Abluka - suspicions - la critique du film

Critique : Tout comme son premier film Derrière la colline, Emin Alper se plait à nous plonger dans une ambiance paranoïaque. Ici, il ne s’agit plus de redouter ce qui se passe derrière quelques monts campagnards. Cette fois, le chaos est urbain. Des bruits incessants d’explosion, le martèlement du passage des blindés dans des quartiers de bidonvilles et de maisons délabrées ne laissent aucun doute sur l’état de guerre qui règne dans cette contrée peu accueillante. Tout cela pourrait se dérouler dans n’importe quelle partie du monde, dans un futur proche ou un passé récent. Bien sûr, la tentation d’associer cette guérilla à l’autoritarisme grandissant du gouvernement turc actuel est grande. Pourtant, il semblerait qu’il n’en soit rien. Le réalisateur mûrit son projet depuis le début des années 2000. S’appuyant sur une réalisation efficace, doublé d’un esthétisme certain, le réalisateur opte plutôt pour l’observation des dégâts occasionnés par les êtres qui subissent une violence programmée et insidieuse.

Copyright Nour Films

Ce film touffu et même parfois confus laisse perplexe. Ni film policier, et encore moins politique, il se concentre sur la méfiance que l’enfermement physique et moral va faire naître entre deux hommes, pourtant frères mais devenus étrangers l’un à l’autre. Certes, la dernière fois que Kadir, en prison pendant vingt ans, a vu son petit frère Ahmet, ce n’était qu’un garçonnet de sept ans. Il a hâte de le rejoindre. Mais le travail que la police l’oblige à exécuter laissera t-il la place à de telles retrouvailles ? Kadir, à la froideur implacable, se révèle être un employé modèle pour le gouvernement. Il ira même jusqu’à s’acheter une machine à écrire, de façon à leur remettre des rapports plus précis et lisibles. Son empressement à bien faire est tel qu’il finit par soupçonner ses proches et même leurs amis. Ahmet, fragile et à la limite de l’abêtissement, est chargé par la mairie, pour une raison que l’on ignore, d’abattre les chiens errants, métaphore contestable de la lutte contre les terroristes. Il possède donc un fusil, le désignant comme un terroriste en puissance. Aussi, quand « victime » d’un sursaut de sentimentalisme, il décide d’adopter le chien qu’il vient de blesser et déroge de ce fait aux règles qui lui ont été imposées, il se calfeutre chez lui.

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L’ambiance se tend encore davantage et la paranoïa monte d’un cran, installant le récit dans une toile d’araignée inextricable qui ne permettra plus au film de décoller. Le huis clos de la maison d’Ahmet annihile définitivement toute dynamique. Choisir de concentrer les images davantage sur l’état psychotique des personnages que sur l’action elle-même qui n’est toujours que suggérée n’aide pas à la fluidité de l’intrigue. De plus, pour nous imbiber de leurs fantasmes proches du délire, le réalisateur nous invite à des scènes fantastiques qui ne font que perdre le spectateur dans un labyrinthe étouffant.
Un film à la réalisation brillante mais au discours trop difficilement identifiable pour créer une réelle empathie.