Sous les eaux stagnantes
Le 29 septembre 2014
Présenté pour la première fois en France pendant la XXe édition de l’Étrange Festival, The Canal ne pourrait être qu’une énième variation sur le thème de la maison hantée mais bien plus de choses se jouent dans ce récit horrifique que nous avons souhaité décortiquer avec le réalisateur lui même.
- Acteurs : Rupert Evans, Steve Oram, Hannah Hoekstra, Antonia Campbell-Hughes
- Genre : Épouvante-horreur
- Nationalité : Irlandais
- Durée : 1h32mn
- Titre original : The Canal
- Festival : L’Etrange Festival 2014
Présenté pour la première fois en France pendant la XXe édition de l’Étrange Festival, The Canal ne pourrait être qu’une énième variation sur le thème de la maison hantée mais bien plus de choses se jouent dans ce récit horrifique que nous avons souhaité décortiquer avec le réalisateur lui même.
L’argument : David, archiviste, est persuadé que sa femme le trompe. Tout empire quand il découvre un film lui apprenant que sa maison a été le théâtre de brutaux assassinats. Stressé au plus haut point, David se persuade vite que sa demeure est hantée.
Notre avis : Présenté en compétition lors de la XXe édition de l’Étrange Festival, The Canal a généré autant d’avis favorables que très négatifs. En effet, le film part d’une situation de départ très convenue (un couple qui aménage dans une maison dite hantée) et accumule les citations et références visuelles. En même temps, il s’agit là du sujet du film. Ivan Kavanagh, le réalisateur, ne cache pas qu’il a voulu rendre hommage à la grande tradition du cinéma d’horreur et remonte carrément dans les plans introductifs du générique jusqu’au Chien andalou de Luis Buñuel, voire aux films des frères Lumière. Dès le début, le personnage principal s’adresse au public en parlant du caractère spectral et mortifère du médium cinématographique. La couleur est donc annoncée, et, tout au long du métrage, on pourra reconnaître des clins d’œil à Suspiria de Dario Argento, Shining de Stanley Kubrick, Le Locataire de Roman Polanski, Ring de Hideo Nakata ou encore et surtout au Sinister de Scott Derrickson. L’histoire en elle-même se prête à différents niveaux de lecture. Nous avons soit à faire à un homme déboussolé et dévasté par la mort de sa femme qui plonge peu à peu dans la folie, soit à un criminel jaloux, paranoïaque et schizophrène, soit à une histoire de possession surnaturelle. Cette construction multi-couches permet à Ivan Kavanagh de s’amuser et d’expérimenter avec le médium, suivant une approche fantasmatique et cauchemardesque. Ainsi se mélangent différents grains d’images (notamment des séquences tournées avec une caméra authentique de 1915), le noir et blanc granuleux peut laisser place à des couleurs rouges et bleues saturées. Plans subliminaux, partition oppressante et dissonante à souhait, décors claustrophobes se limitant à des intérieurs de maison, des salles de projection et un canal sordide que jouxtent des toilettes abjectes, tout est mis en œuvre pour emporter le spectateur dans un tourbillon d’images et de sons angoissants. Et malgré un abus des jump scares, le film réussit plutôt bien cet amalgame entre réalité et fantasme, entre ombres et lumières, appuyé par un montage complexe et fluide assuré par Robin Hill, le complice des premiers films de Ben Wheatley. D’ailleurs, les reproches que certains ont fait au film de Kavanagh sont les mêmes que ceux que le cinéma de Wheatley évoque, en particulier le fait de n’être qu’hommage à des choses passées et de n’avoir qu’une valeur anecdotique.
