Le 21 septembre 2017
- Durée : 2
- Scénariste : Beka
- Dessinateur : Marko
- Famille : BD Franco-belge
- Editeur : BAMBOO
- Date de sortie : 23 août 2017
Voici la suite de l’interview de Beka qui démarre sur l’arrivée de Marko qui rejoint notre conversation après une séance de dédicaces.
La photo des trois auteurs est de A.Moreau pour Bamboo édition.
Vous pouvez retrouver la précédente partie ici.
aVoiraLire : Justement, voilà Marko qui nous rejoint. Bonjour.
Marko : Bonjour.
A Voir A Lire : Il s’est passé peu de temps entre les deux albums.
Marko : Entre les deux tomes, le rythme était régulier et rapide. Aussi parce qu’au niveau des dessins, ça me venait comme ça (il fait un geste de la main, comme s’il dessinait un simple trait dans l’espace), et quand ça ne charbonne pas , quand ça coule bien comme sur ces deux histoires, il n’y a pas de raison que ça prenne plus de temps.
aVoiraLire : Quelque chose m’avait marqué dans le tome deux, c’était l’utilisation des temps de pause dans l’image, ces moments sans dialogue, ces temps de réflexion, de détente, de passage.
Bertrand Escaich : C’était voulu aussi.
Marko : Moi aussi je peux poser des questions ? (rires, se tournant vers Bertrand et Caroline) Est-ce que j’aurais pu traiter ce récit en quatre-vingt dix planches ou ce format-là, de soixante-douze pages, est intéressant car il n’y a pas besoin de plus ?
Bertrand Escaich : Sur le plan technique, on peut faire plus mais le format est parfait pour ce qu’on voulait raconter. Après tu peux toujours rallonger mais tu prends le risque des longueurs inutiles. (rires)
Marko : la BD joue sur les ellipses. Plus on rétrécit, plus les ellipses peuvent être grandes. Et parfois la longue pagination dessert l’histoire. Tu te retrouves avec des plans séquences impossibles, qui ne servent à rien.
Bertrand Escaich : Par rapport à ce que tu dis, en technique BD pure, pour enchaîner deux situations tu as plusieurs possibilités. La première est la continuité, exemple : Un type rentre chez lui le soir, il prend un bus, descend du bus , ouvre la porte de son immeuble, de son appartement, allume la lumière... Ça peut durer à l’infini. Tu peux raccourcir : le bus qui roule et après, le type est dans son canapé ! Tu peux faire encore plus rapide : il est directement dans son canapé, tu comprends qu’il est rentré chez lui. Ou encore, tu peux le montrer chez lui en train de faire quelque chose. Mais tu peux aussi d’abord montrer un verre de vin sur la table. Et on comprend qu’il s’est installé et qu’il a sorti du vin. Enfin, l’alcool est à consommer avec modération, hein ! (rires) Il y a plusieurs possibilités. Et dans notre récit, on a fait le choix d’ellipses qui allaient montrer des scènes posées, plutôt jolies, de détente, agréables, où on avait envie d’être.
Caroline Roque : C’était pour montrer qu’il faut prendre du plaisir dans le quotidien, boire un verre de vin ou manger des pommes au four. Bon, c’est vrai qu’ils picolent pas mal. (rires)
Bertrand Escaich : Mais là aussi, on voulait aller contre toutes les idées reçues qui deviennent des dogmes. Bien sûr, il ne faut pas se bourrer inutilement, mais boire un bon vin d’un bon producteur qui fait du bon travail, c’est drôlement chouette aussi ! Il n’y a pas que le quinoa qui mérite la considération de certains, on a voulu aller au-delà, dépasser des clichés qui deviennent souvent pesants. Même les meilleures intentions peuvent devenir tyranniques.
Marko : Je reviens sur quelque chose, quand tu parlais du verre sur la table dans tes exemples : ce n’est pas la peine de dessiner juste le verre, tu peux faire une belle image qui plante l’ambiance.
Bertrand Escaich : C’est vrai ! Le but est de créer des moments où l’on a envie d’être là, présents avec eux.
Marko : Ce n’est pas évident, moi qui vient plutôt des « Godillots », de « l’Agence barbare », une BD rapide où on va à cent à l’heure ;j’arrive et ils me disent : « bon, là, on va faire trois planches où ils boivent du thé ! »...
Bertrand Escaich : Quand tu dis ça, les dessinateurs te détestent. (rires). Ils préfèrent quand ça bouge…
Marko : Il faut trouver le bon endroit, les bons ingrédients, les bons personnages ; après c’est une histoire de technique, d’angles de vue. Moi, au niveau du dessin, je ne suis plus tenté de faire du beau dessin précis et magnifique, mais je m’intéresse aux expressions, aux positions des personnages, comme du jeu d’acteur. Et ça se joue à rien ! Comment faire en sorte qu’une scène ne soit pas barbante ? Il ne faut pas tomber dans l’alternance constante champ contre-champ.
