Le 14 août 2016
Sur un sujet brûlant, ce premier film réussit à émouvoir et à faire réfléchir sans pathos ni misérabilisme.


- Réalisateur : Rebecca Cremona
- Acteurs : Lotfi Abdelli, Sekouba Doucoure, Claire Agius
- Genre : Drame
- Nationalité : maltais
- Durée : 1h41mn
- Date de sortie : 14 septembre 2016

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Résumé : Simon part à la pêche à bord du bateau Simshar au large des côtes maltaises, avec sa famille et un travailleur clandestin. A la suite d’un accident, l’équipe part à la dérive, au milieu de la Méditerranée. Au même moment, un groupe de migrants Africains se retrouve confiné par les autorités, sur un cargo de marchandises. Un drame humanitaire qui ne sera pas sans conséquence pour les naufragés du Simshar.
Notre avis : Pour son premier long-métrage, Rebecca Cremona n’a pas choisi la facilité en s’attaquant à un sujet sensible et polémique, celui de l’accueil des migrants par l’Europe ; le film est d’ailleurs dédié à ceux qui ont péri en mer, et en particulier à l’un des jeunes héros de l’histoire, Théo. Le plus difficile, pour ne pas tomber dans le film à thèse ou dans les bons sentiments, est de trouver un angle qui permette par le biais de la fiction d’en dire beaucoup. De ce point de vue, la cinéaste a réussi, entremêlant des destins différents mais dramatiquement liés. C’est déjà bien que jamais (ou presque) on ne sente la volonté de tirer sur la corde sensible ; certes, on se serait bien passé de tel plan au ralenti, ou du revirement caricatural d’Alex, le médecin de la Croix-Rouge, d’abord peu concerné, puis quasi-militant. Mais dans l’ensemble, le film reste digne pour raconter, à travers quelques personnages exemplaires, une tragédie contemporaine.
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Les deux actions parallèles (les migrants bloqués sur un cargo et le naufrage du bateau de Simon) ne se rejoignent pas, mais la première a une influence sur la seconde, les bateaux ne s’arrêtant plus pour sauver par peur de l’immobilisation. Mais plus souterrainement, ce qui les relie est un ensemble de directives et de lois plus ou moins explicites et justifiées : là apparaissent l’absurdité et l’inhumanité de ces règlements qui condamnent à l’aveugle pêcheurs et migrants, obligeant les premiers à défier les autorités et à se mettre en danger et traitant les seconds au gré des pressions médiatiques. Dans ce cadre le personnage de John, lieutenant humain, résiste à la caricature, contrairement à l’homme en uniforme qui impose les réglementations. Le scénario, co-écrit par la réalisatrice, parvient ainsi à éviter trop de manichéisme : la dénonciation, bien présente, passe moins par des discours que par des constats et des actions ; c’est évidemment le mérite de la fiction que de pouvoir incarner des souffrances, qui restent dans l’actualité des chiffres ou des images abstraites.
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Là est sans doute la grande réussite du film : les migrants cessent d’être des groupes indistincts pour s’incarner en quelques personnages-clé (la femme enceinte, son frère, la traductrice) et accéder en quelques images au statut d’humains. De même la belle séquence dans laquelle les migrants se succèdent en gros plans sur fond de Donizetti (poignant extrait de L’elisir d’amore), inutile du point de vue narratif, fait partie de ces moments suspendus qui densifient et donnent chair à ces silhouettes. Loin du brûlot révolté, Simshar montre des regards, des gestes, des attitudes (voir le beau moment où le frère pousse sa sœur enceinte à partir) et nous émeut en profondeur, mezza voce. On aime cette délicatesse, qui ne fait pas oublier les manifestations anti-migrants, bien présentes elles aussi.
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Parallèlement, le naufrage du bateau, patiemment construit et préparé (congélateur en panne, nécessité de sortir en catimini, sans GPS), est centré sur une famille à la caractérisation un peu sommaire ; mais là encore la cinéaste trouve le ton juste pour raconter ce drame : pas d’emphase, peu de musique. Les belles idées cinématographiques s’enchaînent : la disparition de Moussa, l’ellipse de celle de Théo, sont autant de séquences risquées mais parfaitement tenues. En règle générale, Rebecca Cremona trouve la distance juste, émouvante sans pathos, sensible sans sensiblerie. Elle signe donc, malgré quelques facilités, un film profond, poignant, qui devrait être une occasion de réfléchir et de s’indigner. Au sens fort, c’est une œuvre morale, et, au vu de l’actualité, aussi courageuse qu’indispensable.