Pourtant, nous avouons nous être laissé emporter par ce film qui nous en a mis plein les yeux et les oreilles, un tourbillon visuel et sonore où l’histoire s’avère au bout du compte assez secondaire. Les acteurs eux mêmes paraissent parfois ailleurs, comme déconnectés de la réalité du film, sous tension ou presque absents, photogéniques jusqu’à ne devenir plus que cela, des enveloppes vides, absorbées par des émotions contraires. Car le héros du film est bel et bien ce canal et la riche dimension métaphorique qui l’anime, à la fois lieu de naissance et de mort. Toutes les thématiques se retrouvent dans ses eaux sales : deuil, malédiction, enfantement... Il est la représentation visqueuse des ces personnages pris dans des cercles concentriques liés aux notions du travail, du mariage, de la famille, et qui mènent toujours plus loin dans l’horreur. Faire l’amalgame entre ces pressions sociales, le poids écrasant de ces valeurs (Kavanagh abordera avec nous l’impact du catholicisme et de la culpabilité sur son travail) et les récits de fantômes est en soi passionnant, même s’il ne s’agit pas d’une idée nouvelle. À la fois old school et stylisé, The Canal est un film au ton sérieux (si ce n’est quelques petites touches d’humour apportées par le policier), visuellement maîtrisé, et au final très accessible pour le grand public. C’est d’autant plus étonnant quand on sait que le cinéaste irlandais a auparavant réalisé un film d’horreur arty en noir et blanc tourné avec mille euros (Tin Can Man, 2007) ou un drame intimiste comme The Fading Light (2009). Une personnalité intrigante (et fort sympathique) que nous avons souhaité rencontrer, et comme vous allez le voir, son amour du septième art ne fait aucun doute et ses projets futurs risquent de surprendre. La discussion a été assez longue et le courant est très bien passé, voici quelques extraits choisis.
L’interview du réalisateur :
Avoir-Alire : Je viens de découvrir The Canal, c’est le premier de tes films que je vois mais tu en as réalisé plusieurs auparavant.
Ivan Kavanagh : Peu de gens les ont vus. C’est mon cinquième long métrage. J’ai fait mes trois premiers films en m’autofinançant et ils ont été conçus avec très peu d’argent. À peu près mille euros chacun et ils ont bien circulé dans les festivals. C’est comme cela que j’ai fait connaître mon nom. J’ai fait un film en 2007 qui se nomme Tin Can Man, qui est un autre film d’horreur. Et entre cette période, j’ai réalisé deux film d’art et essai. mais je mourrais d’envie de revenir au genre horrifique. J’aime la liberté qu’il donne. On peut faire ce qu’on veut avec, on peut pousser le son, la vision, le montage jusqu’aux limites. Et on peut vraiment s’amuser. C’est le budget le plus important sur lequel j’ai travaillé.
Oui, parce que là c’est un film avec des moyens.
Pas tant que cela. 900 000 euros. Et tout l’argent a été mis sur ce qu’on voit à l’écran. On a eu juste vingt jours pour tourner le film. Mais le rendu est vraiment bien.
The Canal est une histoire de fantômes, dans la tradition. Pourquoi le choix de faire un film de fantôme ?
J’aime les films ambigus où on se demande toujours ce qui se passe. Est-ce dans sa tête ? Est-ce que cela se passe vraiment ? Est-ce que ce sont des fantômes ou les deux ? J’ai voulu jouer avec cela et laisser une ambiguïté à la fin du film. Je veux faire un film qui reste dans l’esprit des gens bien après qu’ils l’aient vu, que les images restent au moins deux semaines dans leurs têtes. Je voulais faire un film que même si tu l’aimes ou si tu le détestes, tu ne puisses l’ignorer. Il y a un caractère agressif en ce sens. J’aime les films d’horreur depuis que je suis gosse. Mes meilleurs souvenirs de visionnages de films sont liés à des films d’horreur. À sept ans, je me souviens avoir été malade et être descendu de ma chambre, mes parents regardaient Rosemary’s Baby. C’était cette fameuse scène où elle regarde à l’intérieur du berceau à la fin et qu’elle dit : « qu’as-tu fait à ses yeux ? ». Et là il y avait cette musique fascinante par Krzysztof Komeda et cela m’a profondément terrifié. C’est resté avec moi pendant longtemps. Je n’ai vu le reste du film que vingt ans plus tard. J’aime vraiment cet aspect onirique des films d’horreur. C’est ce que j’ai voulu faire ici. Un film qui ressemble plus à un cauchemar. Cela commence comme un cauchemar et ça s’accentue au fur et à mesure. C’est pour cela que l’imagerie est si crue. Car quand tu fais un cauchemar, tu n’as aucun contrôle sur les images qui surgissent dans ta tête.
