Le 7 avril 2024
Un premier film très écrit où Delphine Girard dépeint la mécanique de l’abus sexuel, du point de vue complexe des victimes, des auteurs et des proches. Une œuvre d’une profonde actualité.
- Réalisateur : Delphine Girard
- Acteurs : Anne Dorval, Veerle Baetens, Adèle Wismes, Selma Alaoui, Guillaume Duhesme
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters
- Nationalité : Français, Canadien, Belge
- Distributeur : Haut et Court
- Durée : 1h47mn
- Date de sortie : 10 avril 2024
- Festival : Festival de Venise 2023
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Résumé : Une nuit, une femme en danger appelle la police. Anna prend l’appel. Un homme est arrêté. Les semaines passent, la justice cherche des preuves, Aly, Anna et Dary font face aux échos de cette nuit qu’ils ne parviennent pas à quitter.
Critique : Aly est en voiture avec un homme qui conduit, c’est la nuit. Elle prend son téléphone pour appeler sa sœur et prévenir qu’elle va arriver tard et doit récupérer sa fille. En réalité, ce n’est pas Lucie qu’elle a au bout du téléphone mais les services de police. Indirectement, elle prévient l’écoutante qu’elle est en danger. Elle demande de l’aide. Quitter la nuit démarre sur une tension extrême. Le drame est immédiatement planté avec cette jeune femme qui accuse l’homme qui l’accompagne de viol, cette écoutante de la police qui a pris l’appel et cet homme qui apparemment semble accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. D’emblée, le ton est donné dans un récit où l’on comprend très vite que les enjeux qui lient les différents personnages sont complexes. Tout est mystérieux : le doigt qui saigne, les fenêtres barrées de films de plastique, l’apparente désinvolture de la victime. Le passé resurgit petit à petit, mettant le spectateur dans l’attente de comprendre et de se positionner sur la vérité qui se déploie sous ses yeux.
Quitter la nuit met le spectateur exactement dans la posture de proches qui assistent ou sont dépositaires de violences commises contre les femmes. Le doute est mis en scène avec une certaine virtuosité, sans besoin pour autant d’en rajouter dans les dialogues. Tout se trame dans une subtile composition où les récits les plus improbables des policiers côtoient un témoignage qui pourrait tout autant être vrai et faux. Qui croire ? La réalisatrice prend le temps avec tact et intelligence de semer le trouble en visitant chaque personnage dans son intimité. On se croit entraîné dans un cauchemar à la Kafka dès lors qu’on adopte le point de vue de l’homme ; en même temps, on ne peut écarter d’un revers de la main le fait que la jeune femme n’a pas appelé les secours pour rien et n’a pas subi un abus. L’objectif peut être est de montrer l’immense difficulté à faire reposer la vérité d’un crime sur le seul témoignage des victimes et le déni des auteurs potentiels. Le mot agression prend à chaque interrogatoire une coloration supplémentaire, à laquelle se rajoutent une certaine agressivité de la victime et une innocence de l’auteur qui se fracture peu à peu.
- Copyright Haut et Court
Delphine Girard réalise son premier long-métrage après plusieurs courts. Résolument, c’est un film qui prend à revers la question de la violence sexuelle commise contre les femmes. Elle tisse la démonstration de l’horreur de ces violences en démontrant au contraire la capacité des auteurs à faire chavirer la culpabilité sur les victimes. On a évidemment en tête les scandales récents qui secouent le monde du cinéma où fort heureusement, des victimes osent témoigner des abus qu’elles ont subis, générant parfois des réactions de colère et de haine non pas contre les auteurs présumés, mais celles qui ont le courage de dénoncer les choses. Ainsi, derrière l’apparent classicisme de la mise en scène se cache un scénario féroce, redoutablement intelligent qui a remporté la conviction du public lors de la Mostra de Venise de 2023. Quitter la nuit est un récit brut, direct, sans concession où le spectateur est acculé à prendre position sans avoir les éléments exhaustifs de la preuve.
La réalisatrice fait la démonstration qu’un film policier peut être tout sauf manichéen. La vérité est complexe à dire, à appréhender parce qu’elle s’oppose aux représentations que les uns et les autres ont du réel. Mais quand il s’agit de viol, tout de suite, au moins dans la bouche des auteurs présumés, se pose la terrifiante question du consentement. L’entrelacement de la vérité se raconte dans le discours de la victime, Aly, de l’auteur présumé, Dary et de celle qui a reçu l’appel. Les personnages font face auprès de leurs proches à des discussions qui ravivent pour chacun d’eux un rapport confus à la sexualité et à leur passé.
- Copyright Haut et Court
Quitter la nuit est un film très écrit, et plutôt abouti pour une première œuvre de cinéma. Derrière l’apparente simplicité de la mise en scène, se tisse la mécanique monstrueuse de l’abus où auteurs et victimes se renvoient dos à dos le récit de leur vérité. Le scénario se détourne volontairement de la logique du film policier pour se concentrer sur la psychologie complexe des personnages, le drame véritable résidant non pas dans la résolution du crime, mais les tensions de toutes celles et ceux qui ont subi une agression et se confrontent au déni généralisé de la société, des autorités policières et judiciaires, faute de preuves.
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