Un singe en hiver - Henri Verneuil - critique

Critique : Du roman d’Antoine Blondin, prix Interallié en 1959, Henri Verneuil a gardé la trame : deux solitudes se tendent une amicale poignée de mains par-delà les générations, scellant le pacte de leur inadéquation au monde dans l’amertume de leurs verres irisés par l’alcool. La rencontre de Gabin et Belmondo est l’alliance des contraires : le premier a, depuis le succès revenu au mitan des années 50, aisément endossé les habits du connétable, parangon d’un cinéma sans éclats, mais commercialement juteux ; le second est devenu l’emblème de la Nouvelle Vague et ne dédaigne pas, déjà, les incursions dans un cinéma plus populaire (la même année, il tourna Cartouche).
Le sevrage d’Albert Quentin, patron désabusé d’un petit hôtel provincial, ne résistera pas à la fougue de Gabriel Fouquet, grand sentimental débarqué dans un patelin normand, dont l’unique troquet est une triste métonymie. Au croisement de deux générations, s’unissent les jonques de la Chine et les étés madrilènes, les deux protagonistes achevant de couronner leur amitié éthylique dans un festival nocturne de facéties primesautières. Le feu d’artifice en est l’épilogue symbolique.
Auparavant, le maître des lieux aura traité son épouse d’emmerdeuse pour se dépêcher de rejoindre le bistrot d’en face, "refaire l’Olympia au fond du cimetière", comme le chantait Brel. Le dernier sursaut d’un vieil homme ravivé par la jeunesse précède un long hiver qui commence sur le quai d’une gare.
Dans ce cinéma patriarcal, les femmes sont juste bonnes à servir ou à être contournées comme des obstacles. Du coup, le jeu de la pauvre Suzanne Flon se réduit à l’inquiétude ou la lamentation. Les dialogues d’Audiard font le reste, affûtés pour les envolées de Gabin, mais mieux assortis au jeu de Belmondo, qui, assurément, fait de l’ombre à son glorieux aîné. Prestance, charme, richesse du registre dramatique : il prouve qu’il est l’acteur le plus doué de sa génération. François Truffaut le confirmera lui-même après vu le long-métrage.