Caroline Roque : Dans le tome un, ce qui est bien montré, c’est la scène de cuisine. On voulait montrer leur plaisir à cuisiner. Ce n’était pas évident à faire ressortir mais Marko a bien réussi à faire ressentir cela.
Bertrand Escaich : Surtout en BD. En film, on a plus de possibilités, on peut faire plus de plans. En BD, on est quand même limité en nombre d’images.
Caroline Roque : Il y a de nouveau une scène comme cela dans le tome trois, Antoine prépare un pot au feu. Je dévoile un truc ! (rires)
Marko, Bertrand Escaich : Oui, le tome trois est une histoire de pot au feu !
Marko : Les pommes au four, j’ai appris à les faire dans le tome un.
Caroline Roque : Les pommes au four, je pensais que c’était quelque chose que tout le monde connaissait ! (rires)
Marko : En plus de tout cela, il faut vraiment parler de Maëla (Cosson, la coloriste). Elle apporte énormément aussi. Il y a des choses que je dessine en me demandant « Mais comment va-t-elle faire derrière ? ». Parfois, j’esquisse les décors sans les finir mais je ne m’inquiète pas car ce qui est bien, c’est de savoir que notre équipe est complète. Moi, je peux juste donner une intention et derrière, Maëla va appuyer sans bouffer le dessin. Il y a vraiment un respect total jusqu’à la fin.
Bertrand Escaich : Elle ajoute quelque chose par les couleurs, c’est certain !
Marko : Exactement ! Sur une scène, si elle n’arrive pas à trouver les bonnes ambiances, comme celle des girolles, ça peut planter toute la scène ! Sur la mise en couleur, elle fait vraiment un boulot d’auteur. Elle a sa place sur la couverture, normalement réservée aux auteurs. Mais elle est auteur aussi avec son travail des couleurs !
aVoiraLire : Je reviens à ces temps de pauses. La couleur joue à créer l’atmosphère. Il y a les ellipses entre scènes mais ce qui est frappant est que dans une même scène, il y a des temps de pause. Quand un personnage réfléchit, on est souvent, dans d’autres BD, sur son visage qui cogite, mais vous avez fait un autre choix. Celui de montrer la maison, le jardin, l’abeille qui quitte la ruche, le monde autour.
Bertrand Escaich : Tout simplement, on fait des sauts. Les ellipses sont des sauts mais après avoir sauté, on se pose, on s’arrête, le temps se suspend et puis on va refaire un autre saut et ainsi de suite... C’est comme cela que l’histoire est construite sur le plan narratif. Mais aussi parce que c’est agréable de travailler ainsi. A travers le récit de développement personnel, on a créé quelque chose qui n’était pas fait en BD, enfin pas que je sache, mais ça nous obligeait narrativement et graphiquement à aller dans d’autres directions que celles qui sont techniquement utilisées dans des BD plus aventureuses, et qu’on maîtrise par habitude. Ça nous oblige à nous poser des questions, à nous réinventer. Le point d’orgue, c’est le travail de Marko et Maëla. Maëla ne colorise pas comme cela d’habitude et Marko ne dessine pas ainsi d’habitude.
Marko : Je n’ai pas besoin de surdessiner pour appuyer le texte de Bertrand et Caro tout comme Maëla n’a pas besoin de surcoloriser pour appuyer mon dessin. Ça, c’est très important. Moi, je viens du dessin animé. Et le principe du dessin animé est de dépersonnaliser le dessinateur. On fait en sorte que le dessinateur puisse dessiner partout avec n’importe quel style. Tu deviens multi-palettes mais en même temps tu n’as plus de palette. Pendant un temps, je me le suis reproché. Et là, tac, je me retrouve sur un graphisme simple. Mais un graphisme qui n’est pas né sur ce projet. On a fait d’autres albums avant qui étaient les prémisses de cela. Pas au niveau du rendu graphique mais sur l’intention d’apporter un trait simple.
Bertrand Escaich : C’est chouette de ne pas avoir de références. Car quand on fait de la BD, il faut réaliser qu’avant nous sont arrivés des auteurs géniaux : Hergé, Franquin, Goscinny, Uderzo, Giraud… des Américains, des Japonais, des gens de talent, il y en a eu partout ! Ils étaient non seulement géniaux, mais ils ont travaillé pendant des années sur la façon optimale de raconter une scène, de la sublimer. Cet héritage, on le porte. On ne va pas avoir la prétention de se dire que du premier coup, on va faire mieux que Hergé, ce serait complètement inconscient !… Et impossible ! Cet héritage, il faut arriver à en faire quelque chose à notre façon. Mais dans notre récit, pour le coup, il n’y a pas vraiment de références puisque ce genre n’a pas été réalisé en BD. On a une liberté totale. Conséquence : On ne va pas se demander « comment ils boivent le thé chez Hergé ou Franquin ? » car ils ne boivent pas de thé ! (rires) On peut donc créer des jolies cases simples car on est libres et on s’amuse à servir le propos, à le partager, sans filiation. C’est facile à faire finalement ! (rires)
Marko : C’est ce que les gens nous retournent : Cette simplicité... Ils sentent que ça s’est fait d’une manière simple.
