Le 25 avril 2011
- Réalisateur : David Michôd
Attention, on ne vous le répétera jamais assez, Animal Kingdom est un choc. Un polar d’un pessimisme et d’une noirceur totale qui va vous bouleverser. Découvrez l’interview du réalisateur, un jeune premier australien qui pourrait bien aller très très loin.
De passage en France en décembre 2010 pour faire la promo de son premier film, David Michôd n’avait pas encore reçu la ribambelle de statuettes australiennes qui l’attendait trois mois plus tard en 2011. Toutefois son film, Animal Kingdom, présenté à Sundance au début de l’année 2010, avait déjà connu les honneurs des récompenses et un sacré succès public dans son pays de l’hémisphère sud. La rencontre avec ce cinéphile talentueux, humble mais déterminé et intelligent, a été à la hauteur des attentes générées par son implacable thriller noir qui sort dans les salles françaises ce mercredi 27 avril. Une oeuvre bouleversante au pessimisme prégnant à découvrir impérativement !
aVoir-aLire : Vous avez commencé votre carrière dans la presse australienne...
David Michôd : J’étais rédacteur en chef d’un magazine intitulé Inside Film. C’est une revue spécialisée dans le business de l’industrie du cinéma. Cela m’a permis de faire beaucoup de rencontres déterminantes.
Est-ce que cela vous a servi de tremplin pour réaliser vos courts métrages ?
Non, en fait j’avais fait une école de cinéma auparavant. Mais en sortant, j’avais besoin d‘argent et d’une structure pour m’établir comme réalisateur. Le magazine payait bien...
Vous avez trouvé vos premiers financements comment ?
Les courts ont été produits par des gens que j’avais rencontrés à travers le magazine ; ils s’intéressaient à la production mais n’avaient pas vraiment eu l’occasion de passer à l’acte auparavant. On était tous novices.
Est-ce que déjà dans ces courts le crime était au cœur de vos préoccupations ?
Pas vraiment. Mais l’un était déjà sur un gamin qui se retrouvait piégé dans un monde destructeur. Je suis passé par là pour pouvoir trouver les financements d’Animal Kingdom que j’avais déjà en tête. Mais les gens autour de moi ne me croyaient pas prêt à réaliser une œuvre aussi forte et brutale. Ou bien ils ne comprenaient pas où je voulais en venir avec cette histoire de famille de criminels. La présentation du court métrage Crossbow à Sundance, a été un vrai succès. Le film m’a valu tout un tas de récompenses. J’ai compris à ce moment là qu’Animal Kingdom allait pouvoir se concrétiser !
Votre polar est une tragédie qui se déroule sous des auspices très hospitaliers : le soleil, un quartier pavillonnaire a priori tranquille... Etait-ce un défi pour vous de mettre en scène un film aussi sombre sous ce soleil de plomb ?
Non, pas vraiment. Je tenais à réaliser un thriller ténébreux en plein milieu de l’été, à Melbourne. Il y a toujours des moments où la température suffocante vous fait devenir fou. Quarante-cinq degrés ... on peine alors à bouger. Cette apathie en devient presque malsaine. Juste avant le tournage, la ville avait été ravagée par un incendie meurtrier qui avait tué plus de 200 personnes, la température avait atteint 47° en journée. Personne ne savait cet après-midi-là que des gens allaient mourir un peu plus tard, pourtant on ressentait bien qu’il y avait quelque-chose de quasi maléfique en ville.
Vous utilisez le terme « maléfique », mais justement, c’est ce qui nous vient à l’esprit lorsque l’on découvre l’impressionnant générique d’ouverture d’Animal Kingdom. Il est particulièrement pesant et plombe immédiatement le moral du spectateur.. Quelles émotions cherchiez vous à communiquer à travers lui ?
Je voulais que l’introduction soit imposante et riche. Je n’avais pas en tête de faire un petit film social réaliste, ni un film de gangsters rock n’ roll et plein d’entrain. Je voulais, dès les premières minutes, créer un sentiment de menace, de tragédie pesante à partir de documents réalistes. Le générique propose ainsi des images de caméra de sécurité, des scènes de braquage alors qu’ironiquement ce film, qui parle de braqueurs, ne montre jamais la moindre scène de ce type. Je voulais que ce générique communique clairement les dangers et les ténèbres du monde qui attend le jeune Joshua à la mort de sa mère, quand il rejoint sa grand-mère et tout le reste de sa famille.
Contrairement aux films de gangsters américains qu’on a l’habitude de voir aujourd’hui, vous vous basez sur une communauté criminelle blanche qui s’éloigne de l’ambiance des ghettos de beaucoup de productions sur la mafia. Quel est, selon vous, la grande différence entre votre approche et celle des polars made in USA ?
Une chose qui caractérise Melbourne ou certaines grandes cités australiennes, c’est que le crime ne se limite pas à des quartiers difficiles et donc aux ethnies pauvres qui les peuplent. Certes, il y a des gangs vietnamiens ou libanais. Il y a aussi une longue tradition de mafias italienne et australienne, mais aujourd’hui on remarque, encore une fois, surtout à Melbourne, que le crime sévit aussi bien dans les classes populaires que dans la classe moyenne, et que les blancs sont tout aussi actifs dans le domaine.
Vous utilisez dans le titre la métaphore animalière. Quels animaux d’après vous représenteraient le mieux cette famille de gangsters.
