Le 12 mars 2024
Aussi original que créatif, ce drôle d’ovni du cinéma malaisien donne un coup de griffe bien mérité à une société archaïque qui peine à voir les jeunes filles sortir de la prépuberté autrement que comme des animaux sauvages dont il faudrait se défaire.


- Réalisateur : Amanda Nell Eu
- Acteurs : Zafreen Zairizal, Deena Ezral, Piqa
- Genre : Drame, Fantastique, Épouvante-horreur, Teen movie, Drame fantastique
- Nationalité : Français, Taïwanais, Allemand, Néerlandais, Singapourien, Malaisien, Indonésien, Qatari
- Distributeur : Jour2fête
- Durée : 1h35mn
- Date de sortie : 13 mars 2024
- Festival : Festival de Cannes 2023

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Résumé : Zaffan, douze ans, vit dans une petite communauté rurale en Malaisie. En pleine puberté, elle réalise que son corps se transforme à une vitesse inquiétante. Ses amies se détournent d’elle alors que l’école semble sous l’emprise de forces mystérieuses. Comme un tigre harcelé et délogé de son habitat, Zaffan décide de révéler sa vraie nature, sa fureur, sa rage et sa beauté.
Critique : D’abord, il y a cette petite fille filmée en gros plan, les yeux très noirs, fardée presque comme une adulte, et qui semble rugir. Puis, immédiatement, sans transition, le film transporte son récit dans une école de filles, plantée à même la forêt malaisienne. Zaffan pourrait être une jeune élève sans histoire, si, aux abords des changements normaux de son corps, elle n’était pas devenue la risée de toutes ses amies au point de se perdre elle-même dans la peau d’un tigre. Tiger Stripes est peut-être l’une des œuvres les plus originales présentées à la Semaine de la Critique 2023, où elle a remporté le Grand Prix. Filmée comme un conte, cette fiction mêle habilement la critique sociale, le fantastique et le délire. Il y a en effet dans l’intention de la réalisatrice, Amanda Nell Eu, dont c’est le premier long-métrage, de dénoncer avec beaucoup de dérision les perceptions terribles du passage du statut d’enfant à celui de femme. Les superstitions, les croyances même les plus folles, semblent des paravents puissants à une société qui refuse de regarder la jeunesse changer et d’adapter ses modalités d’apprentissage aux transformations du monde.
Le téléphone portable est très présent pendant tout le film. Les adolescentes se filment en permanence, comme un symbole d’une modernité au milieu d’une école d’hier, où les adultes ressemblent à des personnages sortis d’un dessin animé et les méthodes d’apprentissage n’ont pas beaucoup évolué. Ces sortes d’ombres fantomatiques qui attaquent les élèves présagent d’un environnement social qui doit composer en permanence entre la tradition assez réactionnaire, et le désir des jeunes filles d’exister dans des corps qu’elles assumeraient. En ce sens, Tiger Stripes constitue une forme de mise en image métaphorique de la dysmorphobie que chaque adolescent rencontre lors des changements du corps qui annoncent l’entrée dans l’âge adulte, particulièrement au sein d’une communauté musulmane qui cultive un rapport ambigu et complexe à la féminité. Le film joue ainsi continuellement sur le dévoilement et le voilement des jeunes filles, signe d’un environnement social aussi réactionnaire que libertaire.
- Copyright JOUR2FÊTE
Il y a de la part de la réalisatrice une volonté de bousculer les normes cinématographiques. Elle ne se prend jamais au sérieux, et emmène ses jeunes actrices dans un périple fantastique sans queue ni tête. Les références au conte merveilleux apportent à l’histoire beaucoup de fraîcheur. On perçoit le peu de moyens dont a bénéficié la cinéaste qui, pourtant, fait preuve d’une inventivité incontestable. Le spectateur ressent aussi le plaisir évident des comédiens amateurs de se laisser porter par cette histoire, aussi déconcertante que féérique.