Le 23 mars 2024
En passant de l’écriture à l’art cinématographique, Christine Angot apporte à son œuvre un éclairage supplémentaire qui rend enfin à ses livres toute la reconnaissance qu’ils méritent. Un documentaire percutant et magnifique.
- Réalisateur : Christine Angot
- Genre : Documentaire, Film pour ou sur la famille
- Nationalité : Français
- Distributeur : Nour Films
- Durée : 1h22mn
- Date de sortie : 20 mars 2024
- Festival : Festival de Berlin 2024
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Résumé : L’écrivaine Christine Angot est invitée pour des raisons professionnelles à Strasbourg, où son père a vécu jusqu’à sa mort en 1999. C’est la ville où elle l’a rencontré pour la première fois à treize ans, et où il a commencé à la violer. Sa femme et ses enfants y vivent toujours. Angot prend une caméra, et frappe aux portes de la famille.
Critique : L’écrivaine est debout devant une fenêtre à Strasbourg. On perçoit à peine le visage mais on sait qu’elle pleure. Elle reconnaît les lieux où depuis ses treize ans, le drame s’est répété sans que personne ne daigne mettre fin à l’horreur. C’est la mort finalement qui aura raison du bourreau, après une maladie d’Alzheimer qui sans doute, justifie dans les mots de la belle-mère, le silence assourdissant qui entoure les viols répétés qu’elle subit. Une famille n’est surtout pas une réécriture de ses livres dont le très grand L’Inceste. Au contraire, le documentaire s’annonce presque comme une forme de conclusion à un cauchemar qui emporte la famille Schwartz et Angot depuis des décennies.
Christine Angot se filme. Elle récite ses textes avec la voix ciselée, brute, qu’on lui connaît. Tout le film est émaillé de souvenirs de famille, de photographies, faisant penser que le cinéma a été toujours là, à côté des livres. La réalisatrice va à l’essentiel. Entourée de deux caméras tenues à la main, elle assume les ratages de l’image. L’important ne réside pas du côté de la forme cinématographique, mais de l’arrachement des paroles qu’elle provoque auprès des personnes qu’elle rencontre et qui ont assisté, sans bouger, à la tragédie.
- Copyright Nour Films
Une famille problématise bien la question de l’autofiction. Il ne s’agit pas d’une énième déambulation dans le psychisme d’une personne qui fait de son existence un motif universel. Christine Angot, à travers cette enquête, montre l’effroi, le drame qui ne font pas que peser sur les victimes d’inceste, mais aussi sur tout l’entourage familial, conjugal, affectif. En témoignant de son propre parcours, l’écrivaine décrit les duplicités, les silences, la honte, la culpabilité et le déni qui sont tout autant ravageurs pour toute la cellule familiale que pour l’enfant violé. Le spectateur se sent pendant toute la séance lui-même pris en étau au cœur d’un conflit qui le dépasse où lui-même finit par ressentir une forme d’empathie à l’égard de celles et ceux qui, dans leur obstination à taire l’évidence, ont contribué à la douleur irréparable de la victime.
Une famille est un documentaire sur la violence. La réalisatrice met en scène la violence de sa mère, de sa belle-mère, celle des journalistes et des médias, mais aussi sa propre violence quand elle entreprend de forcer l’aveu. On découvre une Christine Angot loin des clichés que la télévision a diffusés : c’est une femme vulnérable, hantée par l’inconsolable et un traumatisme qu’elle ne parvient pas à panser. En ce sens, Une famille rend grâce à toutes les victimes de violences sexuelles à travers le monde, qui n’ont jamais réussi à éteindre la douleur faute de la reconnaissance du crime par les personnes censées les protéger.
- Copyright Nour Films
En regardant Une famille, on ne peut pas s’empêcher de penser à Marguerite Duras qui elle-même a eu besoin d’étendre son désir illimité de création au cinéma. Christine Angot ouvre un nouveau pan de sa carrière artistique en approchant le septième art, comme si la littérature venait cogner aux portes de la caméra que ses deux assistantes portent. On ressort de ce film au format relativement court, heureusement anéanti par la honte d’une humanité qui, au lieu de rendre aux victimes de viol la reconnaissance qui leur est indispensable, ont contribué à leur effondrement en ne cessant de nier l’évidence. Dit autrement, pour reprendre une expression de l’avocat de Christine Angot, Une famille est un film d’utilité publique.
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