Lose yourself
Le 15 mars 2021
Bien plus qu’un énième biopic musical, 8 Mile montre un véritable amour pour son sujet où chaque plan est profondément marqué par la culture hip-hop.
- Réalisateur : Curtis Hanson
- Acteurs : Kim Basinger, Brittany Murphy, Taryn Manning, Omar Benson Miller, Eminem
- Genre : Drame, Biopic, Musical
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Universal Pictures France
- Durée : 1h50mn
- Date télé : 1er juin 2022 20:50
- Chaîne : Altice Studio
- Date de sortie : 26 février 2003
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Résumé : Une semaine dans la vie de Jimmy Smith. Accumulant les galères, le jeune homme de Detroit partage sa vie entre son boulot à l’usine et ses déambulations dans les rues malfamées de Motor City en compagnie de ses amis. Préférant rêver d’une vie meilleure plutôt qu’essayer de l’obtenir, le groupe reste bloqué dans leur propre procrastination, évoquant leur prochaine ascension utopique en tant que groupe de rap à succès. A moins que Jimmy "B-Rabbit" Smith ne change la donne.
Critique : Largement popularisé pour la présence d’Eminem en tête d’affiche et vendu comme l’histoire vraie de sa jeunesse, 8 Mile n’est en réalité qu’une semi-biographie où la vie du célèbre rappeur sert plus d’inspiration pour la contextualisation et l’écriture des grandes lignes (mais vraiment grandes) du script. Du propre aveu de Marshall Mathers (l’homme derrière le rappeur), réaliser un film sur sa vie aurait limité ses possibilités de jeu et l’aurait contraint à suivre certaines règles, l’empêchant de pleinement s’épanouir en tant qu’acteur en incarnant un personnage aux actions qui ne lui ressemblent pas.
Malgré cela, la réputation du film reste basée sur cette inexactitude, au point de porter préjudice au film en le réduisant à la simple présence d’Eminem au casting.
Impossible pour autant de négliger la part de responsabilité du rappeur dans la réussite de 8 Mile tant elle dépend de son implication. Imprégné de sa propre existence ou pas, qu’importe le degré d’importance de cette inspiration, le premier (et seul) grand rôle au cinéma pour Eminem est marquée par la justesse de son interprétation. Avec son regard endurci, à mi-chemin entre la peine et la colère, Marshall Mathers (l’avantage de parler d’un rappeur c’est d’éviter la répétition de son nom) incarne par le biais de Jimmy Smith cette jeunesse abandonnée, comme reflet de la ville où elle a évolué. Dès lors, difficile d’instaurer un climat aussi tendu, sans caricature ni détour, face à l’envergure du projet, censé plaire au plus grand nombre.
Et pourtant...
- © Universal Pictures. Tous droits réservés.
8 Mile joue tout particulièrement sur la carte de l’ambivalence, oscillant constamment entre une force brute et un caractère plus subtil. Pensé dans la mise en scène comme un divertissement grand public, rythmé comme tel, Curtis Hanson, pourtant vierge de culture hip-hop avant la réalisation du long-métrage, s’inspire du genre comme personne ne l’avait fait avant, et ne l’a fait depuis. Au centre du récit (comme de la vie de nos personnages), la musique se calque sur cette ambivalence en remplissant aussi bien sa fonction rythmique, illustrative, pour conférer aux images une dimension un peu plus profonde et dynamiser la mise en scène, que sur une dimension symbolique. En plus de sélectionner des morceaux et instrumentaux dont les paroles et notes sont en accord avec l’esprit du film, 8 Mile bâtit sa propre mythologie, s’inspirant de la richesse du hip-hop de la même manière qu’il puise dans la vie de Marshall Mathers afin d’en tirer un film qui se suffit à lui-même. Se reposant sur l’aura de classiques des années 90 pour apporter aux aficionados leur dose de plaisir auditif, 8 Mile initie également ses non-initiés à ce que la culture de la rue peut engendrer de mieux en ancrant la musique comme pilier central à la compréhension du film. Ainsi, la construction progressive de Lose Yourself, morceau culte d’Eminem écrit pour le film, concentre cette idée, tandis que l’utilisation de Shook Ones du groupe Mobb
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Deep en représente l’apogée. Parce que le morceau n’a pas été composé pour le film, parce qu’il plonge directement le spectateur dans l’ambiance du film au cours d’une introduction diablement efficace et intimiste, et surtout parce que Curtis Hanson se l’approprie pour marquer l’évolution de B-Rabbit. Étouffant d’abord les mots du rappeur en plein doute, bossant ses rimes dans les toilettes du Shelter, avant de se faire laminer sur scène, et ce après quelques minutes de film seulement, Shook Ones revient dans le climax, sous forme d’instrumental, pour laisser exprimer tout le talent lyrical d’un Rabbit en pleine possession de ses moyens, bien loin de sa participation précédente.
Ou comment transformer la musique en un vecteur intelligent de l’ascension de Rabbit.
Loin des codes inhérents au biopic (c’en est pas un à part entière après tout...), 8 Mile, par son aspect fictif, épouse un ton parfaitement adéquat avec le cadre spatio-temporel, le Detroit de 1995, et largue le misérabilisme des mots, pour celui des images, bien plus fort. Tourné caméra à l’épaule, le film dépeint avec un réalisme rare le quotidien dans une ville en décrépitude, avec ses rues fantômes et sa misère sociale, où les battles de rap organisés toutes les semaines semblent fournir le seul échappatoire. Ici, la rage s’extériorise par ces concours, catharsis pour les personnages, que Curtis Hanson met en scène de manière énergique, avec cette foule prise d’euphorie à chaque punchline de leurs rappeurs locaux, quant à eux habités par leur rôle, désireux d’un quart d’heure de gloire avant de redescendre sur terre. Il en découle une œuvre lourde et sèche, pareille à l’âme de ses personnages, trop pudiques et renfermés pour s’exprimer autrement que par le hip-hop, au centre de toutes les conversations.
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Cohérent jusqu’à la dernière minute avec cette tonalité tragique, 8 Mile n’est autre qu’une non-success story, affichant l’envie, presque l’ambition, de ne pas mentir ou d’enjoliver le destin de son protagoniste, conservant cette ligne directrice même après les petites victoires, vite expédiées, pour revenir à une réalité douloureuse et aux responsabilités qui en émanent. Boudant l’auto-glorification dont il aurait pu faire preuve, Eminem, dans la peau de Jimmy Smith, vêtit toutes les caractéristiques du raté. Assumant cet aspect, le film va jusqu’à le défendre haut et fort, en la présence de Cheddar Bob (loser level 1000), clé de la réussite pour les battles de B-Rabbit. Les dernières minutes, révélatrices de l’attachement fraternel avec ses amis mais également de la nécessité de s’en éloigner lorsque ceux-ci représentent un frein, rappelle au spectateur qu’il n’y a pas un meilleur chemin qu’un autre pour réussir.
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