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Le 29 avril 2014
La quête d’identité d’un fils d’immigrés, prêt à abandonner la richesse de son métissage pour s’intégrer.
- Réalisateur : Claudio Giovannesi
- Acteurs : Nader Sarhan, Stefano Rabatti, Brigitte Apruzzesi
- Genre : Drame
- Nationalité : Italien
- Durée : 1h39mn
- Titre original : Alì ha gli occhi azzurri
- Date de sortie : 30 avril 2014
- Plus d'informations : La page Facebook du film
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Cette production italienne, entre le documentaire et la fiction, en donnant la parole aux enfants d’immigrés de façon libre et pertinente, s’avère être un film percutant et nécessaire.
L’argument : Nader, jeune romain d’origine égyptienne, tente de se rebeller contre les valeurs de sa famille. Tiraillé entre le poids de ses origines et son désir d’intégration, courageux et amoureux à l’instar du héros d’une fable contemporaine, Nader, livré à lui-même, va affronter la solitude et la peur, et devra se résigner à la perte d’une amitié pour affirmer sa propre identité.
Notre avis : La collaboration entre le réalisateur Claudio Giovannesi et le jeune Nader Sarhan a débuté en 2007, lorsque le cinéaste a entamé le tournage du documentaire Fratelli d’Italia. Il y suivait trois adolescents italiens d’origine étrangère, qui fréquentaient alors le même collège. Nader, né à Rome dans une famille musulmane d’origine Egyptienne, était ainsi le protagoniste principal du troisième épisode et représentait la seconde génération italienne. Le réalisateur a estimé très rapidement que ce court épisode n’était pas suffisant pour raconter de manière pertinente l’histoire de Nader, à un âge difficile où l’on se cherche et où sa quête de lui-même et de son identité est compliquée par son désir d’intégration qui se heurte à ses racines, auxquelles il est plus attaché qu’il ne le pense.
{{© Bellissima Films }}L’approche du cinéaste, qui est passé du documentaire à une œuvre de fiction, a malgré tout été la même pour les deux films : il s’agit de suivre un groupe de jeunes gens, devenus pour l’occasion des acteurs amateurs qui interprètent leurs propres rôles, tout en faisant en sorte que la caméra s’attarde sur leur regard et le suive.
L’histoire d’amour contrariée entre deux adolescents devient ainsi le prétexte à une quête d’identité délicate pour un jeune homme tiraillé entre sa famille traditionnelle et son désir d’être un étudiant comme les autres. Les lentilles bleues qu’il pose tous les matins avant d’aller au lycée sont le signe de son désir de se fondre dans la masse et d’attirer le moins possible l’attention sur ses origines. En suivant son quotidien pendant sept jours, le film révèle surtout la richesse de la propre contradiction du personnage, dont Nader est trop jeune et immature pour se rendre compte. Le suivre est intéressant précisément parce qu’il manque de recul sur lui-même et sur sa propre vie, qui est en train de changer.
{{© Bellissima Films }}Rien n’est laissé au hasard dans un long-métrage qui met en scène les valeurs morales propres à l’adolescence. L’amitié est ainsi un repère inaltérable : Stefano, l’ami de Nader, est l’être le plus fiable de son existence, bien que Nader ne peut s’empêcher de l’envier. Persuadé que sa naissance en Italie ne suffit pas pour faire de lui, aux yeux du reste de la société, un véritable Italien, il cherche à ressembler le plus possible à ses amis, quitte à en oublier son héritage et les valeurs transmises par ses parents.
Ces liens de fraternité prennent place à Ostie, en bord de mer, puisque le littoral romain est plus multiethnique que la capitale italienne. La filature que la caméra opère sur Nader offre ainsi un large panorama sur la ville, tout en rappelant le mouvement incessant propre à l’adolescence.
{{© Bellissima Films }}Mais entre culture d’adoption et culture d’appartenance, faut-il vraiment faire un choix ? Nader Sarhan parvient, avec générosité, à exprimer toutes les contradictions du personnage à un âge où l’avenir est encore incertain. Toujours en équilibre entre deux univers qu’il adore et où il se sent bien, il ne sait plus sur quel repère s’appuyer, entre son éducation, sa culture et sa religion. L’acteur, récompensé par le Prix d’interprétation masculine au festival Premiers plans d’Angers 2013, capte si bien l’attention du spectateur qu’il devrait sérieusement penser à se lancer pour de bon dans le cinéma. En parvenant à faire du Nader du documentaire un véritable personnage de fiction dans le film, il témoigne d’un travail bénéfique sur lui-même. La fiction a ici aidé à rendre plus neutre et appréciable une réalité qu’il jugeait trop lourde à porter sur ses épaules, son personnage étant perdu entre ses devoirs et ses désirs.
{{© Bellissima Films }}En ayant l’intelligence de montrer le conflit que vivent beaucoup d’enfants d’immigrés à travers les yeux d’un jeune homme dont l’identité est encore en devenir, Claudio Giovannesi s’interroge sur l’intégration et la perte de certains repères culturels et religieux, qui font la richesse de cette génération dont les parents viennent d’ailleurs mais qui est, elle, d’ici.
Comme le disait le poète italien Pier Paolo Pasolini, cité comme influence directe par le réalisateur, dans son recueil de poèmes écrit en 1962-64 et dont est tirée la poésie Prophétie : "abandonnant l’honnêteté des religions paysannes, oubliant l’honneur de la pègre, trahissant la candeur des peuples barbares, derrière leurs Ali aux Yeux bleus, ils sortiront des entrailles de la terre pour tuer, ils sortiront du fond des mers pour agresser, ils descendront du ciel pour voler, et avant d’arriver à Paris pour enseigner la joie de vivre, avant d’arriver à Londres pour enseigner à être libres, avant d’arriver à New York pour enseigner à se comporter comme des frères, ils détruiront Rome et sur ses ruines déposeront les germes de l’Histoire antique."
{{© Bellissima Films }}
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