Les parents (et enfants) terribles
Le 1er février 2012
Première réalisation d’un jeune scénariste doué, cette comédie vacharde alterne couteaux dans la plaie et baumes au cœur pour mieux disséquer le calvaire familial. Jouissif et prometteur.
- Réalisateur : Sam Levinson
- Acteurs : Ellen Barkin, Thomas Haden Church, Demi Moore, Ellen Burstyn, Ezra Miller
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Américain
- Durée : 1h55mn
- Date de sortie : 1er février 2011
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Première réalisation d’un jeune scénariste doué, cette comédie vacharde alterne couteaux dans la plaie et baumes au cœur pour mieux disséquer le calvaire familial. Jouissif et prometteur.
L’argument : Lynn débarque chez ses parents pour le mariage de son fils aîné, Dylan. Elle est accompagnée de ses deux plus jeunes fils, Ben et Elliot. La propension de ce dernier à mélanger alcool, drogues et médicaments ne le prive pas d’une certaine lucidité sur la joie des réunions de famille.
Et la réunion, de fait, est joyeuse : grands-parents réac, tantes médisantes, cousins irrémédiablement beauf... Sans compter le premier mari de Lynn qui arrive flanqué de sa nouvelle femme tyrannique.
Chaque matin annonce décidément un nouveau jour de bonheur.
Notre avis : Les réunions de famille au cinéma, on a déjà donné. Crêpages de chignon, rancœurs larvées et petites hypocrisies en série sont souvent les prétextes à un grand dynamitage des valeurs sûres, à l’occasion d’anniversaires (Festen), de deuils (La famille Tenembaum, Joyeuses funérailles) ou de noces (le récent Melancholia, le bien nommé Mariages !). C’est cette dernière option que reprend Another happy day, dont on peut saisir l’ironie (un peu facile) dès le titre : dans une bourgade du sud des États-Unis, Dylan s’apprête à passer la bague au doigt de sa bien-aimée, sous l’œil de ses parents qui eux-mêmes, jadis, se sont déchirés et partagés la garde de leurs enfants. Foyers éclatés, tribus plus ou moins recomposées, caractères borderline – parfois à la limite du cas psychiatrique – viennent encore pimenter la fête.
Qu’est-ce que Sam Levinson peut apporter de nouveau au genre ? Malgré ses airs de déjà-vu, Another happy day se distingue grâce à un ton à la fois cruel, juste et décalé. Pour sa première réalisation, le fils de Barry Levinson n’a pas choisi la facilité : adolescent drogué à la morphine, femme battue, automutilation sont les manifestations les plus spectaculaires d’une dépression généralisée, proche de la névrose ou d’une folie rampante. « Est-ce qu’il y a un problème avec moi ? Est-ce la faute de mes gênes ? » se demande Lynn (Ellen Barkin), figure centrale de cette galerie perturbée. Autant de réjouissances que le film a le bon goût de traiter sans détours, tout en les désamorçant par l’humour. Un humour noir, vachard, que l’on retrouve d’abord dans des dialogues extrêmement ciselés, puis dans des situations fictionnelles d’une réelle complexité. Quid, de la mère biologique absente ou de la belle-mère opportuniste, pour accompagner le fiston à l’autel ? Comment renouer les liens avec sa fille aînée lorsqu’on l’a traumatisé dans sa petite enfance ?
Levinson aborde les questions de la mort, du suicide ou de la dépression avec une crudité qui évoquerait presque, dans le même genre, Un Conte de Noël – l’affiche française d’Another happy day est d’ailleurs une reprise quasi-identique de celle de Depleschin. La famille, loin de la valeur-refuge que peut nous vendre un certain modèle de vie, y est un lieu d’asphyxie qui ne fait qu’accélérer la chute de l’individu au lieu de la freiner (formidables séquences où les parents et les soeurs de Lynn, totalement monstrueux, refusent tout soutien à leur fille et prennent le parti de son ex-mari). De fait, les filiations qu’on pourra trouver à Sam Levinson seront nombreuses, à rechercher dans la tradition d’auteurs issus du théâtre (ou qui y ont travaillé) ayant trouvé une fortune particulière dans le 7e Art : un peu de Mike Leigh (en plus brutal), une pincée de Woody Allen (en plus méchant), une bonne louche de Robert Altman (en moins guindé). Ayant débuté sur les planches, Levinson en ramène une précision et un équilibre qui servent parfaitement son portrait de groupe. Incontestable réussite en écriture, son long-métrage a été justement récompensé d’un prix du meilleur scénario au dernier festival de Sundance.
Cette théâtralité, cependant, ne va pas sans quelques défauts. Another happy day prend parfois le risque d’enfiler les cas sociaux comme des perles, quitte à ne pas savoir tous bien les gérer en même temps, voire à tomber dans le cliché à l’occasion. Ainsi, le fossé entre ploucs sudistes et intellectuels new-yorkais n’est pas ce qu’on verra de plus révolutionnaire cette année, tout comme le traitement des habitants du Maryland comme des beaufs abrutis et médisants. Ce sentiment de caricature, certes épisodique, est redoublé par les numéros d’un casting all stars (par ailleurs impressionnant) qui, avec un tel texte en bouche, menace plus d’une fois de verser dans la ’’performance’’ à Golden Globes. Sauf que, là encore, les qualités et les défauts se compensent : pour une Ellen Barkin irritante en mère de famille hystérique et éplorée (mais l’agacement que provoque l’actrice colle assez bien à son rôle, pourra-t-on arguer...), on gagne par exemple une Demi Moore absolument volcanique en belle-maman bitchy, assumant fièrement sa quarantaine bien tassée et offrant ici l’une des meilleures compositions de sa carrière, avec un sens de l’auto-dérision qu’on lui connaissait pas. A la tête d’un casting de haute volée (Kate Bosworth touchante en jeune femme fragile et combattive, Ellen Burstyn toujours époustouflante en grand-mère sans cœur planquée derrière un masque de dignité), le jeune Ezra Miller, révélé dans le tétanisant We need to talk about Kevin, occupe les postes d’observateur distancié et confirme son aisance à incarner les petits cons cyniques, parvenant à tenir la dragée haute à tout ce beau monde.
Côté mise en scène, le talent de Levinson est presque aussi affirmé. Malgré son scénario très bavard et écrit, sa réalisation refuse le statisme : peu de pénibles champ-contrechamps en intérieur à déplorer, mais une caméra mobile, une réalisation qui n’hésite pas à composer de purs blocs scéniques, orchestrer des mouvements élégants, varier les tons ou les régimes d’image (voir les inserts en caméra vidéo par exemple). Rien d’extraordinaire sans doute, et Levinson n’évite pas toujours les pièges d’une certaine imagerie ’’indé’’ ou les tics du débutant (manière habile, mais un peu trop systématique, de ’’couper’’ la scène sur un bon mot pour mieux la ponctuer), mais l’ensemble se révèle prometteur. Another happy day accuse malheureusement ses limites dans un dénouement frustrant, en queue de poisson, qui n’a manifestement plus rien à dire sur les sujets auparavant esquissés ; pour autant, pas impossible que Levinson s’assure une place de choix dans la liste des ’’jeunes talents à suivre’’. On prend les paris ?
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