la volonté d’assurer à ses proches un avenir décent, même si cela inclut vendre de la drogue, s’incruster dans des événements privés ou accepter des invitations de tout et n’importe qui / quoi. Atlanta ne juge pas, le spectateur non plus, tant la plongée dans ce quotidien aussi absurde qu’âpre engendre par sa dimension coup de poing une identification directe, comme une compréhension immédiate de chacun des actes de nos personnages (bien que leurs réactions se détachent totalement d’une quelconque réalité tangible, telle qu’on pourrait se la représenter en tout cas). Aux existences routinières, quasiment dénuées de sens, autre que vivre pour vivre, un constat doux et amer remonte à la surface. Paper Boi n’avance pas dans le rap, tantôt considéré comme une star, tantôt ignoré par la masse, fruit d’une célébrité vacillante, voire éphémère. Rien de bien nouveau au final dans l’existence d’Earn, qui voyait en son cousin le moyen de se sortir de son existence moribonde. Dans un final plein de mélancolie, la constatation de son échec s’avère douloureuse : la dèche persiste. Comme sa bonté et son sens du sacrifice.
Un état des lieux est dressé. Mais également un mode de vie et de pensée.
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