Le 10 février 2015
- Scénariste : Sylvain Runberg
- Dessinateur : Olivier Martin
- Genre : Drame
- Famille : BD Franco-belge
- Editeur : Grand Angle
- Date de sortie : 1er janvier 2015
Cette interview n’évoque pas les horribles meurtres qui ont frappé la France en début d’année, car elle s’est déroulé le mercredi 7 janvier au matin. Ce n’est que dans la journée que nous avons tous appris le drame ayant entraîné la mort de douze personnes à Charlie Hebdo.
Nous avons rencontré deux hommes passionnés par leur métier, mais aussi par l’actualité. Et nous sommes sûr que si cet échange avait eu lieu le jeudi matin, la teneur en aurait été tout autre.
Aussi, il nous paraissait important de ne vous présenter cette interview seulement une fois que l’enquête aurait avancé. Aujourd’hui, les meurtriers ne sont plus en cavale, même si nous aurions tous préféré qu’ils soient jugés et un nouveau Charlie Hebdo est sorti malgré ces circonstances difficiles.
Le moment est donc à nos yeux plus propice pour partager avec vous le contenu de cette rencontre.
L’hiver est bien là, mais il nous a généreusement épargné le verglas de saison. C’est par une matinée froide de janvier que nous nous retrouvons à Montparnasse pour rencontrer deux auteurs ayant bravé eux aussi la rigueur hivernale. Si l’un est de la région parisienne, l’autre descend spécialement des contrées nordiques et nous en déduisons que ce que nous nommons la rigueur hivernale doit lui faire l’effet d’une brise de printemps...
Dans un café aux ambiances rouge saloon, nous nous retrouvons donc attablés avec Sylvain Runberg et Olivier Martin, venus nous parler de leur nouvelle collaboration.
A gauche, Olivier Martin, dessinateur et à droite, Sylvain Runberg, scénariste
et au milieu, "Cases Blanches", le fruit de leur nouvelle collaboration.
Après un premier diptyque intitulé « Face Cachée » paru chez Futuropolis, le duo a rempilé pour « Cases Blanches » publié par Grand Angle, une histoire complète, réaliste, qui nous conte les problèmes de Vincent Marbier, dessinateur de BD qui doit illustrer le Tome deux d’une série à gros succès. Tout va bien pour Vincent, si ce n’est qu’il n’arrive pas à produire un seul dessin. Les affres de la page blanche ? Plutôt de la case blanche. Vincent est désemparé.
Au fur et à mesure de l’histoire, nous plongeons dans les mondes de Vincent, son monde professionnel, personnel, son environnement, les gens, la nature, afin de découvrir et d’essayer de comprendre les raisons qui ont engendré ce blocage. Et dans cette histoire, rien n’est aussi simple qu’il n’en a l’air. Vincent arrivera-t-il à finir cette BD ?
En tout cas, cher lecteur, vous réussirez sans aucun doute à finir celle de Martin Runberg et Olivier Martin, à qui il est temps de donner la parole.
Olivier Martin, Sylvain Runberg, bonjour.
Olivier Martin (OM) : Bonjour !
Syvain Runberg (SR) : Bonjour.
Vous en êtes à votre deuxième collaboration, qu’est-ce qui vous a donné envie de retravailler ensemble sur un nouveau projet après « Face Cachée » ?
SR : D’abord, parce que nous avons apprécié de travailler ensemble sur « Face Cachée ». Et si un nouveau projet s’y prêtait, on allait à nouveau collaborer.
OM : Oui, c’est ça.
"Face Cachée", la première collaboration du tandem
SR : On avait déjà discuté de ce projet sur Skype alors qu’on terminait « Face Cachée ».
OM : Exactement. Skype est notre principal moyen d’échange.
SR : La base du récit était un dessinateur de BD qui fait un premier album. Sa BD rencontre un succès mais il bloque et n’arrive plus à avancer sur le deuxième tome. Je l’avais en tête depuis une dizaine d’années. Il y a des projets qui mettent du temps à se réaliser. J’en ai discuté avec Olivier qui avait aussi des envies de récits sur le milieu de la BD.
OM : Oui, notre discussion tournait autour de beaucoup de choses. On cherchait un nouveau projet. J’avais des envies qui n’avaient rien à voir avec « Cases Blanches » et qui se retrouvent pourtant dans l’album. Par exemple, l’envie de dessiner la nature et de lui donner une place dans le récit. Et dans « Cases Blanches », la nature a un rôle. On parlait également du métier. Tout ce que ça implique, comme le rapport entre BD mainstream et BD autobiographique, plus intimiste. On évoquait ces classifications.