Le film est plus qu’un hommage à Rosemary’s Baby mais à tout le cinéma d’horreur. Dès le départ, on a un rappel de l’œil coupé du Chien andalou de Luis Buñuel.
Oui, Le Chien andalou a été une référence absolue. Et dans un sens, il s’agit d’un film d’horreur. Dès les débuts du cinéma, les films les plus inventifs ont été des films d’horreur. Je voulais faire un film sur un archiviste du cinéma. Il regarde des films car c’est son métier. Il doit connaître toutes les intrigues des films d’horreur qui ont été faits, et dès le début il parle des films d’horreur. Il fait référence à La Féline. Ses cauchemars, ses visions, ses hantises sont colorés par les films qu’il a vus. C’est donc un film sur les films d’horreur. Je joue avec le genre, je le déconstruis un petit peu aussi. Le film est très conscient de l’héritage qui l’a fait naître, de cette tradition. C’est pourquoi cela commence par un des schémas les plus populaires des films d’horreur : une famille aménage dans une maison et il y a un passé horrible.
Et dès le début, on a le motif du film dans le film, avec le lancement de la projection, et en même temps il y a ce personnage qui a sûrement vu trop de films d’horreur. Il y a toutes ces narrations qui se contaminent.
Il y a une scène très expérimentale au début où on trouve une accumulation de plans d’une image qui se suivent, des plans subliminaux pleins de visuels horribles. Je voulais que les gens sachent que tout peut se produire dans ce film. Durant le film, il y a toutes ces coupures brutes du projecteur et je pense que je voulais que pour le public tout le film soit comme une construction dans l’esprit du personnage principal. Nous ne pouvons faire confiance à ce que nous voyons car nous ne pouvons pas faire confiance à ce narrateur, à travers lequel nous voyons le film. Nous savons dès le début que tout ce que nous voyons dans le film est orienté par son point de vue.
Il y a aussi ce jeu entre le noir et blanc et les couleurs très vives. On passe donc du noir et blanc des vieux films à des couleurs rouges très prononcées.
Oui, nous avons vraiment poussé les couleurs. Pour ces vieux films que nous avons recréés nous avons utilisé une caméra de 1915. On a tourné sur du 16 mm, du 35, on a utilisé tout un tas de caméras. Notre pierre de touche c’était les films Lumière. Il y a en particulier quelque chose dans l’arrière plan de ces films, c’est si différent de ce que l’on trouve dans les films modernes.C’est quand on a fait des tests avec la caméra de 1915 qu’on s’est rendu compte qu’on arrivait à obtenir la même chose. Nous ne pouvions avoir d’assurance avec cette caméra. Donc il n’y avait pas de garantie que la séquence allait bien sortir car l’appareil était si vieux. Nous n’avions pas de viseur. Nous devions tout mesurer. Et nous ne savions pas ce que nous allions obtenir. Mais quand c’est sorti c’était fascinant. J’aime les films qui mélangent les stock shots, les couleurs mélangées, le noir et blanc. Je n’ai jamais oublié la première fois que j’ai vu JFK au cinéma. Il faut vraiment le voir sur un grand écran, projeté en 35. C’est là qu’on voit toutes les différences entre le grain des films et les stock shots. J’aime ce passage des couleurs vives au noir et blanc. On a mis beaucoup de couleurs primaires dans ce film, le rouge bien sûr. Don’t Look Now de Nicolas Roeg était une référence visuelle, Suspiria de Dario Argento aussi avec ses bleus et rouges vifs. Je voulais évoquer cette tradition. Cet archiviste est entré dans son propre film d’horreur.
À un moment le personnage filme une scène pour prouver que ses visions sont réelles et il utilise une vieille caméra. C’est celle là que vous avez utilisée ?