Bertrand Escaich : Sans douleur en tout cas.
Marko : Il ne faut pas qu’on sente le charbonnage qu’il y a eu avant. Si ça fonctionne bien en interne, s’il y a un bon mélange, ça fonctionne à la lecture. Par exemple, ces histoires de couverture ! Normalement, on propose toujours plusieurs couvertures, trois, quatre voire six, à l’éditeur. Souvent, on nous demande la couverture assez vite pour la promo de l’album. Et des fois, on ne peut pas car la bonne image vient à un moment donné : « Ah, c’est celle-là ! » et parfois elle s’impose d’elle-même. Comme celle-là (montrant la couverture du tome deux) !
La fameuse couverture dont il est question...
Bertrand Escaich : Petite anecdote, si vous allez à Berlin, le Mauer Park, le parc représenté sur la couverture du tome deux, existe vraiment. La balançoire existe aussi mais elle n’est pas double, elle est simple. On a juste ajouté l’autre. Juste un petit clin d’œil au cas où quelqu’un le remarquerait.
Un tour de balançoire au Mauer Park
Marko : C’est pareil, il y a des lieux qui apportent quelque chose. Par exemple, une partie de l’histoire se passe à Paris, je ne sais pas si on aura l’occasion d’aller au canal Saint-Martin, (des scènes de la BD se passent au canal Saint-Martin) qui crée une ambiance, juste pour voir. Mais il y a des personnages aussi. (il prend un tome) Je reviens sur la couleur. Je me demande parfois quels sont les fils qui se connectent pour trouver ce genre de couleur.
(Le dessinateur montre dans la BD une scène de discussion nocturne sous l’éclairage d’une lampe).
Marko (reprenant) : Sachant qu’après, il faut que l’impression suive derrière. Bamboo fait un super travail d’impression, le livre est de belle facture. Ce dessin là, ce graphisme là, cette façon de traiter le champ des possibles (il montre la double page du chemin des possibles), je le fais inconsciemment depuis plus de quinze ans dans des interventions scolaires pour expliquer mon parcours aux gosses. Je dessine les ondes, sans mettre de nom dessus et là, Bertrand et Caroline me disent « on va faire le dessin en utilisant cette onde »…
aVoiraLire : Oui, on disait tout à l’heure que c’était une très belle double page.
Marko : elle n’était pas évidente cette planche, on a un souci technique, la barre centrale qui sépare les deux pages ; du coup, on a dû décentrer le dessin pour qu’on puisse voir Clémentine.
aVoiraLire : Et je rebondis sur une autre idée visuelle du livre : ce sont les bols de thé pour marquer les chapitres. Dans le tome un, le dernier chapitre n’est pas symbolisé par plusieurs bols mais par un seul, comme si c’était un nouveau départ, un nouveau premier chapitre.
Bertrand Escaich : Oui, c’était le message qu’on voulait envoyer.
aVoiraLire : Comment avez-vous travaillé cette idée ?
Bertrand Escaich : On a envisagé plusieurs pistes, c’est Marko qui a apporté des idées.
Marko : Oui, il y a eu l’ikebana (l’art de l’assemblage floral). En général, tu assembles des branches mortes, des feuilles, une fleur. On pensait effeuiller de chapitre en chapitre ces éléments mais à un moment, ça donne juste un pot avec une branche morte. (rires) L’ikebana, c’est beau mais les étapes qui y amènent ne sont pas forcément jolies. Après, on avait pensé aux livres. Mon souci, si je dessine des livres en gros plan, est qu’il faut que je mette un titre dessus. Là tout de suite, ça se complique...
Bertrand Escaich : Le choix des livres est difficile.
Marko : Vous parlez déjà de livres dans la BD.
Bertrand Escaich : On voulait des livres qui soient neutres mais aussi intéressants. Ce n’est pas évident. Ce ne sont pas nos livres préférés qu’on voulait citer.
Marko : Du coup, on est arrivé aux tasses. Comme le thé, il est récurrent dans l’histoire.
Caroline Roque : Avec le verre de vin ! (rires)
Un exemple de chapitrage au bol de thé.
aVoiraLire : Le message des tasses est beau. C’est une belle idée, un détail qui donne une cohérence plus forte à l’ensemble.
Marko : Quand on met un élément seul dans une page, il prend tout de suite une force énorme. Là où il est placé dans l’histoire, il apporte encore plus d’impact. On va parler à nouveau du chapitrage dans le tome trois...
Caroline Roque : Des sachets déshydratés ? (rires)
Marko : Lyophilisés ! (rires)
Bertrand Escaich : une brosse à dents coupée ? (rires) Dans la montée de l’Himalaya, les alpinistes coupent le plus possible le manche de leur brosse à dents car à haute altitude, les problèmes de poids sont capitaux !
Marko : J’ai vu qu’ils avaient inventé la brosse à dents que tu enfilais sur le bout du doigt, elle n’a plus de manche plastique solide ! (rires)
A Suivre...
Galerie Photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.