SR : Elles n’ont pas beaucoup de signification pour nous. En tant qu’auteur, j’aborde les projets de la même manière, que ce soit « Cases Blanches », « Millenium » ou « Orbital ». J’ai l’impression qu’il y a une distinction qui repose sur les ventes, ce qui a peu de rapport avec le fond. De mon point de vue d’auteur, c’est artificiel. « Cases Blanches », qu’on en vende 5000 ou 500 000, le livre restera le même.
OM : Après, c’est l’aspect graphique, ce qu’il y a dans le livre qui comptent. Mais par exemple, l’autobiographie est plus considérée comme de la BD underground. Et encore, aujourd’hui, ce n’est plus vraiment le cas.
SR : Prenons l’exemple de Larcenet : Est-il mainstream ou underground ? Si on se penche sur la notion de BD d’auteur, y a évidemment toujours un auteur derrière une œuvre, quelque soit le type de livres, cette appellation n’a aucun sens.
OM : Oui, on parlait de tout cela. Tout s’est mêlé et voilà...
SR : Et comme je viens du Vaucluse, c’est le type d’environnement qu’on a donné au personnage principal, Vincent Marbier.
OM : Et j’ai pu dessiner la nature ! (rires) Ce n’est pas juste un décor mais bien un personnage pour moi. Je n’en dis pas plus pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur.
SR : On a mêlé tout cela pour établir un drame psychologique dans le milieu de la BD.
OM : Voilà la genèse du projet.
SR : C’est venu aussi par rapport à mon parcours. J’ai travaillé en librairie pendant cinq ans à Aix-en-Provence, puis dans l’édition quelques années et puis je suis devenu auteur. Je me suis servi de toutes ces expériences pour montrer les différentes facettes du monde de la BD où des gens travaillent ensemble sans forcément connaître le quotidien des autres personnes autour.
"Cases Blanches", les doutes d’un dessinateur de BD
A propos de Vincent Marbier, qu’est-ce qui vous a fait opté pour un dessinateur plutôt que pour un scénariste ?
SR : Ca pourrait effectivement arriver à un scénariste. Moi, je voulais un dessinateur pour l’aspect graphique, les planches.
OM : Il y a un côté visuel...
SR : … Plus marquant.
OM : Peut-être aussi parce qu’en échangeant sur Skype, j’ai exprimé des choses que Sylvain a plus facilement associées à un personnage de dessinateur.
SR : J’ai toujours vu un dessinateur. Peut-être parce qu’en tant que scénariste, ça ne m’aie jamais arrivé (rires). Alors j’ai mis le dessinateur en scène.
OM : Pour moi, c’est plus facile à faire si c’est un dessinateur qu’un scénariste. Tous les doutes du personnages, je les ai traversés. Sans pour autant que ce soit aussi profond que chez Vincent. Parfois je bossais sur un truc, ça ne me ressemblait pas trop même si c’est toujours intéressant. La scène où Vincent se prend la tête sur une affiche pourrie, mal maquettée, pas très intéressante graphiquement, ça me renvoie à des choses. Je ne voulais pas faire un beau dessin, je ne tenais pas à ce que Vincent soit un dessinateur virtuose...
Ca m’est déjà arrivé de me retrouver devant la planche et de me dire « J’y crois pas ». Puis on avance, ça ne dure qu’un temps. C’était il y a longtemps, maintenant ça va mieux (rires). Pour préciser ce point, quand je parle de projet où je n’y crois pas, ce n’est pas que j’ai fait des albums sans y croire mais ce sont des moments dans la création. T’es moins inspiré ou tu reçois parfois des pages du scénariste qui t’inspirent moins. Au contraire, avec Sylvain, je sais où je vais. Sylvain envoie tout le scénario et plus tard le découpage.
SR : C’était une base de récit intéressant de montrer qu’en tant qu’auteur, on est seul. Il y a un côté solitaire. Et puis en même temps, c’est un travail commun, d’abord entre dessinateur et scénariste, ensuite, derrière nous, il y a toute une équipe éditoriale : attachées de presse, infographistes, équipe de commerciaux, de libraires. On se trouve à la base d’une chaîne industrielle. Derrière nous, il y a des centaines de personnes qui dépendent de nos avancées. Ce n’est pas forcément facile à gérer.
OM : Ca m’a rappelé quand je suis arrivé à Paris en 2007, je travaillais avec un scénariste, Eric Adam, sur une série appelée « Les Carrés ». Comme je cherchais un appartement, Eric m’a gentiment proposé son bureau au sein de la maison d’édition. Il était également directeur de collection à l’époque. J’ai ainsi pu goûter aux coulisses du monde de la BD, comme si j’étais moi-même employé. Je me suis servi de cette expérience pour « Cases Blanches ».