Oui, c’est celle là. Quand on le voit filmer, c’est ce qu’il filme avec cette caméra.
C’est bizarre de le voir utiliser cette vieille caméra alors qu’en même temps il possède un laptop, un portable et une technologie moderne.
J’aime beaucoup les premiers Brian De Palma aussi, Carrie, Blow out. Ce sont des films très stylisés avec des couleurs très vives. C’est un choix de style qui n’est pas forcément pratique. Mais cela évoque sa folie d’une certaine manière. Pour faire mes recherches, je suis allée aux BFI (British Film Archives) à Londres et j’ai projeté dans une petite chambre obscure de très vieux films. Des films Lumière notamment. Des films allant de 1898 jusqu’à 1905. Il y a quelque chose de magique quand on voit le vacillement en face de soi. Je voulais évoquer cela.
Pour un cinéaste comme toi qui a pu commencer en faisant des films avec des caméras bon marché, quelle est ta relation au médium, surtout aujourd’hui où tout est digitalisé.
Je trouve cela très triste. Je me souviens quand gamin j’allais au cinéma. Les gens fumaient à l’époque dans les cinémas. Et on voyait ces rayons et vacillements de lumière. Quand le film était mauvais, je me contentais de regarder les jeux de lumière sur le plafond. Il y avait aussi le son du film qui passait par le projecteur. C’est un des plus beaux sons qui soient au monde. Cela m’attriste que maintenant ce soit juste un ordinateur et tu appuies sur le bouton « Lecture ». Ce que j’aime dans le celluloïd, ce sont les imperfections. Le grain, les égratignures. J’ai cela dit entendu dire que Kodak continuait à développer du 35 mm, et que Martin Scorcese filme son prochain film en 35, David Fincher et Christopher Nolan aussi. Donc cela peut revenir.
Et pour toi, qui est passé du téléphone portable à une caméra de 1915, tu aimerais en revenir à ces formats ?
Si je pouvais je tournerais tout en 35 mm. C’est juste le coût qui est plus élevé. Nous avons fait le film avec une caméra Red Epic. Mais cela s’améliore. Un film quand il revient du labo, il est superbe. Avec le digital, tu dois vraiment travailler pour que cela ressemble à ce que tu souhaites. Mais même si la résolution est excellente, ce ne sera jamais du 35 mm.
Oui, avec le digital, tu dois retravailler les images.
Même les bords flous, c’est superbe. J’ai fait autrefois de petits films expérimentaux avec une caméra 8 mm, du Super 8, du Super 16. J’aime quand l’image est assez sale, avec le plus d’égratignures possibles.
Pour en revenir au titre, nous avons non seulement une maison hantée mais aussi un lieu hanté avec ce canal. Il y a tout ce lien à la mort et aux cadavres que l’on trouve dans le canal, mais cela renvoie aussi à la naissance, même si je ne veux pas trop révéler l’intrigue.
Oui, le birth canal.
La symbolique de l’eau devient donc très riche dans le film.
J’ai grandi près d’un canal. C’est là que je jouais. Cela ressemblait à une décharge, c’était délabré et dégoûtant. Cela me terrifiait mais j’aimais ça aussi. La peur te fait imaginer des choses. Je voulais tourner dans cet endroit où j’ai grandi mais quand j’y suis allé, tout avait été rénové, c’était beau mais ce n’était pas ce que nous cherchions. Donc nous avons dû trouver le coin le plus dégoûtant que nous puissions trouver autour du canal de Dublin. Et c’était difficile. Finalement en utilisant Google Maps, nous avons suivi la route du canal, puis j’ai vu cette ère industrielle avec ces pylônes. Puis nous y sommes allés, et c’était vraiment délabré. C’était parfait pour le film et juste à côté il y avait ces toilettes hideuses. Elles existent vraiment. On les a rendu pires encore mais elles étaient vraiment horribles et dégueulasses. On a tourné pendant l’été, durant les jours les plus chauds de l’année, et l’odeur était terrible. Mais visuellement c’était ce que je voulais.
