Le 29 septembre 2016
Sonita est une œuvre hybride, aussi émouvante que problématique.


- Réalisateur : Rokhsareh Ghaem Maghami
- Genre : Documentaire, Teen movie
- Nationalité : Allemand, Suisse, Iranien
- Distributeur : Septième Factory
- Durée : 1h31mn
- Date de sortie : 12 octobre 2016

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Résumé : Si Sonita, dix-huit ans, avait eu son mot à dire, elle aurait comme parents Michael Jackson et Rihanna. Réfugiée afghane clandestine en Iran, elle habite depuis dix ans dans la banlieue pauvre de Téhéran. Sonita rêve de devenir une artiste, une chanteuse en dépit des obstacles auxquelles elle est confrontée en Iran et dans sa famille. En effet sa mère lui réserve un tout autre destin : celui d’être mariée de force et vendue pour la somme de neuf mille dollars. Mais Sonita n’entend pas se soumettre : téméraire et passionnée, elle bouscule les codes de cette culture conservatrice et décide de se battre pour vivre sa vie.
Critique : Il y a dans Sonita au moins deux films : le premier est l’itinéraire de la jeune fille, avec ses attentes et ses espoirs, avec aussi la chance inouïe qui lui est offerte ; le second est l’implication progressive de la cinéaste dans cette histoire jusqu’à en devenir une quasi-protagoniste. Si les deux se combinent évidemment, leur mélange ne cesse de poser la question du statut de ce qui se présente au départ comme un documentaire : à deux reprises, la réalisatrice puis le perchiste font part de l’impossibilité d’intervenir « dans le réel », ce qui sera pourtant le cas. De ce fait, le destin de cette jeune fille, pour laquelle l’équipe du film a payé, se transforme et on assiste, en somme, à un sauvetage au prix de mensonges et d’aides diverses.
- Copyright Behrouz Badrouj
Il ne s’agit pas de savoir si un cinéaste touché par un cas particulier peut ou non aider une personne qu’il filme ; mais l’ambition de capter le réel s’en trouve singulièrement amoindrie, d’autant qu’il est difficile de savoir exactement à quel point les membres de la famille sont d’accord ou pleinement conscients de la présence de la caméra et de ses effets. Ainsi, dans l’entretien entre la mère et la directrice du centre, qui peut savoir ce que cette présence change ? Qui peut affirmer qu’en tête-à-tête le dialogue aurait été le même ? De la même manière, c’est la réalisatrice qui donne les moyens du clip, ce qui va permettre le recrutement par une école américaine.
- Copyright Behrouz Badrouj
Si l’on s’attache au personnage principal, cette jeune Afghane immigrée en Iran, des rêves de célébrité plein la tête, menacée d’un mariage forcé (une vente, comme elle le dit), on ne peut qu’être indigné et ému. Et son parcours, démultiplié par celui d’autres fillettes au destin semblable, ne saurait laisser indifférent ; on tremble avec elle quand elle va chercher son passeport, on rage quand sa mère est inflexible, on peste devant ce frère qui veut de l’argent pour se marier. Difficile au vrai de ne pas ressentir ce que la réalisatrice a ressenti ; difficile de ne pas se sentir impliqué et d’être persuadé qu’on n’aurait pas agi de même. D’autant que le long-métrage excelle à saisir des regards, des sourires presque volés, mais aussi des situations émouvantes (le jeu psychologique des statues, les échecs répétés de l’enregistrement, entre autres), avec une délicatesse évidente.
- Copyright Behrouz Badrouj
Toute cette première partie, qui dissèque le quotidien d’une jeune exilée, est à la fois attachante et sans doute exemplaire : malgré les murs lépreux, la menace d’expulsion et le sombre avenir, Sonita ressemble à toutes les ados avec ses vedettes et ses posters, mais aussi son journal intime qui devient une série de collages représentatifs de ses rêves. Mais déjà la présence insistante de la caméra gêne quand la jeune fille demande de l’éteindre parce qu’elle veut enlever son voile. C’est cependant avec le don de l’équipe pour la faire rester six mois encore que le film change de registre et déconcerte. Encore une fois il ne s’agit pas de contester les intentions de la cinéaste, mais on est mal à l’aise face à ce destin, non plus exemplaire, mais exceptionnel : faut-il en déduire que YouTube et 8365 vues peuvent et suffisent à sauver des jeunes filles ? Que les écoles américaines changeront la vie des Afghanes ? On voit bien que, par rapport à son intention initiale, Sonita dévie et, au lieu d’enregistrer le réel pour témoigner, le transforme et le renverse même totalement. On est ravi pour l’adolescente éponyme ; cependant le film s’apparente alors à une fiction, émouvante, prenante sans aucun doute, mais plus une réflexion sur la condition d’un groupe ; en individualisant, il s’hybride et perd de sa force.