SR : Je me souviens, la vision que j’avais du métier quand je travaillais en librairie a changé quand je travaillais en édition, puis elle a encore changé quand je travaillais en tant qu’auteur. C’est difficile de se mettre à la place de l’autre, quand il y a tant de maillons différents dans la chaîne. Chacun a des bonnes raisons d’avoir de la pression. Même si la pression la plus forte est sur les auteurs. Ayant connu toutes les étapes, je peux le dire. La pression est plus forte sur l’auteur car en édition et en librairie, un salaire tombe à la fin du mois. Ce n’est pas le cas pour les auteurs. Mon expérience dans ce milieu-là m’a montré que les gens sont passionnés et de bonne volonté. Certes, on est plus protégé par rapport à d’autres milieux comme le cinéma où on a parfois plus de risques d’avoir des pressions sur le contenu pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’artistique, comme la contrainte budgétaire par exemple. Néanmoins, il y a quand même des tensions car il est difficile de se mettre à la place de l’autre, de comprendre ses problématiques.
Dans « Cases Blanches », il n’y a pas des bons et des méchants.
Oui, tous les personnages sont assez ambigus, humains. Chacun gère à sa manière, en fonction de son caractère.
SR : Chacun gère aussi par rapport à son point de vue sur la situation.
OM : Il n’y a pas de jugement de personnage sur un autre. Le scénariste n’est pas content mais s’il juge son dessinateur, c’est parce que pour lui il y a des causes et des conséquences. Il est pragmatique et à bout car pour lui la situation n’a que trop duré.
SR : Et le dessinateur ment.
Justement, à propos de cette relation entre Olivier le scénariste et Vincent le dessinateur, ils ne communiquent plus ou seulement par l’intermédiaire de Pierre, l’éditeur. Le scénariste est un personnage qui évolue, on peut comprendre ses raisons, mais il tire sur la corde. Vous avez su créer cette ambivalence chez vos personnages.
SR : Au départ, Vincent fait ce projet pour de mauvaises raisons, mais néanmoins valables : payer ses factures.
OM : Et gérer son divorce.
SR : C’est toujours la problématique, en tant qu’auteur, on débute parfois un projet sans y croire. J’ai de la chance, ça ne m’aie jamais arrivé.
OM : A moi non plus.
SR : Mais ça peut arriver. On s’en rend compte en regardant un peu autour de soi. Il suffit de discuter. A un moment, ça peut toujours bloquer même quand il y a un succès. On est dans le domaine de la création, quelque chose de très intime. Ce n’est pas un boulot routinier. Si on n’est pas impliqué humainement, il y a toujours un risque de blocage quelque soit la réception de l’œuvre. C’est le cœur du récit.
OM : Toi, Sylvain, quand tu travaillais en maison d’édition, tu as peut-être rencontré des auteurs à succès qui avait du mal à sortir des planches. Je n’ai jamais vécu de succès mais je peux comprendre. Quand ça marche, on se dit : « Waouh, merde, ça marche, va falloir être à la hauteur. » Et la pression se fait sentir.
SR : On peut avoir de la pression alors qu’on est impliqué dans le projet, mais si on n’est pas impliqué, que ça marche et que là, cette pression arrive, c’est dur. On m’a déjà proposé de travailler sur des projets où j’ai dit non, même s’il y avait des chances de succès mais je n’étais pas intéressé par le sujet. Moi, j’ai la chance de pouvoir dire non. Devoir accepter à contre cœur est une situation où je n’aimerais pas me retrouver et d’ailleurs je ne m’y retrouverais pas ! Je dirais non, et s’il faut changer de métier, je changerais.
OM : Il y a plein de paramètres. On rejoint ce que tu disais tout à l’heure. Ce n’est pas manichéen, c’est humain. Ce n’est pas qu’on n’aime pas le projet ou la personne. C’est du feeling. Avec Sylvain, on a fait « Face Cachée » et « Cases Blanches », j’ai eu une chance incroyable de l’avoir rencontré. J’espère que c’est réciproque.
SR : Oui, ça l’est. D’ailleurs on va démarrer un nouveau projet.
OM : Oui. On a une bonne adéquation tous les deux, on se dit les choses. Et on a du répondant. Quand on est vraiment d’accord, ça part. Pour un dessinateur, c’est nickel, on sait où on va. Quand le plan est établi, ca ne veut pas dire que tout est verrouillé. Tu peux avoir des surprises, bien sûr. J’ai besoin d’un espace établi pour pouvoir me lâcher. Autrement, on ne sait pas où mettre le curseur ; tout peut évoluer d’un coup. Je compare cela à la musique, aux groupes de rock qu’on aime le plus. On adore tous certains passages d’une chanson, Tout a l’air instinctif mais le morceau a été bossé, rebossé et rerebossé !
