RIP . Tome 1 - Gaet’s, Julien Monier - chronique BD

En quelques pages, le ton est posé. Derrick n’a pas une vie de rêve, mais plutôt une vie de mort. Son quotidien se résume à trois choses ; son métier, le bar où il retrouve ses collègues tous les soirs pour écluser des bières et sa femme qu’il ne supporte plus. Or, l’alcool n’est qu’un piètre lot de consolation par rapport aux sales journées qu’il subit. Cadavres frais, macchabées pourrissant depuis trop longtemps, asticots, mouches et gaz toxiques sont le quotidien de cet homme dépressif et souillé par la vie.

Loin des ouvrages sur le rock’n roll et des adaptations de contes, Gaet’s nous plonge dans le quotidien macabre des pilleurs de maison de défunts. L’humour est noir, l’ambiance est lourde et sale. Derrick subit sa vie et est constamment entouré de relents de cadavres et de pourriture qui le ronge physiquement petit à petit. D’ailleurs, il se nourrit de cette mort à travers les petits "colis" qu’ils sont autorisés à ramener chez eux, et constitués de boites de conserves périmées, appartenant aux corps pourrissant. Le scénariste, ayant rencontré les hommes qui effectuent ce métier dans la réalité, n’hésite pas à nous servir des petites anecdotes glauques à souhait.

Gaet’s, Julien Monier / Petit à Petit

Julien Monier traduit l’ambiance scénaristique en image à la perfection. Les dessins sont fluides mais ternes, comme constamment tachés et salis. Les cadavres et autres bestioles installées dans les corps en décompositions sont représentés avec beaucoup de détails et les divers flashback et moments de narration nous plongent dans des ambiances de films policiers. L’usage du bleu en opposition au marron sale du reste de l’album est restreint aux instants de solitudes et de rêveries de Derrick. Ces moments comme lorsqu’il rentre seul le soir chez lui ou qu’il se couche, enfin débarrassé de l’angoisse de sa propre vie.

Gaet’s, Julien Monier / Petit à Petit

Le récit bascule alors que l’équipe de Derrick se charge d’une "collée", un cadavre oublié depuis si longtemps que les cheveux se sont incrustés dans le matelas et que les gaz internes ont fait éclater le corps, répandant de la graisse partout. Une opportunité s’offre alors à notre homme qui la saisit, sans trop réfléchir aux conséquences que cela entraînera. Malheureusement, c’est le point de départ d’un déchaînement de violence et de paranoïa de la part de ses collègues. Ces derniers, tous plus ou moins dérangés, l’embarquent dans une vendetta sanglante. Affublés de masques de personnages Disney et reproduisant une scène d’Orange Mécanique, ils tuent et violent sans remords. Derrick s’enfonce alors dans une passivité encore plus profonde et une méfiance contre l’ensemble de son entourage.

Gaet’s, Julien Monier / Petit à Petit

Les dernières pages de la BD donne un aperçu du travail de documentation des auteurs pour l’écriture de cette superbe série. On a hâte de découvrir l’histoire de tous les personnages, mais surtout, pourquoi et comment se sont-ils retrouvés embarqués dans cette situation. Gaet’s et Julien Monier réussissent à transcrire l’ambiance glauque et désespérée de la vie ces hommes et femmes, et malgré nous, malgré les corps décomposés et les débris pourrissants, on en veut encore ...