Pour ce qui est du son et de la musique, les bruitages atteignent par moments une puissance symphonique et le son dans la salle était très fort, presque assourdissant. Peux-tu revenir sur le design sonore du film et sur la musique elle même car les deux sont vraiment combinés pour ne former qu’une seule et même chose.
Je voulais créer une expérience viscérale où le son aurait autant d’importance que l’image. J’avais réalisé le design sonore sur mes films précédents où c’était très présent également. C’est la première fois que j’ai travaillé avec une autre personne qui se nomme Aza Hand. Je lui ai dit que je voulais un soundtrack agressif, qui jouerait avec les nerfs des spectateurs. Je voulais que le design sonore et la musique se fondent l’un dans l’autre, de sorte à ce qu’on ne puisse pas les séparer la plupart du temps. C’est vraiment un soundtrack multi-couches. On a passé autant de temps sur le son que sur le montage, ce qui est assez inhabituel je pense. Je voulais un son très avant garde. J’adore la musique classique d’avant-garde. Je ne suis pas allé vers un compositeur de soundtrack mais vers un compositeur de concerts d’avant-garde et il est vraiment allé vers une dimension dissonante et puissante. Cela a pris beaucoup de temps pour trouver ce son spécifique qui était dans ma tête. Mais je crois que ça paie, les gens sont vraiment affectés par le design sonore. J’en suis très fier.
Ce serait bien qu’il y ait un album avec la bande originale.
Le soundtrack va sortir très prochainement. Je crois que c’est sur Elektra Records, ce sera disponible sur iTunes ou Amazon. Ce n’est pas vraiment le genre de musique à jouer quand tu reçois des invités pour le dîner mais il y a une puissance.
Oui, on est dans de l’avant garde apocalyptique comme on en trouvait dans les années 60 et 70.
J’adore des compositeurs comme Penderecki, Ligeti, Stockhausen, Pierre Boulez. Nous nous sommes aussi inspirés d’un compositeur britannique, moins connu, Hodgkinson, il crée des sons que je n’avais jamais entendus avant. C’est une des directions que j’ai donnée à Ceiri, le compositeur. Je lui avais dit : « fais en sorte que les instruments ne sonnent pas comme des instruments mais plus comme des animaux ou autre chose ».
Et ce compositeur, il est toujours en activité ?
Tom Hodgkinsonest du pays de Galles, et oui il continue à travailler. Une de ses compositions a été utilisée dans le Shutter Island de Martin Scorcese. Juste un petit bout. Les gens prennent ça pour du design sonore plus que pour de la musique.
D’ailleurs on peut y voir un clin d’œil au travail de Lalo Schifrin, quand il mélangeait les voix d’enfant avec des cordes dissonantes par exemple pour Amityville.
J’adore le soundtrack qu’il a fait pour L’Inspecteur Harry avec cette voix de femme sur le morceau « Scorpio’s Theme ». Je la trouve terrifiante, une de mes bandes originales préférées de tous les temps. D’ailleurs, dans l’avion qui m’a amené ici, je l’écoutais sur mon Ipod. J’adore aussi la bande originale de La Planète des singes, très avant garde pour son époque, de Jerry Goldsmith. C’est absolument fascinant. Il utilise des cors qui ressemblent à des singes. Pour moi c’est aussi un des films les plus lugubres que j’ai vus.
Tu dis que tu as mis du temps à travailler sur le son, mais le montage est également très complexe.