SR : Je voudrai faire un aparté. En ce moment, il y a des difficultés dans le milieu des auteurs de BD. Ce n’est pas le thème du livre car nous avons eu l’idée il y a quelque années.
Ce que disait Olivier est vrai. C’est un métier difficile, qui demande de la compétence. On travaille beaucoup. Si on ne peut plus en vivre, il n’y aura plus de livres. En ce moment, des mouvements sont relayés par le syndicat des auteurs, le SNAC BD. Il faut s’en rendre compte, une déprofessionnalisation des auteurs de BD conduira à la disparition de 80% des livres que les lecteurs lisent.
Le problème est même plus vaste que cela, car les auteurs au sens large sont touchés. Vous êtes concernés, vous, graphistes et dessinateurs de BD mais les scénariste tous secteurs confondus le sont aussi. Ce problème de cotisation des retraites, car c’est bien cela que vous évoquez ?
SR : C’est la grosse goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Les auteurs, les compositeurs, les romanciers ne sont pas salariés.
OM : Les musiciens sont salariés au titre de l’intermittence, c’est un autre statut encore auquel on n’a pas du tout accès.
SR : On n’a pas d’assurance chômage, de congés payés et les indemnités en cas de congés maladie sont ridicules...
Oui, le musicien peut avoir accès à l’intermittence. Mais pas le compositeur, il est dans la même situation que le dessinateur ou l’auteur. Il peut passer du temps à composer mais après...
OM : Après on va lui répondre, et tu as sans doute déjà entendu ça : « T’as de la chance, tu travailles chez toi, tu fais ce que tu aimes, t’as pas de patron sur le dos, tu devrais être heureux. » Pourquoi devrais-je culpabiliser ? J’ai travaillé dur pour que cette passion devienne mon métier et je dois désormais m’accrocher pour que ce métier en reste un. Oui, j’aime ce métier, mais je suis aussi un travailleur précaire.
SR : Oui c’est un réel travail de faire ce qu’on aime ! Et les milliers d’emplois qui existent dans l’industrie du livre, chez les éditeurs, les libraires, et bien s’ils existent, je le répète à chaque fois, c’est parce qu’il y a des auteurs ! Le jour où les auteurs professionnels disparaîtront, beaucoup de ces emplois disparaîtront aussi. Car le jour où on n’aura plus de livre à vendre, il n’y aura plus de libraires pour les vendre et plus de personnes dans les maisons d’édition pour les faire.
OM : Après, les éditeurs, ce sera qui ? Amazon et consort ? Et comment ils vont gérer cela ?
SR : Je vis en partie à l’étranger dans des pays où le marché de la BD est très réduit. Les auteurs n’en vivent pas, ils sortent des BD de temps en temps avec des styles graphiques qui permettent de tomber des planche en trois heures, car ça ne rapporte pas. Du coup, les éditeurs non plus n’en vivent pas. Ils font ça dans leur garage le week-end. L’un va avec l’autre. C’est dangereux pour tout le monde. La vision qui consiste à dire : « Les auteurs devront trouver un second métier pour payer leur facture et ainsi la chaîne du livre ne sera pas impactée » est un mirage ! Les auteurs ne pourront pas le faire et ça aura des répercussions sur toute la chaîne.
Tout à fait, car le temps n’est pas fractionnable.
SR : Exactement.
OM : Et l’énergie non plus.
SR : On ne peut pas faire de la BD en dilettante. Un romancier peut écrire un roman à côté de son travail. C’est beaucoup de travail mais il peut le faire. Par contre, réaliser des planches de « Cases Blanches » ou d’une autre BD, c’est une activité à temps plein. On ne peut pas faire ce boulot à moité. Si on a un autre job à côté, « Cases Blanches » ne pourrait pas exister. Il faut rappeler que même si c’est une passion, la majorité des auteurs de BD travaillent 50 à 55h par semaine pour gagner moins d’un smic. Ce que tu évoquais avec l’augmentation des caisses de retraite, il faut préciser qu’il s’agit de la caisse de retraite complémentaire. On n’a pas le choix de l’organisme alors quand celui-ci décide de ponctionner un mois de revenu pour des auteurs en dessous du SMIC, ces derniers coulent et abandonnent le métier.
