The Double - la critique du film

Richard Ayoade est de retour. Quatre ans après Submarine, l’ex-pilier de la série british The IT Crowd adapte donc Dostoïevski, et souhaite en finir avec le bon sens.

L’argument : Garçon timide, Simon vit en reclus dans un monde qui ne lui témoigne qu’indifférence. Ignoré au travail, méprisé par sa mère et rejeté par la femme de ses rêves, il se sent incapable de prendre son existence en main. L’arrivée d’un nouveau collègue, James, va bouleverser les choses, car ce dernier est à la fois le parfait sosie de Simon et son exact contraire : sûr de lui, charismatique et doué avec les femmes. Cette rencontre amène James à prendre peu à peu le contrôle de la vie de Simon…

Notre avis : Bien avant de dupliquer Jesse Eisenberg à l’écran, Richard Ayoade s’était lui-même divisé pour mieux régner sur le monde de la comédie alternative. Quand Maurice Moss, son itération geek, alignait les vannes de cyborg inadapté et les punchlines vénusiennes dans The IT Crowd, Ayoade le cinéaste se posait en caution chic du personnage, citant Fellini ou Malick en interview, mais lorgnant dès Submarine sur les territoires de Wes Anderson et Jared Hess (Napoleon Dynamite). Une scission excitante, mais imparfaite : qu’elle soit émise directement par les narines de Moss (le seul homme à pouvoir se moucher les cordes vocales) ou confiée par procuration à d’autres acteurs, la voix de Richard demeure le médium privilégié des outsiders de l’existence, des cassos surréalistes et des accidentés identitaires. Une veine mère dont l’humour placide se déverrouille légèrement sur grand écran, où il est à la fois plus grave, plus tendre et plus doux grâce à sa nouvelle formule enrichie en cinéma sensible et respectable. Mais si l’anticonformisme poseur du pré-pubère Submarine manquait d’allant, et maquillait surtout une panne d’étrangeté haut-de-gamme, The Double embrasse à pleine bouche un absurde touchant et malhabile, comme un chiot tout juste sorti de l’animalerie.

© Mars Distribution

Ecrite à quatre mains avec Avi Korine (le frangin d’Harmony), la chose raconte donc la lutte de Simon - handicapé social et paillasson bureaucratique - contre un doppelgänger déterminé à lui pourrir une existence déjà bien en dessous des attentes du bipède standard. Antithèse totale de son jumeau, James sait parler aux dames, aux patrons et aux serveuses. Surtout, James est visible, et peut se promener avec le visage de Simon, ce figurant du réel, sans que personne ne se formalise. Une belle matière pour un thriller comico-existentiel qu’Ayoade, certainement conscient depuis Submarine de ne pas pouvoir tourner son grand ovni en milieu pavillonnaire, a choisi de plonger dans une interzone urbaine, anglo-soviétique et parfaitement indéterminée. Le genre d’endroit à faire passer une gare RER pour une villa toscane. Malgré tout, bien que le bain d’angoisse kafkaïenne dans lequel trempe l’ensemble évoque Brazil à tout bout de plan, les lumières expressionnistes, les manipulations sonores et les anti-gags donnent à ce second effort un cachet aux effets plus flagrants que le placebo du premier. Trop malin pour ne pas résister à la tentation du film-puzzle, énième déclinaison du thème de la schizophrénie, son script frontal se concentre sur le postulat dostoïevskien (la gémellité inaperçue) et se contente d’en tirer patiemment la sève comique (ce qu’il fait de mieux dans le film). The Double gambade donc, en bon cauchemar au rire coupant, sur la contre-allée du cinéma moderne. Peut-être sa portion la plus fréquentée certes, notamment par Lynch et Kaurismäki, mais le cinéaste semble enfin pousser sous le cinéphile. Ça reste bourgeonnant, et il faudra que Richard veille à s’arroser régulièrement pour se dresser sans tuteur, mais c’est une bonne nouvelle.

Teaser 1

Teaser 2

Bande-annonce