Passages - la critique

Avec un sens esthétique du cadre très développé, Yang Chao livre une magnifique réflexion sur les rêves adolescents confrontés à une réalité implacable. Douloureux mais nécessaire.

L’argument : Si Xu et sa petite amie Xiao Ping, étudiants provinciaux, décident d’échapper au morne avenir qui leur est promis. Ils prennent la route en direction de la grande ville où ils investissent l’argent de leurs études dans un projet improbable. Mais le chemin qui doit les mener à la fortune est semé d’embûches. Leur enthousiasme initial s’en trouve vite affecté.

Notre avis : Il fait nuit. Un train entre lentement dans une gare inconnue. Travelling avant subjectif jusqu’au bout des rails, stoppés par un muret. Un temps. Puis deux passagers clandestins descendent du train pour finir leur nuit à l’intérieur de la gare, sur un banc. Se recroquevillant chacun de leur côté, ils s’endorment, séparés par le dossier du banc.
C’est le début de Passages, du Chinois Yang Chao, et il contient déjà presque tout le film. Pour illustrer cette fugue en trois temps de deux étudiants désœuvrés, le cinéaste a en effet choisi la figure du travelling, utilisée à maintes reprises et qui ne peut pas mieux porter son nom. Mais, à l’image du muret, ces travellings sont souvent bouchés et ne mènent nulle part, comme s’ils piégeaient les deux protagonistes obligés, de fait, à revenir à leur point de départ.
Par ailleurs, la relation entre ces deux personnages est très atypique. Comme sur le banc de la gare, ils sont unis dans une sorte de bulle, à l’écart de leurs congénères, bulle qui porte néanmoins en son sein une fêlure. Il ne s’agit donc pas d’une banale fuite amoureuse. Chen Xi Su et Xiao Ping sont liés avant tout par leur recherche d’un idéal de vie, pour s’extirper d’un contexte social et scolaire morose. Croire ou non aux illusions salvatrices et aux chimères rassurantes (le prétexte ahurissant du champignon), telle est la problématique essentielle de cette œuvre. De tous les "passages", celui menant à l’âge adulte est le plus tortueux. Peu à peu, on assiste à la perte des idéaux et à la résignation inéluctable d’un des deux personnages.
La fêlure se creuse, la bulle va éclater.
Beau film sur les rêves brisés, Passages est empreint d’une douce mélancolie. Des plans superbes, aux lignes de fuite très claires, dévoilent des paysages tristes et mornes dont la contemplation nous fait dériver vers le souvenir amer des regrets éternels. Et si parfois l’impression que tout cela tourne à vide domine, c’est parce que les personnages, malgré leur progression géographique, font bel et bien du sur-place dans leur tête. Paradoxe dramatique dont chacun tirera ses propres conclusions.