Le 17 mars 2015
- Dessinateur : Zezelj
- Genre : Fantastique
- Editeur : MOSQUITO
- Famille : BD Franco-belge
- Date de sortie : 1er novembre 2014
Tomsk-7 nous entraîne dans un univers de poésie et de mystères, d’étrangeté et de fantastique. Ce recueil de huit nouvelles graphiques indépendantes, mais toutes reliées par la notion de ville, offre un regard original sur la ville, mais aussi sur l’homme.
Résumé :
Huit histoires donc, traitant de huit personnages différents. Huit histoires urbaines, ayant pour cadre à chaque fois une nouvelle ville, connue ou inconnue, présente, passée ou future, existante ou imaginaire.
Notre avis :
Tomsk-7nous plonge dans un monde curieux, où flotte un nuage d’insondable. La première nouvelle, donnant son nom au recueil, nous amène tout de suite au cœur de Tomsk-7, ville-prison. Nous y découvrons l’histoire de Vladimir. La narration vient d’un regard extérieur, autant scénaristiquement que graphiquement parlant. L’histoire est racontée par un inconnu et nous voyons Vladimir de loin. D’ailleurs toute l’histoire repose sur des plans serrés ou larges – mais tous dans des cases de même format - nous donnant à voir une vue, un détail, lié à la narration textuelle. L’histoire n’est pas dans la narration d’une action mais dans la relation de faits. Et quand ces faits deviennent étranges, ils cèdent la place à l’imaginaire. Même si on pressent la fin, c’est une belle surprise qui nous accueille.
Nine Lives repose sur une histoire plus classique, dans une ville baptisée « M ». Si l’histoire nous est racontée de l’intérieur par Papi, c’est tout le contexte qui est étrange. Imaginez une ville de montagne qui laisse parfois résonner... des sirènes de navire ! Papi et son petit-fils sont les deux protagonistes de cette aventure au goût de brouillard.
Graphiquement, Zezelj change de style et de cadrage. Si la précédente histoire proposait une sempiternelle page de trois bandes de trois cases chacune – ayant un sens dans la narration effectuée - avec des dessins teintées de gris – oui, toute la BD est en noir et blanc –, celle-ci opte pour un noir et blanc bruineux, où flotte toujours une atmosphère dense. Le cadrage est beaucoup plus varié et laisse place à des dessins zoomant parfois sur un détail, un mouvement de matière. Le gris s’éloigne petit à petit mais le mystère s’épaissit. Fin prévisible mais la véritable explication, comme dans beaucoup de contes fantastiques, reste entre les mains du lecteur.
Kisser est beaucoup plus contemporaine Ne fut-ce que par sa première référence musicale posée dès la page d’ouverture. L’histoire est plus courte, plus brute, plus réaliste. Le graphisme s’enfonce encore plus dans un noir et blanc brut également et le cadrage reste dans la lignée de Nine Lives.
Lefferts Avenue est aussi un récit plus contemporain tenant en deux pages et nous laisse perplexe. Serait-ce le choix d’une narration intérieure pour un graphisme qui reste extérieur ? En tout cas, ce graphisme nous propose des images qui tanguent alors qu’il n’est plus question de bateau.
Long Distance nous fait suivre un homme qui court et raconte son histoire. Même si la narration démarre par « Je t’ai déjà raconté tout ça », nous ignorons à qui il s’adresse. Il court dans une ville inconnue, où se sont passé des phénomènes inconnus. Le graphisme noir et blanc fait disparaître les bordures de cases, à quelques exceptions près. Qu’est-il arrivé à cet homme ? Dans quel monde vit-il ? Tout cela nous restera fermé et du coup ouvert à toute supputations. Même si le dernier dessin de la nouvelle a de quoi faire frémir...
Lost and Found prend le parti du muet. Tout est raconté uniquement par le dessin. Du coup, on cherche effectivement à comprendre ce qui a été perdu et ce qui est trouvé. Un homme nous entraîne sur ses pas. Là aussi, il naît une certaine forme de poésie par les éléments que pointe Zezelj. Sur les traces de cet inconnu, parfois et même souvent devant lui, nous nous attardons sur des détails, suivant les yeux du dessinateur qui nous oriente vers des éléments importants ou peut-être pas. A chacun de trancher. Histoire courte aussi, juste le temps de toucher le vrai.
Cafe Paradiso nous fait écouter les réflexions d’un nouvel inconnu, tout en nous faisant voler dans une ville. Au départ réaliste, l’histoire devient de pus en plus symbolique. Là encore, aucune clé et une chute surprenante et forte, reposant sur une simple phrase si vraie et si rude. Après les cases en hauteur de Lost and Found, c’est au travers de cases tout en largeur que nous explorons ce nouvel endroit. Mais le procédé reste identique, même si l’histoire est plus longue. Nous avançons dans une ville que nous découvrons à travers des détails. Par contre, plus de personnage à suivre. La ville est là, le seul protagoniste que nous ne voyons pas – ou que nous voyons sans le savoir – est le narrateur, n’existant que par le texte. Ouverture et fermeture sur le même lieu, à un autre moment de la journée. La boucle serait-elle bouclée ?
Los Hernanos clôt la BD. Il s’agit d’un message, certes moins fantastique et plus réaliste. L’histoire prend néanmoins – à notre avis – deux points de vue, celui qui donne, celui qui reçoit. On en dira pas plus pour ne pas lever le mystère. Mais c’est par la poésie que Zezelj nous fait quitter l’univers qu’il a su nous imposer page après page. La poésie d’un artiste au travail, peut-être mise en abyme de l’auteur lui-même... L’histoire prend un nouvel axe de cadrage puisque Zezelj nous offre des cases chevauchantes, se masquant en partie les unes les autres, rapprochant les deux personnages de l’histoire, pourtant séparés dans l’espace.
Si Zezelj fait évoluer ses choix graphiques au fur et à mesure des récits, on reconnaît largement sa patte dans chacune d’entre elles. Si on est proche d’un réalisme des corps et des objets, le fait de jouer sur un noir et blanc de plus en plus dénué de contraste accentue l’ambiance fantastique.
Les traits sont tirés, les décors coupés, ravagés, en bien mauvais état. Les ville de Zezelj sont vieilles et délabrées, ou alors masqués par la brume, comme celle de M.
ce noir et blanc brut confère une force supplémentaire au trait net du dessinateur. Seul l’effet de bruine étale ce noir et le fait cohabiter avec le blanc d’une curieuse manière, voire d’une curieuse matière.
Vous avez compris qu’on se situe plus dans un ressenti à la lecture de cette BD. Il ne faut pas s’attendre à une dramaturgie claire et linéaire. Zezelj essaye de nous faire ressentir ces histoires, ces expériences, mais il change de point de vue, de méthode, à chaque nouvelle. Si parfois l’expérience est intrigante, fascinante, parfois elle laisse plus perplexe qu’ému. Mais il est clair que Tomsk-7 nous offre un voyage dépaysant dans des mondes où l’homme a du mal à trouver sa place au cœur de ces villes qu’il a pourtant bâties, et même au cœur de la vie... Zezelj essaye, à raison, de nous proposer un itinéraire différent. A nous de nous rappeler que la BD permet aussi cela ! Et c’est tant mieux.
Tomsk-7 n’est pas aussi hermétique que son titre. Il s’agit d’une porte ouverte sur des monde où chacun y trouvera quelque chose de différent. Beaucoup de mystères, de bonnes - et parfois moins bonnes – surprises dans ces huit nouvelles originales, intrigantes et parfois fascinantes.
Zéda perdu dans les villes de Zezelj...
80 pages - 13€
Galerie photos
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