Rencontre fortuite d’un pis de vache et d’une bourgeoise névrosée
Le 27 août 2016
Considéré comme un proto-slasher, Savage Weekend est plus à apprécier comme une bizarrerie bourrée d’humour noir, à la jonction entre le drame psycho-sexuel et les ambiances rurales de la hicksploitation.
- Réalisateur : David Paulsen
- Acteurs : Christopher Allport, Jim Doerr, David Gale, Devin Goldenberg, Marilyn Hamlin
- Genre : Épouvante-horreur
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Artus films
- Durée : 1h23mn
- Titre original : Savage Weekend
- Âge : Interdit aux moins de 16 ans
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– Sortie DVD : le 6 septembre 2016
Résumé : Un groupe d’amis décide de passer un week-end à la campagne pour terminer la construction d’un bateau. Alors que chaque couple a ses différents problèmes, les quelques rednecks locaux commencent à tourner autour d’eux. Jusqu’à ce qu’arrive un tueur sauvage camouflé derrière un masque. Gore et érotisme !
Notre avis : Tourné en 1976 sous le titre The Upstate Murders puis The Killer Behind the Mask, mais condamné à rester sur une étagère avant sa ressortie américaine en 1979 par la Cannon sous l’appellation Savage Weekend, ce film est souvent classifié dans la catégorie des proto-slashers comme des dizaines et dizaines d’autres productions de la même époque. Mais même si le film combine dans sa dernière demie heure de nombreuses caractéristiques du genre, ce serait une erreur de le réduire ainsi car au bout du compte c’est loin d’être cet aspect-là qui en fait un film intéressant à redécouvrir aujourd’hui.
En effet, tout le reste du métrage se situe bien plus à la jonction entre le mélodrame psycho-sexuel et le pur film d’hicksploitation, genre très célèbre dans les drive-in américains des années 1960 et 1970 dans lequel des citadins - souvent des newyorkais -, se retrouvent confrontés à des culs-terreux dégénérés et inquiétants dans les campagnes sudistes, qui vont les amener à faire face à leur propre bestialité. Le film de David Paulsen reprend ainsi les caractéristiques de ce style de cinéma bien établi (musique au banjo, suggestions de zoophilie, meurtres avec outillage de jardin, bar de bord de route fréquenté par des durs à cuire pas commodes...) en le mêlant à une tension sexuelle omniprésente entre les personnages. L’héroïne elle même, Marie (Marilyn Hamlin) est plus que perturbée à ce niveau-là, et son ex-mari semble avoir enclenché en elle d’étranges sentiments. Quand le bûcheron irlandais incarné par David Gale (le fameux docteur à la tête coupée de Reanimator) lui raconte les exactions atroces commises par l’idiot du village Otis (le génial acteur sudiste William Sanderson dans un rôle qui orientera une bonne partie de sa carrière, de Fight for your Life à la sitcom Newhart ou aux séries Shérif fais-moi peur et True Blood), elle ne peut réfréner son excitation sexuelle. Même un pis de vache peut la mettre dans un drôle d’état trouble de désir. Tous les objets phalliques deviennent pour elle un ticket direct pour un mélange de terreur et d’extase. La scène introductive est, à ce titre, très parlante et reste un des meilleurs moments du film. Vêtue d’une nuisette blanche légèrement transparente, elle court à travers bois. La caméra la suit en caméra subjective. L’inquiétant Otis apparaît alors, tout débraillé. Le moteur d’une tronçonneuse ronfle. Otis saisit l’objet, le brandit tel un phallus. La femme soupire, l’air de banjo accélère. Est-ce de la jouissance ou de la peur ?
Une autre dimension importante du film, bien que mal traitée, est la dichotomie riches/pauvres, ville/campagne, que l’on trouve dans tous les redneck movies. Elle est soutenue ici par un discours politique, mais aussi par un travail sur le point de vue fort intéressant. En effet, si le film part sur des clichés et des stéréotypes (le gay nargué par les bouseux à gros bras dans le troquet du coin), il les renverse rapidement (l’homo leur file une sacrée raclée). L’empathie du spectateur va vite se déplacer vers les exploités, étrangers (l’Irlandais Mac Macauley) ou white trash (Otis) jusqu’à un air final, une ballade écrite par Paulsen qui adopte totalement leurs points de vue face à la suffisance des riches citadins, que Robert (Jim Doerr) incarne. En effet, Robert a organisé ce petit weekend pour impressionner sa nouvelle compagne et leurs amis car il a ce projet faramineux de réparer un grand bateau, qui appartenait à la famille d’Otis. Il emploie (et exploite) la main d’œuvre locale pour assouvir ses rêves d’homme d’affaires fortuné. Macauley lui rend bien le mépris qu’un tel personnage lui inspire en lui plantant un crochet dans le pied.