OM : Le directeur du Conseil d’Administration de l’organisme en question est un photographe qui avait couvert dans les années soixante soixante-dix le monde de la BD. Il a réalisé plein de photos d’archives de Métal Hurlant ! On y voit Giraud, Druillet, Margerin et les autres. Ironie du sort, ces auteurs se sont aussi battus en leur temps !
SR : Un des problèmes est l’absence de concertation, ça se retrouve souvent en France. Une réforme des retraites, pourquoi pas. Mais la base c’est d’en parler avec les auteurs, les premiers concernés.
OM : Après, il faut aussi vérifier comment est géré l’argent par les organismes.
SR : Si cette réforme passe, beaucoup de gens sortiraient du métier car ils ne pourraient plus en vivre.
OM : Ca augmenterait les tensions de la vie quotidienne et donc la tension avec les éditeurs. Je vois des potes musiciens qui ont tout simplement quitté leur métier.
SR : Pour le musicien c’est difficile mais pour le dessinateur c’est impossible !
OM : Parfois, on parle aussi du crowdfunding, on te dit : « Tu pourrais faire des albums en crowdfunding ».
SR : Non, c’est une goutte d’eau dans un océan. Et puis tu ne peux pas ajouter le rôle d’auto-éditeur à celui de dessinateur.
OM : Tu vas en festival avec tes cartons de bouquins ! Car il n’y a pas de distribution.
SR : C’est une illusion, ça marche pour des gens déjà en place. Les gens du ciné ou de la télé font du crowdfunding pour financer des trailers qu’ils pourront montrer à des studios. Mais en BD, ça ne va pas remplacer les éditeurs.
C’est plus un complément de fond.
SR : Pour des projets atypiques.
OM : Ou un petit artbook.
SR : Des statuettes.
OM : Des goodies. S’il y avait des distributeurs derrière... Il faut que ça murisse encore en terme d’administratif.
« Cases Blanches » n’est pas axé sur le thème de la crise des auteurs. La BD parle du métier et de ses difficultés, c’est vrai mais je trouve qu’elle met plus en avant les difficultés psychologiques de Vincent.
SR : Oui, cela montre plus la crise intérieure d’un homme.
OM : Ce qui fait la force des bonnes histoires, bon là, je me jette des fleurs (rires) mais c’est son côté universel. Ca rejoint un homme en crise face à ses doutes. Il n’y a pas que le monde de la BD. Il y a cette histoire avec Radu et les autres intrigues secondaires, cette BD est comme une gare avec plein de voies.
SR : Des mondes qui s’ignorent et qui se croisent.
OM : C’est un livre riche et pas uniquement axé sur le monde de la BD, même si c’est ce qui est mis en avant dans le quatrième de couv’.
SR : Ce récit montre les prémisses de la crise.
OM : Le bouquin rejoint l’actualité.
SR : Ca fait longtemps que la situation des auteurs se détériore. Ca marche pour une petite minorité, mais pour le plus grand nombre c’est de plus en plus difficile.
Du coup, cela m’a interpelé à la lecture de la BD. Vous avez placé Vincent dans une situation confortable, il est sur une série à succès, son éditeur ne le harcèle pas, il ne parle plus avec son scénariste. Son blocage est plus fort, il vient vraiment et uniquement de lui.
SR : Il a conscience qu’il se trouve dans une situation très rare : un auteur avec un succès, alors que ses collègues autour de lui galèrent. Et pourtant l’envie n’est plus là. Lui y arrive financièrement, mais il est bloqué artistiquement. Quand Vincent se retrouve au festival entouré d’auteurs qui ne s’en sortent pas, il sent sa position inconfortable et il n’arrive pas à en parler. Il se dit qu’il n’a pas le droit de se plaindre alors que son compte en banque est rempli et que les autres galèrent pour régler leurs factures. C’est une fêlure intérieure. Et peu importe ta condition matérielle. Si en plus tu galères, c’est d’autant plus dur.
OM : Ca accentue d’autant plus le trouble intérieur.
SR : C’est pour ça que Vincent se retrouve bloqué, il estime qu’il n’a pas le droit de se plaindre.
OM : C’est le principe du dépressif. Plus tu lui dis : « Ca va aller », plus ça l’enfonce. Et pour Vincent, c’est l’extérieur qui va le sortir de l’intérieur. Enfin, c’est comme ça que je vois la fin de l’histoire. Mais je n’en dirai pas plus...
Effectivement, laissons au lecteur le plaisir de la découverte. Sylvain, Olivier, je vous remercie beaucoup pour cet échange et bonne chance à « Cases Blanches ».
SR et OM : Au revoir. Et merci.
Un extrait de "Cases Blanches" Beau dessin, jolies teintes et curieuse histoire...
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