Chroniques d’hier pour aujourd’hui
Le 22 mars 2005
Les chroniques d’un critique littéraire de l’entre-deux-guerres. Une piqûre de rappel pour ceux qui ont oublié ce que littérature veut dire.
- Auteur : Marc Bernard
- Editeur : Le Dilettante
- Genre : Essai, Journal
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Pendant l’entre-deux-guerres, c’est vrai, les enjeux idéologiques étaient beaucoup plus forts : les marxistes avec leurs nombreuses familles, les radicaux, les conservateurs, les monarchistes, les fascistes, etc. C’est vrai également que la littérature avait une autre place, que les écrivains jouissaient d’un poids réel dans l’opinion, qu’on pouvait encore se déchirer autour de la sortie d’un livre sans donner l’impression de porter un coup fatal à la lecture. Mais il est difficile, surtout avec un regard contemporain, de ne pas jubiler en feuilletant les critiques de Marc Bernard parues dans Monde, hebdomadaire culturel fondé par Henri Barbusse, entre la fin des années vingt et le début des années trente. Même si son cheminement intellectuel le conduira au Figaro à partir de 1960, on y découvre un chroniqueur qui pose la question prolétarienne au cœur de sa réflexion esthétique (tout en défendant Proust), qui peut aimer un roman et en relever les faiblesses ou qui sait passer au vitriol les auteurs sans relief. Juste ou pas - vaste question comme toujours -, son opinion reste toujours fondée contrairement à certains de ses successeurs, aujourd’hui bien respectables, qui se contentent parfois d’une énumération de superlatifs...
Et certains propos résonnent de façon parfaitement cinglante, surtout quand on pense, là encore, à une nouvelle vague de romanciers qui encombre la petite place laissée à la littérature dans les médias. "Quant à eux qu’ils s’efforcent de trouver la jouissance rare qui comblera, une fois encore, leur jeune et déjà vieille carcasse, qu’ils boivent tous les vins, qu’ils couchent avec toutes les femmes, qu’ils pressent l’orange jusqu’à l’écorce, c’est leur rôle, il s’accorde admirablement avec le sort de leur classe. Ils ont beau dire, beau faire, même ceux qui parmi eux paraissent des révoltés sont encore rattachés à elle par mille liens, tous ignorent ce que peut avoir de tragique la simplicité de certaines vies, combien peuvent être génératrices de vraies révoltes certaines images que l’on garde jusqu’à sa mort collées dans ses paupières, la honte que l’on peut éprouver à s’asseoir à une table trop garnie et combien la conception de ce que l’on appelle le bonheur peut varier d’un homme à l’autre."
Au-delà des questions politiques, dépassées ou non, que l’on peut partager ou combattre, ce recueil d’articles défend un art qui, comme tout art tendant à une forme de poésie, doit poser la question de l’homme dans le monde, sa position dans le temps et dans l’espace. Marc Bernard, en bon artisan, s’acharne à réveiller son lecteur en lui donnant les armes pour différencier le beau de la supercherie intellectuelle : [l’homme chez Gorki est] "un morceau de globe qui baigne dans l’univers et jamais ne s’en isole, soumis aux marées comme les océans, nullement enroulé sur lui-même comme tant d’hommes-serpents, mais sans rien qui le limite ; chacun d’eux tend à s’élargir jusqu’à remplir le monde ou le recevoir en lui avec ses étoiles et ses planètes." Une grande et belle leçon.
Marc Bernard, A l’attaque !, Le Dilettante, 2004, 150 pages, 13,50 €
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