Les autres gens de la ville apparaissent comme un gros ramassis de névrosés sexuels. Shirley (Caitlin O’Heaney) passe son temps à se dévêtir et, malgré son plaisir à avoir des relations sales avec un homme adultère, l’ingénieur Jay (Devin Goldenberg), elle ne peut s’empêcher d’essayer de séduire Nicky (Christopher Allport, vu plus tard dans Réincarnations ou Police fédérale, Los Angeles) qui lui même l’épie dans ses ébats sexuels, qui le perturbent jusqu’à s’en faire saigner. Tous les citadins se révèlent être une bonne bande de cinglés (et je ne parle même pas de l’ancien époux de Marie, pour qui la perte du pouvoir politique se transforme en névrose), alors que les "ploucs" finissent par sauver la peau de la "final girl" dans la scène finale. Nous voyons là que Paulsen aborde des thèmes forts comme les classes sociales, l’exploitation, le pouvoir, la jalousie, l’instabilité sexuelle, mais hélas des séquences majeures semblent manquer au film, comme si des coupures avaient été faites au montage laissant des vides et des trous dans l’intrigue. Ce manque de profondeur et de continuité dans le portrait psychologique des personnages et de leurs motivations est sûrement le plus grand défaut du film. Quelle était la relation d’Otis avec Clarence, le mort auquel il s’adresse (d’ailleurs, est-ce son frère ou son père ?) ? Pourquoi insiste-t-on tant sur l’homosexualité de Nicky si ce n’est pour rien en faire ? Qu’a fait Greg, l’ex mari de Marie, pour la rendre si perturbée ? Bon, Ok, ils sont tous tarés, alors vaut mieux pas chercher à comprendre. C’est peut-être ça l’explication.
L’intrigue meurtrière du dernier tiers du film est, elle, bien moins excitante. Pour ceux qui aiment les slashers et en connaissent les codes, l’identité du tueur est presque donnée d’avance malgré les fausses pistes. Au bout du compte, l’intrigue de Savage Weekend fait énormément penser au film Poor White Trash Part 2 (1974), aussi connu sous le titre Scum of the Earth, du Texan S.F. Brownrigg. Relations tendues entre les personnages, sexualité sauvage, meurtrier qui erre dans les bois avec la caméra qui adopte son point de vue, ex mari perturbé, bref ce petite classique des hick films a bien dû avoir un impact sur Paulsen, tout comme Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper ou La baie sanglante de Mario Bava. Bien sûr, le criminel est masqué et ganté, et chaque mort se veut graphique et spectaculaire, comme ce sera le cas dans les slashers à suivre, mais ces scènes là ne sont pas très passionnantes si ce n’est une lutte finale qui inclut une machette, un tronçon d’arbre et une tronçonneuse.
Non, ce qui fait l’intérêt de ce Savage Weekend c’est la bizarrerie de certaines de ses séquences et son humour noir : la reconstitution d’un crime qu’aurait commis Otis sur sa cousine où il lui aurait inscrit au fer rouge sur la chair la lettre "H" pour "WHORE" (hé oui il ne sait pas bien écrire), la panne de la scie électrique alors que l’assassin s’apprête à découper un des personnages dans la cave (toujours vérifier le système électrique !), la scène de tango interminable qui finit par devenir oppressante tellement la musique tape sur le système, sans parler de la bande-son qui intègre plein de bruitages électroniques assez comiques et délirants. Les explications du tueur sont elles mêmes à la fois pathétiques et hilarantes. L’autre bon point du film est son décor, ce qui peut donner quelques plans extérieurs de toute beauté, la campagne de l’état de New York finit par ressembler à un paysage sudiste avec ses lacs et bois inquiétants. Ces aspects font de Savage Weekend un film à voir ou revoir.
Et pour tout savoir sur les Rednecks, un ouvrage somme s’impose,redneck movies]
Le DVD nous offre plusieurs bonus pour en savoir plus sur le film. Tout d’abord, dans un face caméra de 22 minutes nommé "Le tueur derrière le masque", Eric Peretti, avec un look sorti tout droit du Sans Retour de Walter Hill, nous régale avec des tas d’anecdotes sur le réalisateur (un passionné de patins à glace et de musique qui finira sa carrière en travaillant sur des grands soap operas des années 80 comme Dallas, Dynasty et Côte Ouest), les comédiens et les producteurs (c’est en fait le producteur exécutif du film qui se cache sous le masque, tout ça pour pas payer l’acteur !). Il nous révèle d’ailleurs que le film avait été tourné dans l’ordre chronologique et était conçu comme une pièce de théâtre, ce qui n’est pas étonnant car le long métrage joue sans arrêt des jeux de masques et de miroirs. Ensuite, avec "Le sacre de la tronçonneuse", Alain Petit fait l’inventaire en 10 minutes de films qui ont marqué l’utilisation de la tronçonneuse au cinéma, de La dernière maison sur la gauche au Sadique à la tronçonneuse en passant par l’incontournable Massacre à la tronçonneuse et Nuits de cauchemar. On trouve également un diaporama d’affiches du film et cinq bandes annonces de la collection Horreur US (et non pas Britsh Horror comme c’est mentionné). C’est toujours un plaisir de revoir celles de Messiah of Evil ou de Tourist Trap qui sont absolument jouissives.
Le film est présenté en version originale sous-titrée. J’avoue que je n’avais jamais vu le film avec une telle qualité d’image et cela fait vraiment honneur aux décors. La musique, quant à elle, comme beaucoup de films d’hicksploitation de l’époque, mêle airs fréquents de banjo assez mélancoliques et les juxtapose à des bruitages électroniques expérimentaux pour créer un climat d’inquiétude et d’étrangeté. Mais le film ne s’arrête pas là vu qu’il intègre aussi du tango, des passages à la limite du funk, d’autres totalement orchestraux et même une ballade folk tendance col bleu à la fin. Un patchwork sonore, qui colle bien avec la fantaisie bizarroïde de certaines scènes.
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