Ouvrier modèle, travail imparfait
Le 20 juillet 2018
Entre cinéma social auteuriste et film de genre, les influences de Yue Dong sont des plus éclectiques. Mais même si le réalisateur assure à son film une atmosphère pesante, sa délicate tentative de mélange de genres pèse sur son scénario hésitant.
- Réalisateur : Dong Yue
- Acteurs : Yiyan Jiang , Yihong Duan, Yuan Du
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters
- Nationalité : Chinois
- Distributeur : Wild Bunch Distribution
- Durée : 1h57mn
- Titre original : Bao xue jiang zhi
- Date de sortie : 25 juillet 2018
- Festival : Festival du film Policier de Beaune
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– Festival International du Film Policier de Beaune 2018 : Grand Prix
Résumé : 1997, à quelques mois de la rétrocession de Hong Kong, la Chine va vivre de grands changements… Yu Guowei, le chef de la sécurité d’une vieille usine, dans le Sud du pays, enquête sur une série de meurtres commis sur des jeunes femmes. Alors que la police piétine, cette enquête va très vite devenir une véritable obsession pour Yu… puis sa raison de vivre.
Notre avis : Depuis plus de quinze ans, voir même depuis trente ans (le début du mouvement diffère d’un « spécialiste » à l’autre), il est impossible de parler de cinéma chinois sans évoquer sa « sixième génération » qui phagocyte son cinéma d’auteur. Peut-être considèrera-t-on, un jour, le premier film de Yue Dong comme le balbutiement d’une « septième génération », tant sa réalisation apparaît comme une continuité autant qu’une maturation de ses prédécesseurs. Sa volonté de dénoncer une situation politico-économique très dure a en effet été le moteur de la plupart des films de ces dernières années. L’une des différences majeures est en fait d’avoir situé son récit dans un passé proche, vingt ans plus tôt, alors que le souci de réalisme quasi-documentaire qui a animé la précédente génération a généralement limité ses porte-étendards a des histoires contemporaines.
Ce choix de placer l’intrigue en 1997 se justifie par une peinture de la désindustrialisation qui a durement touché le sud de la Chine en parallèle de la rétrocession de Hong Kong. Cependant, le scénario ne réussit en aucun moment à tirer profit de sa contextualisation historique puisque, hormis le carton d’ouverture, une seule et unique réplique fait référence à Hong Kong. Il semblerait donc que Yue Dong n’ait pas encore les épaules pour réconcilier le drame social chinois avec la tradition, plus ancienne, qui est celle du récit historique.
- Copyright Wild Bunch
Il ne fait toutefois aucun doute que le jeune réalisateur s’intéresse à une toute autre voie. Son inspiration majeure lui vient en fait d’Occident, ou plutôt en l’occurrence d’un cinéma coréen déjà très occidentalisé. Son intrigue policière se construit en effet sur le schéma du whodunit, que l’on a peu l’habitude de voir exploité dans le cinéma chinois, dont on sait qu’il lui préfère le modèle du film de gangsters. Mais, s’il y a un film auquel il est impossible de ne pas penser à la vue de La Pluie Sans Fin, c’est assurément Memories of Murder. Par moments, la photographie crasse et grisonnante, appuyée par la météo pluvieuse, sur laquelle repose son ambiance désenchantée semble même directement calquée sur le film de Bong Joon-ho.
Plus encore, c’est dans l’évolution de l’enquête en elle-même, qui semble se diriger vers une non-résolution qui devient une obsession pour son anti-héros monomaniaque, que l’influence de Memories of Murder est la plus palpable. L’anti-héros en question, qui, dès la scène d’ouverture, se définit comme le “produit inutile d’une nation glorieuse”, est justement une pure résultante de la volition du réalisateur de profiter du contexte social, puisqu’il ne s’agit pas d’un policier mais d’un ouvrier opiniâtre ayant un temps travaillé à la sécurité de son usine.
- Copyright Wild Bunch
C’est finalement, davantage que dans la volonté de découvrir l’identité de l’auteur des crimes, dans la relation qu’entretient cet homme à cette usine à laquelle il se consacre corps et âme, que le long-métrage tire toute sa force symbolique tant il est facile d’y voir une métaphore politique de son pays et de la sacralisation vers laquelle des années de propagande ultra-patriotique ont mené sa population. Et pourtant, le cinéma d’auteur chinois et le genre du polar ont bien du mal à se mélanger. Le rythme très lent avec lequel Jia Zhang-ke et Wang Xiaoshuai et consorts ont pris l’habitude de construire leurs récits, afin d’en tirer une certaine poésie, et tel que s’en imprègne Yue Dong, apparaît dans son film comme une succession de longueurs plombantes. En terme de dynamique au moins, il est donc évident que ce mélange des genres, tel que le réalisateur le propose, dessert lourdement son long-métrage, tant il apparaît incapable d’en restituer, par la pallier, ni le lyrisme de ses compatriotes ni l’humour de Bong Joon-ho.
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Heureusement, quelques scènes sortent du lot grâce à autant de regains de tension. Mais l’exemple le plus symptomatique, et rédhibitoire, de l’effet de cette dynamique étirée, calquée sur les habituels mélodrames chinois, appliquée à un tel polar est celui de son twist final (pourtant une bonne idée sur le papier) qui apparaît ici comme terriblement laborieux. Autre point noir de cette écriture qui peine à se trouver : la relation amoureuse entre le personnage principal et sa dulcinée ne parvient jamais à apparaître comme passionnée, à tel point que la direction tragique qu’elle prend à la fin semble presque impromptue. Si la future « septième génération » devait alors venir de cette orientation qui saurait digérer certains codes de films de genre dans l’héritage du cinéma social de ces dernières décennies -dont on sait qu’il n’attire pas le public chinois-, il faudra alors que les cinéastes locaux sachent trouver un meilleur équilibre que celui proposé par cette Pluie sans Fin aussi ambitieuse que bancale.
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