80’s made in Poland
Le 30 avril 2020
Cette série polonaise datant de 2018, maintenant disponible sur Netflix, est bien plus intéressante pour sa reconstitution de la Pologne totalitaire du milieu des années 80, que pour son suspense ambigu évoluant entre chien et loup.
- Réalisateur : Jan Holoubek
- Acteurs : Andrzej Seweryn, Dawid Ogrodnik, Zofia Wichlacz, Magdalena Walach
- Nationalité : Polonais
- Durée : 5 épisodes de 48 à 51 minutes
- VOD : NETFLIX
- Reprise: 25 février 2020
- Scénariste : Jan Holoubek
- Genre : Thriller
- Titre original : Rojst
- Date de sortie : 18 août 2018
- Plus d'informations : The Mire
Résumé : Dans la Pologne du début des années 1980, une prostituée et le leader d’un mouvement pour jeunes sont assassinés. Deux journalistes se penchent sur l’enquête, bâclée.
Notre avis : Racontons une scène (aucun spoil, bien entendu) histoire de poser l’ambiance. 1984. Conférence de rédaction d’un quotidien local d’un patelin de Pologne. Le rédacteur en chef distribue les sujets à traiter, des trucs passionnants : Piotr, fraichement débarqué de Cracovie avec sa femme enceinte, est prié d’aller faire un tour à l’abattoir de la ville pour se renseigner sur les variations de prix de la viande ; un autre journaliste va aller à la centrale électrique, on ne sait jamais. Arrive le tour du chef de la rubrique culturelle et quand on lui demande ce qu’il a comme sujet, la réponse est « rien », parce que précisément il ne se passe rien. Plan large de ces journalistes (pas la moindre femme) en chemises à gros carreaux, rayures moches, avec pantalons et pulls fatigués, baskets en fin de carrière, ; certains portent des lunettes modèle Jaruzelski, retournent derrière leurs vieux bureaux en bois au vernis à l’état de vestige, avec machines à écrire de collection, piles de papiers en vrac, ici, un flacon d’encre, là, un Zenit, le célèbre 24x36 reflex made in URSS, des tampons divers et variés, une trouilloteuse en tôle, un téléphone pour deux, à part pour les anciens.
- Copyright Netflix
Justement, parmi les anciens, il y a Witold qui doit quitter la ville, pour « passer » à Berlin-Ouest. Et c’est Piotr qui le remplacera au journal. En attendant, ils bossent en tandem. Deux faits divers sont en cours. Le premier est le double meurtre d’une prostituée et de son embarrassant client, le « camarade » Grochowiak, une huile communiste locale. Le second est le suicide d’un couple d’adolescents, un garçon et la fille d’un opposant au régime. Sans trop spoiler, on découvre rapidement que ce suicide touche Witold qui mène discrètement sa petite enquête. En revanche, pour la prostituée et son client, si le petit ami de la péripatéticienne a été arrêté et a avoué les deux crimes, Piotr n’y croit pas une seconde et décide d’enquêter à son tour. Malgré les réticences de son binôme et des avertissements du rédac chef en mode « Piotr, le type a avoué (c’est plié), ne remue pas la vase (merci) et va faire un tour à l’abattoir : le prix des saucisses, c’est plus important ».
Et c’est certainement plus important, car The Mire, nous immerge avant tout dans la Pologne des années 80, sous le régime dictatorial de Jaruzelski, malgré ses pseudos avancées, l’accord de Gdańsk, Solidarność ou Lech Wałęsa. La série restitue un quotidien où chacun fait preuve de débrouillardise et de discrétion, une réalité socialiste qui ressemble à une tourbière marécageuse (sens de son titre original, Rojst), où il vaut mieux effectivement éviter de remuer la vase au risque de couler, la milice pouvant à tout moment vous expédier en prison ou pis, en asile psychiatrique. Et bel et bien une société où le prix de la saucisse fera forcément la une, puisque l’activité principale des femmes au foyer, outre s’ennuyer ferme dans des appartements qui semblent figés dans les années 70 loin de nos 80’s « capitalistes », est de faire la queue devant des magasins vides. Des queues où les personnes âgées prévoient leur siège pliant. Tout ceci est incroyablement restitué à coups de formica, chaises et tables pieds inox, portes avec vitres ou en bois qui sonne creux, du orange et autres motifs improbables, en veux-tu en voilà, rues grises, immeubles tristes, et autres vieilles Lada. Sans oublier une bande-son pur sucre Polska Nostalgia. Une sinistre Pologne nourrissant alors les psychologies et comportements de nos personnages, pris dans un tortueux processus pour arriver aux tenants et aboutissants des meurtres et suicides.
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Hélas, c’est là où le bât blesse dans The Mire : son ambiguïté entre son ultra-réalisme, via aussi une lumière qui n’est pas sans rappeler celle d’un Jonathan Demme (Le silence des agneaux) ou d’un David Fincher, et la tentation du fantastique avec des ambiances façon Dark*, par exemple. Car, sans spoiler à nouveau, on s’interroge trop sur cette forêt, presque dans la ville, étouffante et commune aux deux affaires, qui manifestement cache un secret comme le suggère le dérangeant et mystérieux générique, l’étrange séquence d’ouverture, de multiples allusions à demi-mot, et surtout la motivation profonde du départ de Witold pour Berlin. Si le volet « thriller » est un honnête sac de nœuds bien tendu sur cinq épisodes, sa résolution, autrement dit qui a tué qui, est, quant à elle, amenée de façon un peu maladroite. Bien que The Mire soit une série bouclée, il n’en reste pas moins que quelques détails (on n’en dira pas plus) nous laissent sur notre faim. Et dans cette Pologne avec magasins vides et marché noir en dollars, c’est assez rude…
The Mire entre alors dans la catégorie « pénible » de ces séries à suspense très bien réalisées et interprétées (à commencer par Andrzej Seweryn de la Comédie-Française vu dans Danton ou La Liste de Schindler dans le rôle de Witold), sous tension permanente, assez scotchantes et donc agréables à regarder, mais qui génèrent, à la fin, ce sentiment… mais si… vous savez… grrr.
- Bientôt… »
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(*) Dark : vertigineuse série Netflix sur une histoire de faille spatiotemporelle dans une forêt, justement, à réviser, ou découvrir d’urgence si pas vue, car la saison 3 finale plus qu’attendue arrive bientôt (en principe, sauf retard dû aux raisons qui nous concernent tous…).
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fred-vdl 11 décembre 2020
The Mire - la critique de la mini-série
C’est la première fois que je vois une série parlant comme ça de la société polonaise. Je ne comprends pas que vous n’y voyiez que si peu de choses.
La Pologne est un pays qui après guerre a complètement changé de frontière. La ville décrite est une ville où personne n’a d’histoire familiale sur place. Personne n’a de racines. Les habitants vivent dans ces immeubles d’après-guerre à l’est qui ont été construits sur les ruines de vraies maisons construites avant-guerre. Le quartier de l’abattoir est un ancien quartier allemand d’avant-guerre.Le bois a une histoire terrible aussi. Pour la première fois cette partie de Pologne est évoquée. Pas avec des gros sabots. mais par un homme sans espoir qui aimerait aller à Berlin pour sa femme. Mais qui est trop faible et qui n’ira jamais.Oui il ya du gris. beaucoup de gris. Mais j’attends la deuxième série avec impatience.