Des rednecks et de l’avant-garde
Le 30 décembre 2016
Grand classique de la hicksploitation disponible pour la première fois en DVD en France, Poor Pretty Eddie est une plongée brutale dans le Sud cauchemardesque, gothique et dégénéré popularisé par Délivrance et Massacre à la tronçonneuse. Le film se démarque de par sa mise en scène et son montage hallucinés et arty, et de par ses performances d’acteurs habitées, entre démence et abjection. Un des rares exemples de film de redneck expérimental !
- Acteurs : Shelley Winters, Dub Taylor, Michael Christian, Leslie Uggams
- Genre : Hicksploitation
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Le Chat qui fume
- Durée : 1h28min
- Titre original : Poor Pretty Eddie
- Date de sortie : 16 juin 1975
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- Sortie DVD : 4 octobre 2016
Résumé : Ayant décidé de faire un break, Elizabeth Wetherly (Leslie Uggams), jeune chanteuse de jazz, tombe en panne après un concert et se retrouve coincée dans un lieu reculé du Sud profond des Etats-Unis. Elle échoue donc au Bertha’s Oasis, faisant la connaissance d’Eddie Collins (Michael Christian), jeune sosie d’Elvis Presley rêvant de gloire, et de sa maîtresse, Bertha (Shelley Winters), starlette fanée. Tombé sous le charme d’Elizabeth, Eddie la viole et tente par tous les moyens de la retenir. Croyant pouvoir trouver la protection de la police locale, la jeune femme oublie qu’elle a la peau noire et qu’elle se trouve en pays redneck. Ses nerfs mis à rude épreuve, sa vengeance n’en sera que plus terrible...
Notre avis : Le sous-titre du film est explicite : "Violence et viol chez les rednecks !" On ne pouvait faire plus clair, d’autant plus qu’un des titres alternatifs du film était Redneck County Rape. Donc si vous aimez les ambiances de culs-terreux stupides et psychotiques dans le Sud profond avec une bande-son country et bluegrass, vous allez être servi, Poor Pretty Eddie est un des indispensables du genre. La trame narrative pourrait être tout à fait classique : une citadine hautaine et suffisante tombe en panne dans un bled paumé et trouve refuge dans un hôtel sordide avant que les ploucs du coin lui fassent subir tout un tas d’humiliations. Mais c’est sans compter sur la réalisation et le montage de ce film qui mêlent allègrement bizarreries expérimentales, humour noir et mélodrame crapuleux, avec aussi un peu de rape & revenge et de blacksploitation (pour une fois la Yankee est Afro-Américaine). Ces éléments ont valu au film d’être rangé dans la catégorie la plus arty du style redneck, d’autant plus que le duo Richard Robinson/David Worth avaient déjà travaillé sur une œuvre du même genre bien allumée : Le Flingueur (1972) pour la VHS française (connu aussi sous les titres Bloody Trail ou White Justice). Dans cet étrange film à la trame proche des récits picaresques, il était question d’un vétéran de la guerre de Sécession qui traverse le territoire des ploucs et rencontre toute une galerie de personnages hauts en couleurs (des chercheurs d’or bien imbibés d’alcool, une femme-ermite muette ou encore une tribu cannibale) avant qu’un des rednecks cocu ne lui règle son compte. Ce film-trip existentiel au milieu des bouseux allait poser les bases de Poor Pretty Eddie, marquant l’apogée de la collaboration David Worth/Richard Robinson.
Richard Robinson, lui même, était un gars du Sud brut de décoffrage qui s’était fait un peu d’argent en tournant des pornos, parmi lesquels Adultery for fun and profit en 1971, Fantaisies sexuelles d’un couple libre en 1973 et La grande partouze en 1974. David Worth était, quant à lui, un directeur de la photographie prometteur qui était en train de se faire la main sur des séries B avant de collaborer avec Clint Eastwood (Bronco Billy, Ça va cogner) et de se trouver une place à Hollywood. Le scénario est signé B.W. Sandefur, qui avait déjà un passif télévisuel, et qui se serait légèrement inspiré du Balcon de Jean Genet. C’est Robinson qui convainc Michael Thevis de mettre de l’argent dans le film et d’être au final un des investisseurs principaux. Ce dernier était surnommé à l’époque "The Scarface of Pornography". Il possédait des centaines de sex shops et des peep shows dans tout le pays. À la tête d’une fortune et lié à la mafia, il était déjà surveillé par le FBI. En quête de respectabilité, il met alors la main à la poche pour financer ce Poor Pretty Eddie qu’il voyait comme un film hollywoodien classique. Au résultat, on est plus dans une version dégénérée et bizarroïde des adaptations typées "Southern Gothic" de Tennessee Williams et Carson McCullers. Quelques années après le tournage, Thevis se retrouvera derrière les barreaux pour meurtre.
