Le 24 octobre 2019
Un documentaire très complet, en faveur de la défense d’un patrimoine méconnu des Cévennes : le vin. Le ton un peu scolaire s’accorde assez mal avec un format cinématographique et surtout laisse peser le doute d’un projet partisan de défense des vins d’Ardèche.


- Réalisateur : Stephan Balay
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Films des Deux Rives
- Durée : 1h31mn
- Date de sortie : 6 novembre 2019

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Résumé : Cela pourrait-être une légende, mais c’est l’histoire bien réelle d’une tentative d’assassinat réglementaire, la mise au ban d’une poignée de cépages déclassés, des vins interdits, accusés de tous les maux, rendus coupables d’avoir mauvais goût et incriminés de rendre fou. Leur crime ? Résister. Résister aux maladies, être naturellement adaptés aux changements climatiques et s’affranchir des pesticides et autres produits qui inondent la viticulture moderne. Bravant une législation extrêmement hostile et en dépit de la très mauvaise réputation de ces cépages, des paysans rebelles, convaincus de leurs vraies valeurs, n’ont cessé de cultiver les interdits. Les cépages résistants n’ont pas dit leur dernier mot. Le film propose un voyage œnologique en France, Italie, Autriche et Roumanie et États-Unis afin de mieux comprendre l’histoire et les enjeux des cépages résistants.
Notre avis : L’ennemi des cépages des Cévennes a un nom depuis la fin du dix-neuvième siècle : le phylloxera. C’est à cause de cette découverte terrible de l’insecte destructeur que les vignerons ont importé des cépages américains en guise de porte-greffes, censés résister à l’insecte, puis que la production a doublé et a suscité le doute sur la qualité supposée du vin. Vitis prohibita raconte donc une méprise générale, qui a conduit à l’interdiction de commercialisation des vins de la région, au début du vingtième siècle, interdiction qui perdure et contre laquelle un certain nombre de producteurs s’inscrivent en faux.
Le ton réactionnaire et naturellement corporatiste tente de réhabiliter un vin injustement interdit, alors même qu’il promeut un mode de production et de culture, s’agissant de la vigne, résolument moderne et écologique. La parole est offerte à des gens du cru, dont l’intérêt est de défendre leur patrimoine et a fortiori leurs productions vinicoles, voire leurs intérêts économiques. Pour autant, on est ému par ce classement terrible qui a fait courir tous les fantasmes d’un cépage empoisonneur, capable de rendre fou, à l’odeur de renard, au nom sans doute d’une rationalité administrative décidée par les pouvoirs centraux en France et à Bruxelles. Décidée aussi, bien que le film ne le dise pas toujours frontalement, par la force des lobbys.
Le cinéaste fait ici la démonstration d’un savoir-faire ancestral des plus authentiques, d’une forme de culture dite hybride des plus propres, et d’un artisanat soucieux du paysage local et du patrimoine régional. L’Ardèche est mise à l’honneur à travers cette fabrique multi-séculaire du vin et surtout des personnages hauts en couleurs, vieillissants, porteurs d’une tradition et d’un poids historique évidents. On regrettera d’ailleurs que ce témoignage semble le domaine réservé des hommes, les femmes n’apparaissant que rarement. Le film ne s’attache pas qu’à la question des vins prohibés en France. Le documentariste parcourt l’Europe, où l’on découvre que cette pratique d’interdiction de commercialisation, voire de consommation de vins, est assez généralisée, dans une hypocrisie la plus totale, puisque certains producteurs remplacent le nom du cépage interdit par un autre, pour contourner la règle. La curiosité du film l’attire même sur le continent américain, qui a promu la culture hybride de la vigne.
Mais Vitis Prohibita, dont les motivations sont nobles, pose des problèmes proprement cinématographiques. D’abord, la voix qui accompagne le film est assez mal choisie, voire agaçante, et il aurait été utile que la production demande à un comédien de commenter les images. De plus, le film fait presque office de plaidoyer en faveur de ces vins interdits, au détriment d’un travail en profondeur sur l’image et sur la mise en scène des témoins. Ces derniers se contentent de répondre à des interviews, auxquelles le cinéaste adhère visiblement sans distance, au lieu de s’intégrer dans une réécriture du réel, ce qui est le propre d’une œuvre documentaire au cinéma. Le film a reçu des prix, dont une partie a été attribuée par la profession du vin. Dès lors, le doute s’insinue : on se demande si le projet de l’auteur n’est pas tant de promouvoir une poésie des vins interdits que d’engager une lutte pour leur reconnaissance, au risque de verser dans une forme de propagande en faveur des producteurs de l’Ardèche.