Le 9 mars 2024
Lire ou relire Mahmoud Darwich, c’est se plonger dans un verbe par-delà les métaphores, si souvent engagé, mais aussi empreint des simples plaisirs qui s’offrent à tous.
- Auteur : Mahmoud Darwich
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Poésie
- Nationalité : Palestine
- Traducteur : Elias Sanbar
- Date de sortie : 1er juin 2009
- Plus d'informations : Site de l’éditeur
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Résumé : L’ouvrage se propose de faire découvrir sept recueils de poèmes de Mahmoud Darwich, tous publiés entre 1992 et 2005, entre exil, paix et amour de la nature.
Edition dirigée par Farouk Mardam-Bey
Critique : Tenir dans ses mains une anthologie de l’œuvre de Mahmoud Darwich relève de la gageure. Comment faire le tri dans la vie, dans la production gargantuesque d’un homme qui, en Palestine et dans le monde arabe, jouit d’un statut qui dépasse celui de poète ou d’artiste. Certes, Darwich enchante autant qu’il impressionne par la douceur de ses rimes, mais il peut surtout se targuer d’avoir peu d’équivalent en matière de postérité. Dans le monde occidental, il se trouverait peu de poètes à même d’engendrer, à leur mort, des funérailles nationales, telles que celles qui eurent lieu à Ramallah en 2008, lorsque Mahmoud Darwich décéda.
En exil
Déraciné dès sa naissance, Mahmoud Darwich tire de son parcours, malgré lui, un des thèmes principaux de son œuvre : l’exil. Dès son plus jeune âge et après une prime enfance paisible à Al Birwa, alors encore en Palestine, le voilà chassé de ses terres par les forces israéliennes. Plus tard, alors qu’il s’engage de plus en plus fermement contre les injustices que vivent ses confrères arabes, de toutes obédiences, en Israël, il goûtera à la prison, à l’assignation à résidence et sera forcé à l’exil. Avant de revenir à Ramallah, en terre palestinienne, à la fin de sa vie, le voilà qui erre partout dans le monde, pas seulement arabe. Même Paris aura l’honneur de l’accueillir.
L’exil traverse donc cette anthologie, et notamment le premier recueil que Farouk Mardam-Bey choisit de répertorier : Onze astres. La capacité de Darwich à brouiller les limites entre vers et prose s’y retrouve, ainsi que son irréductible verve humaniste. Sa hantise concernant la notion d’héritage, aussi. Que devient une maison qu’on abandonne ? Un peuple qu’on déplace ? La terre sur laquelle il s’était établi ? Dans Le discours de l’homme rouge, nous lisons par exemple son propos dénué de haine, plein d’empathie, qui prône la cohabitation, le partage, souligne une constante : l’absurdité de la conquête par la guerre et la destruction, arguant notamment, dans ce cas, que les Blancs qui prennent la terre des Indiens lors de la découverte de l’Amérique se tueront eux-mêmes, en tuant la terre qui les nourrit.
Un homme poétique et politique
Ce discours est décliné tout au long de l’anthologie jusque dans des formes plus directes, marquées du sceau du réel. Ramallah, 2002. Les forces israéliennes assiègent la ville. Mahmoud Darwich s’y trouve et témoigne de ces instants d’horreur par les mots, regroupés dans Etat de siège, et dont on retrouve quelques fragments dans l’édition qu’aborde cet article. Ils sont furtifs, parfois dans l’adresse directe aux soldats israéliens pour les arracher à leur violence aveugle, se demandant ici comment un peuple qui a tant souffert peut faire tant souffrir, ou là invitant le frère israélien au partage :
Vous, qui vous tenez sur les seuils, entrezEt prenez avec nous le café arabe.
Ses engagements politiques, que nous ne faisons qu’effleurer ici, se matérialisent en activisme à plusieurs reprises dans sa carrière. D’abord avant son départ de Palestine, quand il milite pour les droits des Arabes, et qu’on diffuse ses articles et poèmes en secret. Puis, en tant que membre exécutif de l’OLP (Organisation de la Libération de la Palestine), auprès de la figure majeure de Yasser Arafat, président de l’autorité palestinienne de 1996 à 2004, dont quelques discours furent écrits par Darwich, et qui pouvait compter sur le soutien et l’aura du poète pour défendre l’idée d’un processus de paix. Les vers de Darwich résonnent comme des poignards aujourd’hui, en 2024.
Humour et éveil à la beauté
Mais Darwich, c’est aussi l’émerveillement face à la nature, et une forme de légèreté joliment mise en lumière dans l’ouvrage. Dans le recueil Comme des fleurs d’amandier ou plus loin, par exemple, on se gargarise d’une profonde ironie, alors qu’une jolie femme refuse visiblement des avances à l’auteur dans Elle n’est pas venue. Ce dernier montre aussi ce que la mort a de cocasse dans Je ne connais pas cet inconnu, et nous fait jouir de son extraordinaire aptitude à restituer la beauté simple d’un arbre, en particulier l’amandier. Celui-ci parsème son œuvre, en plus d’offrir des métaphores délectables à travers les yeux des jolies femmes, dont la forme en amande constitue l’un des nombreux signes de beauté.
Puisque les yeux, en amande ou pas, sont à l’honneur, n’oublions pas qu’ils profitent ici de la langue arabe, pour laquelle la frontière entre écriture et calligraphie s’écrit en pointillé. L’édition a en effet le bon goût d’être bilingue. Les oreilles, elles, prêteront attention à une autre délimitation floue : poème et chant se mêlent quand se prononcent les mots de Darwich. A cet égard, il est impératif d’aller écouter Darwich lui-même clamer ses poèmes, ce qu’il faisait dans des stades parfois pleins de milliers d’auditeurs, dans les compilations qui fleurissent sur Internet.
Une telle anthologie ne peut espérer mieux que survoler un tel parcours et l’on regrettera d’ailleurs un léger manque de contextualisation. Lire cette anthologie, ou toute autre production de Darwich, est nécessaire pour comprendre à quel point la littérature peut porter des causes, des peuples, et marquer un pan d’histoire. Celui de la littérature arabe du XXème siècle voit Darwich s’élever au rang de ses héros et hérauts les plus fameux.
Pour retracer la vie de Mahmoud Darwich : https://www.arte.tv/fr/videos/112919-001-A/la-palestine-de-mahmoud-darwich/
11.00 x 17.60 cm
320 pages
Traduction de l’arabe au français : Elias SANBAR
Prix indicatif : 9.20€
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