Le 26 avril 2022
- Dessinateur : Soloup
- Genre : Historique
- Editeur : Steinkis
- Famille : Roman graphique
- Date de sortie : 3 mars 2022
Résumé : La signature du traité de Lausanne donne naissance à la Turquie moderne d’Ataturk, après une guerre sanglante contre la Grèce et le massacre des Grecs d’Anatolie (appelés Grecs pontiques). Ce traité rend obligatoire le transfert des populations grecques vivant sur le territoire turc et inversement : au total, 1,5 millions de Grecs et 500 000 Turcs passent d’un territoire à l’autre. Du côté des Grecs, l’événement est baptisé « Grande Catastrophe » car il s’accompagne de massacres de masse et de déportation dans des camps de travail pour les hommes (les {amele taburu}, de funeste mémoire), et il oblige toute une population à quitter précipitamment des villes qu’ils habitent depuis des siècles. Située en face de l’île de Lesbos (Grèce), la ville d’Aïvali est essentiellement peuplée de Grecs : dès son arrivée, l’armée turque déporte les hommes et terrorise le reste de la population, obligée de fuir sur des navires affrétés par les États-Unis. La population grecque est remplacée par des Turcs qui ont eux-mêmes été contraints de quitter la Crète… un événement déchirant pour des populations qui ont vécu ensemble de façon pacifique pendant des siècles.
Réédition d’un livre publié en français en 2015, Aïvali explore les conséquences terribles du traité de Lausanne de 1922 à travers quatre portraits à hauteur d’hommes et l’histoire familiale de son auteur, Soloup, un dessinateur et caricaturiste grec bien connu dans son pays. L’auteur se met en scène au début et à la fin de cet ouvrage copieux (400 pages) pour rendre compte de son « pèlerinage » à Aïvali et de sa mémoire familiale. Durant son périple, Soloup se dessine en lisant Aïvali, ma patrie de Fotis Kontoglou (1895-1965), célèbre peintre et écrivain grec. L’œuvre de Kontoglou constitue d’ailleurs le point de départ de l’album de Soloup, qui s’inspire de Aïvali, ma patrie pour réaliser les portraits de la ville et raconter les parcours de vies brisées qui sont au cœur de son récit.
- Soloup – Steinkis pour l’édition française
À travers quatre portraits sensibles qui forment autant de chapitres, Soloup met le doigt sur le drame intime vécu par les populations grecques et turques au moment de la guerre puis de l’échange de populations. En dépit de ses origines grecques, l’auteur est équilibré dans son récit des événements, et donne aussi bien la parole aux Grecs qu’aux Turcs. Le portrait du Turc crétois Hasanakis, garçon puis jeune homme qui donne amoureux d’une bourgeoise grecque avant d’être contraint de quitter l’île, contrebalance à cet égard les deux précédents chapitres qui rendent compte de l’extrême violence de l’armée turque à l’égard des habitants grecs d’Aïvali. Et au milieu des exactions de l’armée turque en Anatolie surnagent quelques figures comme le lieutenant Kemaleddin, qui se met en danger pour sauver une famille grecque du massacre. Soloup parvient de cette manière à saisir les événements dans leur complexité historique.
Si Aïvali se caractérise par sa longueur, sa lecture s’avère particulièrement fluide grâce à l’efficacité du trait de Soloup : la capacité de synthèse du caricaturiste est mise au service de la narration. Les planches du dessinateur sont immédiatement intelligibles. Soloup saisit toujours ce qu’il y a de plus important dans les décors, en ne détaillant que ce qui est nécessaire pour définir une ambiance. En dépit de la dureté des événements qu’il raconte, Soloup ne tombe jamais dans le pathos ou dans le voyeurisme. La douleur des protagonistes et l’horreur des événements se lit avant tout sur les visages des personnages.
- Soloup – Steinkis pour l’édition française
Récit équilibré et bien construit, Aïvali offre une clé de lecture bienvenue pour comprendre les relations gréco-turques contemporaines, qui sont toujours marquées par la mémoire de ces événements tragiques.
408 pages – 29 €
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