Le 23 août 2017
Avec une extrême délicatesse, Kirsten Tan nous offre une vision désenchantée de sa Thaïlande natale. Un pays à ce point névrosé par sa propre modernité que l’amitié entre un homme et un éléphant apparaît comme contre-nature.


- Réalisateur : Kirsten Tan
- Acteurs : Penpak Sirikul, Bong, Thaneth Warakulnukroh, Chaiwat Khumdee
- Nationalité : Thaïlandais, Singapourien
- Distributeur : Happiness Distribution
- Durée : 1h44mn
- Date de sortie : 6 septembre 2017

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Résumé : Un architecte désenchanté voit le centre commercial qu’il avait construit 30 ans auparavant remplacé par un projet réalisé par les jeunes architectes de son agence. Ne trouvant pas de réconfort auprès de son épouse, il erre dans les rues de Bangkok et fait la rencontre fortuite de Pop Aye, un éléphant qui fut jadis son ami d’enfance. Il se lance alors dans un long voyage à travers la Thaïlande pour raccompagner l’éléphant dans la ferme où ils grandirent ensemble.
Notre avis : Dès les premières scènes, et tandis que se multiplient les plans d’ensemble, l’intention principale de la réalisatrice est posée : celui de dépeindre une Thaïlande rurale et exotique défigurée par sa propre industrialisation, depuis des installations électriques saillantes jusqu’à une déforestation massive au profit de constructions architecturales disgracieuses. Symbole de cet entre-deux, le duo que forment Thana et son éléphant Popeye fuit la capitale pour retourner vers la campagne profonde. Si le pachyderme est une parfaite incarnation de la nature, le rapport qu’entretient son propriétaire avec la ville n’apparaît pas comme une évidence avant le dialogue qui viendra conclure le film. De la même façon, les origines de son lien avec son imposant animal de compagnie ne seront disséminées que lors de flashbacks arrivant relativement tard. Peut-être est-ce d’ailleurs cette façon de déconstruire la traditionnelle introduction des personnages qui a tapé dans l’œil du jury de Sundance qui lui a remis le Prix du meilleur Scénario.
- Copyright 2016 Sundance Institute
Ceci dit, la construction de la narration se faisant selon le schéma classique du road movie davantage que celui du buddy movie, il n’est pas étonnant de constater que l’écriture donne davantage d’importance aux personnages secondaires qu’aux deux personnages principaux. La bienveillance qui viendra traverser chacune de ces rencontres, qui semble d’ailleurs proportionnelle à la marginalisation du quidam, est pourtant bien moins intéressante à voir développée que la mélancolie qui anime Thana. Sa sympathie pour des stéréotypes tels que le sans-abri ou le transsexuel, tandis que la femme au foyer et plus encore le policier se révèlent sans surprise médisant à son égard, donne au long-métrage un ton très consensuel alors que les afflictions de cet ancien architecte se voudraient porteur d’un sous-texte sociologique qui méritait d’être davantage approfondi. En pleine crise de la cinquantaine, Thana voit en effet le fruit de son travail anéanti au profit d’un nouveau bâtiment, faisant de lui une victime collatérale de cette frénésie de construction à laquelle il a pourtant lui-même contribué. Cette piste cynique et contestataire restera en filigrane d’un long-métrage frileux d’assumer son discours que ses détracteurs jugeront rétrograde.
- Copyright 2016 Sundance Institute
Fort heureusement, Pop Aye parvient à s’assumer comme un feel-good movie dont le pouvoir comique repose entièrement sur les gags générés par la collision entre cet éléphant et un monde moderne où il n’a plus sa place. La musique, qui est propice à une ambiance burlesque et nous accompagne dans de magnifiques paysages thaïlandais, participe agréablement à la légèreté du concept. Ce sont donc au final trois éléments avec lesquels la réalisatrice parvient à jongler du début à la fin : la poésie douce-amère générée par l’introspection dans laquelle se plonge Thana -celle-là même qui semble justifier la non-linéarité du scénario ; l’humour enfantin inhérent à l’idée de voir un éléphant se promener sur les routes et le regard désenchanté sur un pays en proie à un consumérisme déraisonné, à l’échelle globale comme individuelle.
Pour un premier film, Kirsten Tan livre une comédie particulièrement sympathique malgré ses quelques maladresses. On a hâte de voir si elle parviendra à renouveler l’exercice avec un second long-métrage que l’on espère un peu plus abouti.