Le 11 mars 2020
Un road-movie sur les terres désertiques de l’Algérie, aussi fascinant que troublant, qui décortique la puissance de la possession schizophrénique ou du stress post-traumatique, sans jamais en révéler les redoutables mystères.
- Réalisateur : Amin Sidi-Boumediène
- Acteurs : Lyes Salem, Samir El Hakim, Slimane Benouari, Meriem Medjkane, Amin Sidi-Boumédiène
- Genre : Drame, Road movie
- Nationalité : Français, Algérien
- Distributeur : UFO Distribution
- Durée : 2h15mn
- Date de sortie : 15 juillet 2020
- Festival : Festival de Cannes 2019, Semaine de la Critique 2019
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Résumé : Algérie, 1994. S. et Lotfi, deux amis d’enfance, traversent le désert à la recherche d’Abou Leila, un dangereux criminel. La quête semble absurde dans l’immensité du Sahara. Mais S., dont la santé mentale est vacillante, est convaincu d’y trouver Abou Leila. Lotfi, lui, n’a qu’une idée en tête : éloigner S. de la capitale. C’est en s’enfonçant dans le désert qu’ils vont se confronter à leur propre violence.
Notre avis Ça commence par le crime maladroit d’un avocat, dans une rue déserte, qui présage d’une guerre généralisée en Algérie où les attentats et le puritanisme religieux coexistent. Puis le récit transporte le spectateur sans lien aucun, dans une étrange voiture conduite par un homme austère et autoritaire, avec pour passager, un jeune homme pleurnichard et claudiquant. Le mystère s’installe d’emblée dans ce premier long-métrage, laissant présager une multitude d’hypothèses, des plus réalistes aux plus extravagantes. Sont-ils amants ? Non, pas vraiment, et pourtant il y a entre ces deux hommes une très forte affection, mêlée de respect, de rapport de force et de méfiance. S’agit-il d’une prise d’otage ? Pas vraiment non plus, pourtant le jeune homme semble retenu et gardé par l’individu plus âgé. Le réalisateur ouvre des portes innombrables à son récit, à la façon d’un labyrinthe dont naturellement, il se garde de donner toutes les clés et toutes les réponses. En ce sens, Abou Leila a vraiment à voir avec un cinéma elliptique et à tiroirs qui mélange savamment le réel aux cauchemars et aux souvenirs.
- Copyright UFO Distribution
Le propos est éminemment original. Certes, le scénario n’aide pas à une compréhension immédiate du récit en perdant le spectateur entre les rêves, le réel et l’interprétation de ce réel par les protagonistes. Et cependant, à l’instar d’une oeuvre de Lynch, la cohérence d’ensemble se construit peu à peu, même si, à la fin du film, raconter l’histoire paraît difficile. En réalité, Amin Sidi-Boumediène brouille les pistes sans pour autant chercher à raccorder les fils de son récit. Jusqu’au bout, le mystère demeure entier et les questions affluent, ouvrant une multitude d’autres questions. Un bon film est souvent celui qui permet, à l’issue de sa projection, d’engager des débats entre les spectateurs. C’est sans doute l’objectif inavoué du réalisateur que de provoquer les discussions et les issues a priori imaginables ou souhaitables pour les personnages. La musique, anxiogène, rajoute au mystère du récit sur lequel on ne parvient pas à avoir de prise. Le spectateur se perd avec la caméra au milieu de ces routes caillouteuses et de ces montagnes de sable à perte de vue.
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Caractériser un genre pour Abou Leila relève de l’exploit. Le réalisateur explique que son projet de long-métrage est né d’un court qui relatait la chasse au guépard d’un homme recueilli par des touaregs. Mais le scénario ne choisit pas la facilité. La course au félin demeure l’une des facettes de ce western métaphysique mais le film essaime mille et une autres interprétations. Alternativement, le long-métrage passe du fantastique au polar, du thriller au portrait psychiatrique d’un schizophrène, et du récit social au plaidoyer politique. La dénonciation du terrorisme qui lamine l’Algérie dans les années 1990 constitue la toile de fond de ce film. Sidi-Boumediène raconte la violence à travers les marques indélébiles qu’il afflige aux victimes. Le jeune homme est envahi de cauchemars atroces qui le réveillent chaque nuit et le font sombrer dans la folie. Le vrai terrorisme est celui de l’indifférence des gens lorsqu’un enfant meurt sur une route, du jusqu’au-boutisme des policiers, lorsqu’il s’agit de poursuivre un innocent au lieu de régler les problèmes, ou de faillir à la banalisation du crime, d’autant quand il détruit des familles entières.
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Le rapport à la maladie mentale est décrit de façon très pertinente. Pour les touaregs, la folie est l’expression d’un envoûtement par les djinns ; pour les habitants des villes, il s’agit d’une plaie qu’il faut étouffer dans les asiles ; et pour la grande majorité des gens, rien de bien important. Le film donne la voix au pluralisme de la représentation sociale. Ce guépard du désert est tout à la fois un animal extraordinaire, un psychopathe imaginaire et un terroriste sanguinaire. Le cinéaste explore ainsi la manière dont les peuples, dans un même pays, l’Algérie, confrontent leurs étrangetés et tentent de trouver une appartenance commune sur ce territoire quatre fois plus grand que la France. Vain projet ? Pas si sûr. Abou Leila ouvre des portes dans la conscience algérienne, comme un appel à un vivre-ensemble débarrassé de ces guépards assoiffés de sang.
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