Le 27 mai 2021
Une odyssée autant poétique que tragique, au cœur de l’univers misérable des sans-papiers qui pêche parfois dans la radicalité du propos militant.
- Réalisateurs : Hind Meddeb - Thim Naccache
- Nationalité : Français
- Distributeur : La Vingt-Cinquième Heure
- Durée : 1h28mn
- Date de sortie : 26 mai 2021
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Résumé : Ce film est un portrait de Paris vu par Souleymane, 18 ans, réfugié du Darfour. Arrivé en France après un périple traumatisant de cinq longues années, la "ville lumière" dont il avait rêvé, loin de répondre à ses attentes, lui inflige de nouvelles épreuves. À la dureté des situations, répond sa poésie douce-amère. En suivant Souleymane, le film retrace le parcours des migrants dans Paris : les campements de rue, les interminables files d’attente devant les administrations, les descentes de police et la mobilisation des habitants du quartier pour venir en aide aux réfugiés. La caméra témoigne d’une métamorphose d’une ville et nous montre l’émergence de nouvelles frontières intérieures : des kilomètres de grillages pour rendre inaccessibles les allées sous le pont du métro aérien, des pierres pour empêcher les migrants de s’allonger, des rondes de vigiles pour les déloger.
Critique : Il y a ces foules de femmes et d’hommes qui se pressent devant un bureau provisoire de France Terre d’Asile, pour obtenir un semblant d’existence légale. Il y a ces tentes à même les quais du canal Saint-Martin, où les gens tentent de survivre. Il y a aussi ce directeur d’association qui, devant autant de paradoxes, s’énerve ou ces policiers qui regardent leurs pieds, gênés, quand ils doivent débarrasser les migrants du trottoir. L’immigration est un sujet périlleux. Le propos pourrait céder au populisme, à la démagogie, à la facilité. Pour autant, deux réalités s’opposent : celles des personnes migrantes qui fuient l’ignominie sociale et politique, et celles d’une partie du peuple français qui se désespère de ces milliers de gens, ramassés sur les pavés de leur ville. Il y a aussi des gens issus de la société civile, des engagés, pliés dans le silence de leur militantisme, qui cherchent des places pour ces mineurs désespérés, tentent de secourir la pauvre femme enceinte abandonnée depuis un an sur un trottoir et se risquent à la colère, quand les hordes de policiers débarquent sur les trottoirs de Stalingrad. Et Paris est filmée comme une capitale triste, terne, dans des couleurs grises et embuées.
- © Film Still Photo
S’engager sur un tel sujet est forcément risqué. Hind Meddeb, qui accompagne son documentaire de ses propres paroles, ne cache pas sa volonté clairement militante. Elle filme pour montrer. Elle filme pour dénoncer. Parfois, elle s’abandonne à la mise en cause des associations comme la Croix-Rouge ou France Terre d’Asile, qui, à ses yeux, se résignent à la désespérance humaine. Elle va avec sa caméra à la rencontre des policiers qui se préparent à chasser du bitume les pauvres gens issus des quatre coins du monde. Il y a presque une facilité à mettre en cause ceux qui sont sur le terrain, c’est-à-dire les travailleurs sociaux, les forces de l’ordre qui sont immédiatement visibles sur le terrain de la colère. La culpabilité devrait être située du côté du politique, des décideurs, et peut-être de la plupart des citoyens qui se taisent face à la détresse qui inonde leurs rues. Mais l’exercice n’excède pas la mise en cause de ceux qui exécutent les décisions des pouvoirs publics, avec les moyens limités qu’on leur connaît. La réalisatrice va jusqu’à faire allusion à une certaine époque qui, d’après elle, substituait aux territoires des exclus les espaces privilégiés des Français de souche. Le propos dérape soudain.
- © Film Still Photo
Pour autant, la puissance de l’œuvre réside dans le choix de filmer le parcours d’exil d’un jeune homme, Souleymane. Brusquement, ce qui pourrait être un poncif assez maladroit contre l’ordre établi, s’illumine dans un récit incarné. Le garçon a dix-huit ans et colore sa vie de poèmes qu’il reconstruit à partir de chansons de son pays. Il parle de sa fuite du Darfour, de l’horreur de la guerre, de la perte de sa famille, dans une innocence touchante. La rue abîme le visage juvénile et la réalisatrice parvient à filmer les traits qui se durcissent, la douleur qui s’étale sous les yeux, et la fatigue. La réalisatrice accompagne le parcours de vie de ce garçon jusqu’à sa reconnaissance par l’OFPRA de son statut de réfugié. Elle attrape le sourire comme un trophée, même si la séparation avec les siens, la perte de ses amis sur le chemin tortueux de la galère, l’endeuillent à tout jamais. Ce portrait de jeune homme rend hommage à toutes ces humanités déchues que le nombre, l’effet du collectif font oublier, alors qu’il s’agit à chaque fois d’individus distincts, sensibles et intelligents. Il y a une véritable nécessité d’incarner l’existence de ces gens que le discours politique ou médiatique réduit souvent à des hordes d’anonymes.
- © Film Still Photo
Paris Stalingrad ne laissera personne indifférent. Une certaine gauche se réjouira de la parole donnée à ces exclus. Une droite extrême nourrira ses discours haineux en réduisant le film à une France qui n’aurait pas les moyens de recevoir autant de migrants sur son territoire. Et au milieu des deux, les spectateurs rencontreront une jeunesse déterminée à la survie, le pouvoir de la résilience, et la capacité à faire des entrailles de l’humanité un creuset de poésie.
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