Tous les rêves du monde - la critique du film

Notre avis : De son premier film Les gens heureux n’ont rien d’exceptionnel en 1993 à Soit je meurs, soit je vais mieux en 2008 en passant par J’ai horreur de l’amour en 1997, le rapport à la norme est l’un des thèmes centraux de la réalisatrice Laurence Ferreira Barbosa. Les méandres de l’adolescence qu’elle observe toujours avec le même œil avisé constituent un terrain de jeu privilégié. Elle les explore à nouveau en nous invitant à suivre le parcours de cette jeune fille qui tente autant de s’émanciper de l’enfance que de s’extirper de ses racines et profite ainsi de l’occasion pour nous offrir sa vision de la communauté portugaise à laquelle son nom la rattache.

Copyright Alfama Films

Une enseignante propose à un groupe de jeunes gens un voyage à Lisbonne mais ne reçoit guère d’écho positif. Ils sont nés en France de parents immigrés dans les années 80. Le Portugal ne représente pour eux rien d’autre que le pays des vacances, un pays pour s’évader, le catalyseur de « tous les rêves du monde », vision largement soutenue par les somptueux plans larges de la campagne portugaise opposée à la grisaille de la banlieue parisienne. S’ils éprouvent fierté et amour pour le pays d’origine de leurs parents, ils n’ont pas l’intention, contrairement aux générations précédentes, de perpétuer les traditions d’un pays qui "n’évolue pas". (pour reprendre les propos d’un des personnages). Pourtant, parmi eux, une petite voix discordante ose se faire entendre : celle de Pamela, impliquée dans sa communauté et très attachée à ses valeurs, mais qui, pour pouvoir continuer sa route, va finalement choisir de se démarquer.

Copyright Alfama Films

Entre un père strict et à légère tendance machiste qui balaie d’un revers de la main les états d’âme des femmes qui l’entourent, une mère prisonnière d’une soumission d’un autre âge et une sœur qui bouscule la structure familiale établie, la jeune fille a bien du mal à trouver sa place. Un jeune homme vif, drôle et bien dans sa peau vient rompre sa solitude et apporte une belle part d’humour à cette histoire qui a la bonne idée de ne jamais sombrer dans la gravité. Un peu plus tard, sa rencontre et son amitié avec une jeune femme qui se révèle être son opposée étoffe la narration d’une dimension supplémentaire et accélère encore son besoin d’émancipation, malgré les conseils de ses parents qui l’incitent à éviter ce genre de « mauvaise fréquentation ». Car Pamela n’a rien d’une rebelle et c’est bien cette sève complexe et subtilement exploitée qui nourrit tout le récit d’une saveur appréciable. Pamela est bien trop respectueuse et reconnaissante de ce que ses parents et sa communauté lui ont transmis pour envisager une rupture brutale. C’est donc entre soumission et détermination, doute et entêtement, modestie et affirmation, intransigeance et fragilité, maturité et candeur, que l’on assiste avec un intérêt non feint à la transformation de cette chrysalide en un papillon épanoui dont les ailes se déploient sans faux pli. Pour mieux cerner le moindre détail des sentiments qui animent cette personnalité attachante, la caméra s’arrête avec tendresse sur ce visage rond à l’expression tantôt butée, tantôt rieuse que l’on voit évoluer doucement sans que l’on n’y prenne garde.
Sans violence, ni drame, privilégiant une fois encore une mise en scène pudique, Laurence Ferreira Barbosa continue de nous ravir de personnages à l’ authenticité bouleversante.