Oui, c’est vraiment expérimental, je trouve. C’est la première fois que je travaillais avec un monteur aussi, Robin Hill qui a travaillé sur les films de Ben Wheatley, comme Kill List, il apparaît même dans Down Terrace. Je voulais trouver un monteur qui travaille d’une manière assez similaire à la mienne. Et je voulais aussi expérimenter parce que j’adore ça. Ce fut une des collaborations les plus géniales que j’ai jamais eues. Ce fut un plaisir total. On était d’accord sur tout. Nous voulions expérimenter au maximum, nous avons utilisé beaucoup d’images subliminales. On a utilisé des split screens composés d’une seule image. C’était ce qui m’intéressait dans le fait de faire un film d’horreur, cette possibilité à pousser les limites. C’est pourquoi je pense que dans Shining, on trouve ce que Stanley Kubrick a fait de mieux. C’est très expérimental car le film d’horreur permet ça. Et ce n’est pas une coïncidence si Kubrick était un grand fan du Massacre à la tronçonneuse, qui est un des films les plus viscéraux que j’ai vus. Et le soundtrack est un des meilleurs de l’histoire du cinéma. C’est tellement génial. Et bien sûr cela m’a inspiré et m’a montré jusqu’où on pouvait aller avec le son.
Peux-tu revenir sur les choix du casting et le fait d’avoir un enfant au côté du personnage principal, ce qui renvoie aussi aux films d’horreur des années 70 qui aimaient représenter des enfants à l’écran.
Rupert Evans tient le rôle principal. Il a essentiellement fait des films historiques. Je crois que cela l’intéressait de faire autre chose en tant qu’acteur, d’aller vers une approche plus sombre, introvertie. Le casting a été long. Je voulais quelqu’un qui soit très beau et que l’on ne peut qu’apprécier, mais je voulais aussi qu’il ait une vulnérabilité. Rupert avait ça. Dès que nous avons parlé par Skype, j’ai su qu’il avait ce que je cherchais. Le film pose aussi la question, a-t-il tué sa femme ou pas ? Et avec Rupert, on ne sait jamais. Est-ce qu’un type aussi charmant peut tuer sa femme ? J’ai aussi été intéressé par ces personnes que l’on voit à la télé, ces maris qui recherchent leurs femmes qui ont disparu, et il se trouve que c’est le mari le responsable. Je voulais vraiment qu’il y ait ce doute chez les spectateurs et Rupert a fait un travail formidable, quand on sait en plus que l’on n’a tourné qu’en vingt jours. Il fallait qu’il soit dans le personnage et c’était oppressant pour lui. Il était épuisé à la fin, car il est presque dans chaque plan du film. Ce film qui est aussi à presque 100 % de son point de vue. Les femmes, la violence, les rêves sont tous colorés par sa vision. Pour ce qui est de l’enfant, je ne voulais pas un enfant-acteur. On en a auditionné 300. Cela s’est réduit à 30 et l’enfant que nous avons choisi était le plus jeune. Il avait cinq ans. Il n’avait jamais joué la comédie avant mais il avait une capacité naturelle. C’est un enfant très intelligent, très naturel, mais il ne savait pas dans quel type de film il jouait. Pour lui, c’était un jeu, et je lui ai caché toutes les scènes d’horreur.
Les enfants sont si vulnérables. Les enfants croient leurs parents de façon absolue. Sans se poser de question. Et nous savons que la personne la plus dangereuse pour lui est son père. Nous voulons le protéger. En même temps, il y a ce thème des péchés du père, cette violence qui perdure et les conséquences. La fin parle de cela. Après un acte terrible de violence, les conséquences se répercutent sur la génération suivante, que la fin soit surnaturelle ou métaphorique. Quand nous réalisons ce qui s’est vraiment passé, nous en comprenons l’horreur et les conséquences sur l’enfant. Pour moi aussi, quand j’étais enfant, j’étais très effrayé. Et ces conversations entre le père et le fils me rappellent des conversations que j’ai eues avec ma mère. J’étais obsédé par les dinosaures comme le petit garçon, on en parlait beaucoup. Pour moi, les enfants sont liés au film d’horreur. On ne pourrait enlever l’enfant dans Shining, et même si il n’y a pas d’enfants dans massacre à la tronçonneuse, les personnages agissent parfois comme des gosses. Il y a quelque chose de très puissant dans l’image du Mal qui s’attaque à l’innocence.
C’était la première diffusion en France ?
Oui, la toute première.
Va-t-il y avoir une diffusion nationale et une date a-t-elle été fixée ?
