Ronkoteus - la chronique BD

Résumé  :

Tout commence avec la migration maritime difficile de trois tribus finnoises vers le nord pour pêcher et chasser au printemps. Soudain, un homme fend les flots sur une barque tirée par... un aigle ! Il s’agit d’un dénommé Ronkoteus. Un homme appelé à un grand destin et qui, des années avant les frères Wright ou même les frères Montgolfier, seul, va accomplir un des grands rêves humains, datant de la mythologie grecque : voler. Mais Ronkoteus ne prend-il pas le risque de finir comme Icare, brûlé par son ambition, ou comme Ulysse, égaré par les dieux pendant des années loin de son foyer ?

Notre avis :

Ronkoteus, un nouvel Icare ou un vaillant Ulysse ? Comparer cet homme aux héros de la mythologie grecque est-il ambitieux ? Pas sûr. Si Ronkoteus est un pur personnage de fiction, il n’en est pas moins celui qui inspirera, d’après cette BD, les légendes également mythiques du Kalevala. Mais qu’est-ce que le Kalevala, me direz-vous ?

Rassurez-vous, nous nous posions la même question avant de lire cette BD. Il s’agit de l’épopée nationale finnoise. Compilée pour la première fois au dix-neuvième siècle, elle regroupe des poèmes populaires recueillis dans toute la Finlande. Ces poèmes étant transmis oralement, ce fut un immense travail d’investigation qui fut effectué par Elias Lönnrot. Mais le résultat contient plus de vingt mille vers répartis en cinquante chants.
Ne vous inquiétez pas, vous pouvez parfaitement prendre plaisir à lire les aventures de Ronkoteus sans maîtriser votre Kalevala sur le bout des doigts. Mais ceux qui connaissent cette mythologie auront une double lecture et trouveront partout des liens entre l’épopée de Ronkoteus et celle de Väinämöinen – ne nous demandez pas comment cela se prononce – personnage clé du Kalevala.

En effet, la belle idée de l’auteur – Arto Paasilinna – est que Ronkoteus n’est pas une adaptation BD du Kalevala mais bien une fiction à part entière, narrant des événements inventés qui auraient pu être source des différents chants du Kalevala ! D’où le plaisir simple ou double de cette lecture selon qu’on connaisse ou pas la légende.

De plus, l’histoire de Rokonteus, si elle prend parfois des allures fantastiques, repose souvent sur des éléments concrets. Paasilinna – qui a déjà, rappelons-le, trente-cinq romans à son actif – a mélangé fantastique et historique dans ce récit. Il donne ainsi un aspect plus réel à son histoire, plus concrète, nous rendant plausible l’impossible.

La migration de cette peuplade vers des territoires meilleurs ouvre donc le récit. Les encarts narratifs nous racontent avec précision mais de manière courte, leur origines, leurs buts, leurs destinations, enrichis de nombreux détails, comme ces « tonneaux calfatés avec de la résine ». Détail, certes mais qui crée une ambiance, amène le lecteur à toucher du doigt un mode de vie.

Et ces éléments, quand Ronkoteus va voler à la découverte du monde, vont influencer la narration. Car ces petits détails sont la vie de Ronkoteus le finnois, et quand ce dernier va rencontrer Germains, Gaulois, Lapons, et se heurter à leur mode de vie, à leurs détails, à leur faune, son étonnement sera le nôtre, discrètement préparé par Paasilinna.

Ronkoteus est, en effet, un voyageur et même un explorateur. Ses voyages nous font découvrir son monde avec les civilisations contemporaines des Finnois et sont fascinants. Certes, on suit Ronkoteus sans jamais vraiment s’inquiéter pour lui. Si ces explorations comportent du danger, notre héros passe habilement au travers. Et l’humour est plus souvent présent que le drame dans ces deux cent pages. C’est peut-être ce qui manque à cette épopée, un souffle dramatique qui nous fait frémir, nous angoisser, nous inquiéter sur les déboires du héros volant.

Nous avons néanmoins le plaisir du rire et de la découverte.
Le récit découpé en chapitres tous titrés pose déjà parfois les éléments de la comédie. Et si Ronkoteus est un personnage courageux et fort, il n’en reste pas moins humain et parfois paradoxal, tiraillé entre la tentation de la chair, à laquelle il cède facilement, et son amour pour sa femme.

Sa femme, qui, comme Pénélope, commence par l’attendre mais dont le caractère bien trempé va vite l’éloigner du destin de la tricoteuse d’Ithaque.
Ayons aussi une pensée pour le complice de Ronkoteus, discret mais toujours présent, nous parlons bien sûr de Rapoja le corbeau. Guide du Finnois dans les airs, compagnon de route terrestre et maritime, fidèle dans le bonheur et le malheur, vaillant malgré l’âge qui le marque plus rapidement que l’homme, Rapoja est un personnage à part entière de cette histoire et restera dans notre cœur, peut-être même plus longtemps que Ronkoteus lui-même.

Vu tous ces propos et sujets ambitieux, Arto Paasilinna devait confier cette histoire à un dessinateur à la hauteur. C’est donc normal qu’il se tourne vers Hannu Lukkarinen, avec qui il a déjà collaboré sur l’adaptation de deux de ses romans en BD.

Et Lukkarinen apporte avec talent son pinceau à la plume de Passilinna. Son choix du noir et blanc convient tout à fait à cette ambiance mythologique. Il opte pour un trait particulier, haché, dur, comme devait l’être la vie en ces temps anciens. Du coup, bien que d’apparence réaliste, son dessin se trouve être plus stylisé. Des jeux d’ombres font ressortir des visages, et parfois les traits sont suggérés avec la même efficacité que s’ils étaient complètement dessinés. Ce choix graphique mélange donc le réalisme, le jeu d’ombre, de clair-obscur et la stylisation. Le tout est marié avec force et efficacité. Les décors, grands espaces naturels ou intérieurs épurés, tirent également parti de cette ligne visuelle, renforcée par le noir et blanc.

Le découpage reste classique, deux à trois bandes de une à trois cases. Le dessinateur joue avec talent de ce découpage en jonglant habilement entre la taille et le nombre des cases pour apporter variété au service de l’histoire. Mais parfois, Lukkarinen rompt ce rythme pour offrir de belles planches composées soit d’un dessin pleine page - trop rarement -, soit de dessins mélangés, certains en cases, d’autres non. Cela permet de donner une réelle force à des passages clés, comme la chasse à l’ours ou encore le dressage des aigles.

Le cadrage alterne certes plans larges et plans serrés, mais il sait aussi créer de magnifiques effets, en usant habilement des plongées et des contre-plongées. La mise en scène apporte donc un dynamisme qui permet de compenser parfois les moments où le dessin, à notre goût, fige un peu les personnages.

Ronkoteus est un récit d’explorations et d’aventures, qui vous fera voyager ailleurs, loin dans le temps et dans l’espace, quelque part entre le réel et le fantastique, au plus près des sources d’un mythe et du cœur d’un homme.

Défiant la logique historique, Zéda rencontre Ronkoteus !