Le 5 septembre 2017
La souffrance de femmes terrées au milieu d’une ville sous les bombes est filmée avec une sobriété et un casting trié sur le volet. Les ingrédients d’un film qui fait très mal sur une réalité effrayante pourtant aussi contemporaine qu’intemporelle.
- Réalisateur : Philippe Van Leeuw
- Acteurs : Hiam Abbass, Diamand Bou Abboud, Juliette Navis
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Belge
- Distributeur : KMBO
- Durée : 1h26mn
- Titre original : Insyriated
- Date de sortie : 6 septembre 2017
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Résumé : Dans la Syrie en guerre, d’innombrables familles sont restées piégées par les bombardements. Parmi elles, une mère et ses enfants tiennent bon, cachés dans leur appartement. Courageusement, ils s’organisent au jour le jour pour continuer à vivre malgré les pénuries et le danger, et par solidarité, recueillent un couple de voisins et son nouveau-né. Tiraillés entre fuir et rester, ils font chaque jour face en gardant espoir.
Notre avis : On connait le goût du cinéma français pour l’art de transcender les relations humaines à travers des huis-clos en temps de genre. On pense évidemment à Marie-Octobre ou au Repas des Fauves sur la situation des Français sous l’Occupation. Le Belge Philippe Van Leeuw – anciennement directeur de la photo, notamment pour Bruno Dumont –, dont le premier film, Le Jour où Dieu est parti en vacances, offrait déjà un regard cru sur un drame historique, le génocide rwandais, a lui aussi choisi un dispositif en lieu unique pour illustrer un drame contemporain : la guerre civile syrienne, entamée en 2011. Mais ici, à l’inverse des classiques susnommés, point de dénonciations, meurtres et autres trahisons. Au contraire, toutes les victimes collatérales de ce conflit font corps face à un ennemi invisible et néanmoins bien présent.
Penchons-nous un instant sur le titre. D’abord, la notion de « famille » est trompeuse puisque tous les personnages à l’abri dans cet appartement ne sont pas du même sang, certains étant des voisins et l’une d’elles étant même une domestique. De quoi interroger sur la notion d’appartenance à une famille, au-delà de la seule généalogie et de la classe sociale. Ensuite, la précision comme quoi cette prétendue famille est syrienne est le seul et unique indice (hormis la langue arabe bien sûr) qui nous permette de situer le conflit. L’abstraction géographique, autant que politique, fait de ce long-métrage une œuvre universelle, et donc bien plus puissante qu’une banale dénonciation du régime en place.
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De ce qui se joue dans les rues de Damas, le film n’offre que de rares plans, tous restreints à une cour aux allures de champ de bataille que l’on aperçoit de la fenêtre. Une ouverture limitée qui s’apparente en fait à une mise en abyme, les personnages observant ce qui se passe à l’extérieur tandis que nous les observons cloîtrés dans leur appartement, dans leur quotidien. Un espace clos dans lequel nous nous retrouvons enfermés avec eux, partageant ce drame qui nous semble pourtant si lointain. Cet enfermement, on le ressent avant tout grâce à la fluidité des plans-séquences qui nous accompagnent de pièces en pièces. S’interdisant le recours à un montage brutal et superficiel, le réalisateur fait preuve d’un sens de l’espace hors du commun, dont le pouvoir d’immersion dépasse le seul effet de claustrophobie puisqu’il permet aussi de mieux figurer le lien qui peut exister entre ces personnages, dont l’intimité est réduite à peau de chagrin, et pour qui il est devenu vital de se soutenir mutuellement face à la menace.
Le hors-champ n’en est pas moins omniprésent, grâce à un formidable travail sur le son. Le bruit des hélicoptères, bombardiers et explosions ponctue ainsi la vie de la dizaine de Syriens qui se terrent dans leur abri de fortune. Chaque bruit à l’extérieur devient une source de terreur, que le rythme de la mise en scène ne fait qu’amplifier, atteignant un niveau que peuvent lui envier de nombreux films d’horreur. Tout ce travail formel, qui permet de ne pas qualifier le dispositif de simple théâtre filmé auquel il s’apparente pourtant, ne nous fait pourtant pas oublier que la qualité première du film est le réalisme digne d’un documentaire avec lequel est dépeint le quotidien des survivants, sans avoir recours à la moindre fioriture ou au pathos.
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La tragédie de ces Syriens, contraints de tout rationner et n’ayant plus pour unique ressource que leur espoir, ne serait pas aussi touchante sans les interprètes qui leur prêtent leurs traits. Hiam Abbas est égale à elle-même, d’une intensité qui ne faiblit à aucun moment ; Juliette Navis, qui a déjà fait ses premiers pas en France, est plus effacée mais incarne parfaitement le sentiment d’oppression d’un peuple privé d’expression ; la véritable révélation est en fait Diamand Bou Abboud, une actrice libanaise qui, par de simples jeux de regard, parvient à donner à certains passages une intensité dramatique bouleversante. C’est par exemple elle qui est au cœur de la scène la plus dure du film, qui nous rappelle brutalement que le viol reste de nos jours une arme de guerre en vigueur.
Encore une fois, c’est parce qu’il ne nomme pas les coupables de ces exactions inhumaines que le film nous ouvre les yeux sur un drame humanitaire qui, malheureusement, dépasse la souffrance des civils syriens restés sur place, mais concerne les nombreux peuples dans des pays en guerre. Même si le film ne changera pas les choses, on ne pourra plus faire semblant d’ignorer ce qui se joue dans ces contrées pas si loin de chez nous, et c’est ce qui en fait un cri d’alerte d’une ampleur salutaire comme on n’en voit que trop peu au cinéma.
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Prix :
– 67e Berlinale Panorama : Prix du Public et Prix Label Europa Cinemas
– Beijing International Film Festival : Prix du Meilleur Scénario
– Valletta Film Festival : Prix du Public et Prix du Meilleur Réalisateur
Festivals :
– Festival du Film Francophone d’Angoulême
– Festival International du Film de La Rochelle
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