Je ne m’étais jamais vraiment posé la question. Mais c’est vrai, que l’on pourrait comparer les protagonistes à différents animaux. Les flics corrompus et les avocats véreux nous rappellent un peu les sangsues et les parasites. Quant à James (Frecheville, l’acteur principal du film), quand je le dirigeais avec ses oncles, je lui demandais d’imaginer qu’il était au milieu de fauves, dans une cage. Je lui suggérais d’éviter de faire du bruit, de croiser leur regard ou bien de faire certains mouvements. Je voulais qu’il essaie de se faire invisible, car dans la fratrie qui l’accueille, il y a quelque chose d’imprévisible chez ces hommes. Un faux-pas et il pourrait être dévoré tout cru.
Au centre de ce film de malfrats et de flics, au milieu de tous ces hommes, on retrouve une femme, mais pas n’importe laquelle : la grand-mère de Josh. C’est probablement le personnage le plus ambigu du film et, derrière ses sourires et ses atours de vieille femme digne, se dissimule peut-être le personnage le plus dangereux. Comment qualifieriez-vous le personnage joué de façon incroyable par Jacki Weaver ?
C’est effectivement le personnage le plus dangereux, mais aussi le plus complexe dans cette famille. Mais c’est aussi paradoxalement un personnage animé par des choses simples. Des besoins et des désirs primitifs. Elle aime sa famille et surtout l’idée d’être la matriarche, la seule femme au cœur de la meute. La performance de Jacki est à cet égard vraiment sensationnelle. Elle offre toute l’ambiguïté que nécessite cette dévotion maternelle, quasi sexuelle, tout en feignant une naïveté qui n’est qu’apparente. Cette mère est capable de faire preuve d’un grand pragmatisme quand sa famille est atteinte, alors elle révèle son vrai visage de louve.
Au début du film, le personnage adolescent de Josh découvre sa mère morte d’une overdose. Il appelle sa grand-mère et, en attendant sa venue, regarde à la télévision un programme de télé réalité. Ne le sacrifiez-vous pas dès la première scène, comme victime d’un déterminisme social insoutenable, puisqu’en gros, on comprend alors qu’il quitte un contexte familial affreux pour se frotter à d’autres problèmes, peut-être bien pires encore ?
On peut voir effectivement un personnage sacrifié dès les premières scènes ou au contraire voir sa trajectoire comme une opportunité d’initiation dans l’adversité. Josh ne connaît pas d’autre monde que celui de sa famille et c’est à lui de se trouver sa place, de faire un choix entre le bien et du mal.
A travers Josh, aviez-vous l’intention de dresser le portrait d’une jeunesse paumée, aliénée par la télévision et plus généralement par la société qui l’entoure ?
Exactement. Quand j’ai écris son rôle, je tenais à ce qu’il soit bâti sur des notions psychologiques réalistes, en plus de son évolution de personnage de fiction face à des faits et rebondissements inhérents à un genre. Pour moi, le personnage de Josh est l’archétype de l’ado de 17 ans, dans son allure maladroite, ses balbutiements. On ne dirait pas qu’il pense, on a même l’impression qu’il est un peu attardé. Mais au fond, on réalise peu à peu qu’il cogite énormément, qu’il est très actif. C’est juste qu’il n’arrive pas encore à s’exprimer correctement. Et c’est justement ça, devenir un adulte, pouvoir s’exprimer...
Comment avez-vous convaincu une star australienne aussi reconnue que Guy Pearce, de jouer dans votre premier long ?
Son aval au projet a été très réconfortant pour moi et cela m’a vraiment donné du courage et de la confiance en moi, car il avait été mon premier choix pour le rôle du flic. On lui a envoyé le script et il nous a tout de suite répondu positivement. Je l’ai rencontré, on a parlé pendant une demi-heure, une heure... C’était passionnant.
A-t-il modifié la vision du personnage que vous aviez en tête ?
Non, il m’a donné exactement ce que je voulais et plus encore...
C’est donc votre vision du personnage, un flic plutôt positif, une sorte de figure paternelle pour Josh, que vous montrez à l’écran...
C’est, certes, un personnage très positif, mais il est également très manipulateur. Il n’est pas seulement un homme bien. Il a également un boulot à faire, ce qui implique des manipulations que l’adolescent ne perçoit pas forcément. Il place le jeune dans une situation extrêmement délicate, voire inextricable. Je voulais que ce policier... Je ne sais pas comment sont les flics dans votre pays...
Ils n’ont pas toujours une très bonne image.
En Australie, surtout les détectives, ils ont une manière codée de s’adresser aux gens, un peu comme des robots, avec un langage très technique qu’ils utilisent comme un déguisement. Ils portent l’uniforme de la même manière.
Vous nous décrivez-là Robocop !
Il rit. Non, Robocop a davantage de personnalité que les flics australiens, au moins il a de la classe (attitude, en anglais). En fait, ils essaient de se protéger derrière une sorte de façade. Le défi était de trouver un comédien capable de jouer cela mais avec du charisme.
Après le succès de votre film, notamment aux USA, quelle sera votre prochaine étape ? Hollywood ?
Probablement, je ne sais pas encore. J’y ai passé beaucoup de temps cette année et j’aime beaucoup l’Amérique, j’y ai beaucoup d’amis. Développer un projet aux USA est excitant, il y a de l’argent, du talent, de l’énergie. C’est le business. Mais en même temps, je n’ai pas envie de me retrouver piégé dans cet étau. Pour l’instant, quand j’envisage mon avenir professionnel, je ne le vois pas se restreindre à l’Australie ou aux USA.
Vous avez déjà un nouveau script de prêt ?
J’ai écrit pas mal de choses, j’ai lu beaucoup. J’ai plein d’idées, dans différents genres.
Galerie Photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.