Il sort aux États-Unis le 10 octobre. Les producteurs négocient des contrats pour l’Europe et le Royaume Uni. Donc cela ne devrait pas tarder.
As-tu déjà des idées sur ce qui va venir après ?
La semaine prochaine je pars à Los Angeles pour parler avec une chaîne de télévision pour une série d’horreur. Je ne peux pas m’avancer mais je trouve que c’est un beau programme. Je ne peux pas encore en parler mais la chaîne est très intéressée. Je suis aussi sur l’écriture d’un autre film d’horreur psychologique qui implique là aussi un enfant comme personnage principal. Contrairement à The Canal, je ne pense pas connaître de films qui y ressemblent. Du moins les références ne sont pas directes. C’est vraiment dérangeant et terrifiant et cela va me permettre de faire un film stylisé à nouveau. C’est aussi très émotionnel. Je travaille sur un western aussi, un western violent sur un immigrant irlandais en Amérique qui se déroule en 1849. Je croise les doigts pour que la production commence en mars.
Ah oui ça va être différent de la claustrophobie de The Canal !
En parlant de claustrophobie, Polanski est un vrai maître dans le domaine. J’adore Le Locataire en particulier. Je ne l’ai pas revu depuis que j’étais gosse mais ça fait partie des films que je devrais revoir.
Je l’ai revu il y a deux mois et cela faisait au moins vingt ans que je ne l’avais pas vu. J’ai beaucoup plus ressenti l’humour que la première fois où je l’ai vu.
Oui, Polanski a beaucoup d’humour. Il y en a un peu dans Répulsion mais dans Rosemary’s Baby, il y a beaucoup de passages comiques surtout en ce qui concerne les personnages.
Bien sûr ce n’est pas ce qu’on retient essentiellement de ses films.
C’est vrai, mais son humour est très ancré dans le réel. Dans Le Locataire, je me souviens que ça touche presque au surréalisme. Je sais qu’il avait positionné la caméra pour que le décor fasse penser à une chambre normale mais dès que le personnage s’éloigne de la caméra, on s’aperçoit que la chambre est immense. Je trouve cela si malin. Il a utilisé la Lumar Crane, Antonioni l’avait utilisée dans Profession : Reporter où il était possible de faire avancer ou reculer l’échelle dans de petits espaces. Même si je devais avoir douze ans quand je l’ai vu, je me souviens d’un plan au dessus de l’épaule du personnage et tourné vers le bas au moment où il va sauter. Puis on voit les personnes dans les autres appartements qui frappent dans les mains et qui se moquent de lui. Puis cela revient sur ses pieds et il saute. Tout cela est tourné en une seule séquence. C’est stupéfiant.
Il y a un lien avec The Canal car à un moment il voit les gens avec des masques sur la tête et dans le film on retrouve un plan avec les masques.
En fait, là je me suis inspiré des photos américaines de masques d’Halloween des années 50, faits en papier mâché, mal conçu mais je voulais ce genre de masques. Comme s’ils avaient été faits par des gens sans talent. Quand on les a amenés au départ, ils étaient trop bien faits donc on a demandé à quelqu’un qui ne savait pas en faire de les confectionner. Et c’était parfait. Ces vieilles photographies sont vraiment très troublantes.
Le choix de l’histoire de fantôme est aussi intéressante dans le cadre d’un film sur le deuil, car quand on perd quelqu’un on a l’impression de voir son fantôme partout. À un moment, dans le film, on dit au personnage principal que cela fait partie du processus de deuil.
Quand des personnes de ma famille sont mortes ou des amis proches, j’ai vraiment senti leur présence dans la pièce. Les gens disent souvent revoir les personnes dans la rue. Cela s’estompe avec le temps, ce que je trouve triste. Mais je voulais aussi en appeler à ce sentiment dans une sorte de version extrême. Les gens imaginent tout un tas de choses quand ils sont en deuil. Quelqu’un m’a dit que la fin pouvait être optimiste car tout indice d’une vie après la mort est la définition même de l’optimisme. Je crois que c’est Kubrick qui avait dit que toutes les histoires de fantôme sont optimistes car elles disent qu’il y a une vie après la mort. C’est mieux que le néant. Je crois que Sartre aussi avait parlé du fait que l’éternité c’était mieux que le néant.