Le casting lui même intègre quelques gloires hollywoodiennes, et notamment Shelley Winters qui incarne Bertha, l’ex star du music hall qui tient à présent un hôtel sordide, l’Oasis de Bertha. On y retrouve aussi des têtes connues et des vétérans habitués à jouer des rednecks à l’écran, Dub Taylor (Justice of the Peace Floyd) et Slim Pickens (le shérif Orville), ainsi que Ted Cassidy (Keno) rendu célèbre par la série La famille Addams. Michael Christian, lui, avait déjà tourné dans un western avec Worth et Robinson, The Preacher, où il avait volé la vedette. Quant à Leslie Uggams (Elizabeth Wetherly), c’était une chanteuse populaire qui cherchait à percer dans le milieu du cinéma et elle a accepté le film car personne ne lui proposait rien d’autre. L’argument de poids pour convaincre tout ce beau monde à incarner des Elvis violeurs, des shérifs racistes, des anciennes Reines de Beauté alcooliques ou des zoophiles était qu’ils seraient payés en cash. Il n’en fallait pas moins pour convaincre Shelley Winters, qui faillit se crasher en avion la veille du début du tournage, et qui ne savait pas où cacher ses mallettes remplies de billets en petites coupures.
En dehors de l’interprétation, les autres points forts du film sont sans aucun doute les dialogues impeccables, le montage de Frank Mazzola et les délires esthétiques de David Worth qui contribuent grandement à la dimension macabre et dérangeante du film. La scène du viol de Liz, alternée avec des chiens en train de copuler sous les regards de campagnards alors qu’on entend une ballade country mielleuse, est pour le moins perturbante, presque Mondo dans son esthétique de la confrontation et du collage, et je ne parle même pas des scènes d’hallucinations où le visage d’Eddie se superpose à celui de Liz, ou les ralentis qui ont su tirer des bonnes leçons du cinéma de Peckinpah. Accompagnées de traitements sonores expérimentaux, d’autres scènes font l’analogie entre appareil photo et arme, alors que, comme souvent dans ce genre de films, la scène de repas est un grand moment. Michael Christian crève l’écran en psychopathe gigolo persuadé qu’il sera le prochain Elvis, et Shelley Winters, théâtrale à souhait, est époustouflante avec son maquillage excessif, faisant d’elle une parodie grotesque de ce qu’elle fut dans le passé. Les scènes du procès de Liz ou sa tentative de déclaration d’agression sont également bien déstabilisantes dans le portrait qu’elles font d’une communauté raciste. Entre humour corrosif et angoisse pure, Poor Pretty Eddie reste un film qui remue et qu’on n’oublie pas facilement. Pas étonnant que le film, jugé trop sombre et pessimiste, n’ait pu trouver un public, malgré les ressorties fréquentes dans les drive-in et salles de quartier sous divers titres pendant les dix années qui suivirent.
Tourné aux alentours d’Athens, en Géorgie, le film tire le meilleur parti de ces décors oppressants : forêt inquiétante, déchets, carcasses de véhicules, animaux empaillés, falaises imposantes... Les habitants eux mêmes semblent rongés par le vice et la débilité. Odieux au possible, ils n’épargnent rien à Liz qui reste pourtant un personnage assez antipathique malgré tous les sévices qu’elle subit. Ce parti pris est d’autant plus original qu’il est très éloigné des rôles de victimes habituelles. Pour le reste, le film joue délibérément sur la vague d’hicksploitation qui marchait bien à l’époque (vous aimez les consanguins et les freaks, vous serez servis). Il y a quelques années en arrière, David Worth me disait : « Richard Robinson était un redneck du Sud. Il se sentait à l’aise dans ce genre d’atmosphère et aimait raconter ce type d’histoires. À cette époque, filmer des white trash sur place était accessible, sensationnel, et c’était un genre de cinéma qui ne coûtait pas cher ». Malgré cela, rien à faire, le film sera un échec commercial. En 1978, une version nommée Heartbreak Motel supprimera toutes les scènes de violence et la fin apocalyptique y est remplacée par un happy end.
Il est donc fort appréciable de pouvoir enfin découvrir en France cette perle noire un peu oubliée, représentative d’un courant pour le moins obscur : le cinéma d’avant-garde redneck !
Le DVD
Les suppléments
Niveau bonus, c’est hélas un peu léger. Foxy Bronx revient sur l’histoire un peu sordide qui entoure le film dans une présentation de six minutes, mais c’est tout. Nous trouvons ensuite deux bandes annonces : Exorcisme tragique et La longue nuit de l’exorcisme, deux très bons films italiens, mais pas grand chose à voir avec Poor Pretty Eddie.
Le film, inédit en France, est présenté en version originale sous-titrée, en format 16/9 compatible 4/3. La qualité d’image est excellente pour un film de cette époque, rendant au mieux l’ambiance suffocante et poisseuse de ce périple en cauchemar sudiste. À certains moments, on a l’impression que des filtres ont été appliqués sur les voix (comme des réducteurs de souffle), mais le son est aussi de très bonne facture, avec cette BO alternant compositions avant-gardistes et musique country/bluegrass. L’effet n’est pas éloigné de celui du Crocodile de la mort de Tobe Hooper. Un régal.
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