Ce matin, j’ai visité le cimetière de Montparnasse et il y avait une phrase très poétique sur la tombe de Ionesco, où il suggère que peut-être il y a Jésus au bout du chemin. Il y a exactement écrit : « Prier le Je ne sais qui, peut-être Jésus Christ ».
J’ai été éduqué dans un environnement catholique. On m’a appris à croire en Dieu puis je suis devenu athée quand j’avais une vingtaine d’années, mais je m’en sentais coupable. Il doit y avoir quelque chose de profondément ancré en moi qui souhaite toujours croire. Une des raisons pour lesquelles les gens revisitent les histoires d’horreur et de fantômes, c’est qu’ils peuvent faire l’expérience de ces choses, avoir peur de la mort puis en ressortir heureux jusqu’à ce que la mort les rattrape. Dans ce film, on ne s’en sort pas si facilement. C’est pour cela que certains se mettent en colère quand ils le regardent. J’ai eu autant de retours de gens qui ont haï le film que de gens qui l’ont adoré. Les pires films ce sont ceux qui laissent indifférents. Du moment qu’il y a une réaction émotionnelle, cela me suffit. Mais pour la sortie à New York, pour la première au festival de Tribeca, les critiques ont été fantastiques, que ce sont dans le Hollywood Reporter, l’Indiewire. Ce qui m’a étonné, c’est qu’en Europe, certains ont pris le film de façon très littérale. Mais à 99%, les retours ont été bons.
Le cinéma d’horreur actuel n’est que références à foison, mais ce qui différencie ton film c’est qu’on sent que tu as digéré et que tu es conscient de cette histoire du cinéma d’horreur, ce qui permet au bout du compte d’oublier les nombreuses références pour ne plus être que dans le film.
Je voulais faire un film multidimensionnel. Il peut s’apprécier comme un simple film d’horreur mais il y a d’autres choses à y voir. Même dans les dialogues, il y a des indices, ou dans des montages subliminaux. Au début du film, au bout de cinq ou dix minutes, il y a un plan qui raconte toute l’histoire. Les gens ne vont pas le voir de suite mais j’ai aimé faire ça. Il y a de l’écriture subliminale aussi. J’aime les films que peuvent être cérébraux mais qui peuvent aussi s’apprécier sur un plan plus basique et viscéral.
C’est comme ce plan dans L’Exorciste, c’est très court, mais cela nous révèle la fin quand le prêtre est possédé par le Diable.
C’est très puissant. J’avais lu que c’était un essai de maquillage qu’ils avaient fait. Ils avaient décidé de l’utiliser juste parce que c’était si saisissant, ce visage peint en blanc sur un fond entièrement noir. S’ils avaient laissé le plan trop longtemps, on se serait rendu compte du maquillage et de l’aspect factice. J’aime aussi les séquences de rêve dans L’Exorciste. Le son est très bien utilisé, des sons très forts suivis d’un silence complet. C’est très efficace.
La séquence dans le silence complet marche d’ailleurs très bien dans The Canal.
Nous avons voulu voir jusqu’où nous pouvions la prolonger.
Du coup, on écoute chaque son minuscule, le bruits de pas.
C’est la peur de l’inévitable. Tu sais que cela va arriver mais quand ? On peut le prendre sérieusement et apprécier ou on peut l’analyser.
Merci et bonnes chances pour tous ces projets !
Merci, il y en a un petit paquet...
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david 6 octobre 2014
The Canal - la critique + interview du réalisateur Ivan Kavanagh
Découvert à l’étrange festival, un film à voir, à mon avis, pour les amoureux du genre, film avec lequel les rares critiques n’ont pas été tendre pourtant. Voici le seul article que j’ai trouvé qui lui rend enfin hommage http://www.delacaveaugrenier-blogcine.fr/critique-the-canal/