Illusions perdues
Le 9 août 2020
Inclassable, drôle et mélancolique, le second film du tandem Franca Valeri - Vittorio Caprioli occupe une place à part dans le paysage de la comédie à l’italienne. Il mérite amplement le statut de mini-film culte qu’il a acquis de l’autre côté des Alpes.
- Réalisateur : Vittorio Caprioli
- Acteurs : Franca Valeri, Fiorenzo Fiorentini, Vittorio Caprioli
- Genre : Comédie, LGBTQIA+
- Nationalité : Italien
- Durée : 1h46mn
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Résumé : Delia exerce à Rome le métier de prostituée et mène une existence bourgeoise et rangée grâce à son sens des affaires et au soin méthodique avec lequel elle organise sa vie. Elle a pourtant décidé de partir s’installer à Paris où vit son frère Claudio qu’elle n’a pas revu depuis quinze ans. Avant son départ elle met un point d’honneur à tout laisser parfaitement en ordre derrière elle.
Critique : En 1961 Leoni al sole, variante des Vitteloni transposée à Capri et sur la côte amalfitaine, et plus désabusée encore que l’original, avait fait entendre un son de cloche singulier dans le paysage de la comédie à l’italienne. C’était la première réalisation de l’acteur Vittorio Caprioli, qui s’était surtout fait connaître en animant, avec sa compagne Franca Valeri et Alberto Bonucci, un cabaret satirique, le Teatro dei Gobbi (le Théâtre des bossus).
Son deuxième film Parigi o cara est entièrement centré sur un personnage féminin interprété par la Valeri qui, comme pour le film précédent, est également coscénariste. Cette actrice doit sa popularité à la signorina snob, Cesira la manicure ou la sora Cecioni, masques comiques qu’elle a créés et interprétés d’innombrables fois, en ne cessant de les développer et de les enrichir, sur scène, à la radio, au cinéma ou à la télévision. Au cinéma, elle partageait le plus souvent la vedette avec d’autres têtes d’affiche, comme Alberto Sordi dans Il vedovo, ou se contentait d’apparitions brèves mais immanquablement fracassantes.
La figure de Delia, la prostituée totalement acquise à l’idéologie petite bourgeoise de la nouvelle société de consommation, et qui gère sa vie avec un soin maniaque, est incontestablement une caricature et la Valeri ne cherche pas à l’humaniser à tout prix, se maintenant au contraire dans un registre de jeu distancié et antinaturel qui est source de comique mais finit aussi, paradoxalement, par émouvoir.
S’efforçant de ne pas paraître affectée par tout ce qui lui arrive et commentant inlassablement sa vie dans un interminable soliloque débité d’un ton égal, elle est la spectatrice effarée de l’écroulement de tous les plans qu’elle avait laborieusement échafaudés.
Certes le film ne manque pas de tourner en dérision ses discours, en particulier dans une scène d’anthologie où, décrivant sa vie à une journaliste, elle se pâme d’enthousiasme lorsqu’elle parle des couleurs de son quartier moderne qu’elle croit chic et qu’on voit à l’image d’une désespérante uniformité, ou se lance dans un éloge dithyrambique des stations balnéaires bétonnées et de l’antico moderno de l’architecture mussolinienne de l’EUR. Mais il n’y a pas de méchanceté dans le regard de Caprioli, et Delia, agrippée à ses rêves systématiquement contredits par la réalité, finit par acquérir l’entière sympathie du spectateur.
Le film prend le risque d’une construction en deux parties de longueur égale, la première située dans une Rome moderne et hygiénisée, la deuxième dans un Paris pouilleux et insalubre prenant le contrepied de l’imagerie touristique mais dont la misère pittoresque est comme glorifiée par la superbe photo couleur de Carlo Di Palma. Cette préciosité esthétisante est en parfaite cohérence avec le propos et contribue fortement à la réussite de l’ensemble.
Bizarrement a-rythmé, refusant les règles établies, incontestablement drôle mais irrémédiablement mélancolique, Parigi o cara dérouta le public et n’eut sans doute pas le succès escompté à sa sortie. L’évocation explicite de la guerre d’Algérie et le tableau peu édifiant de la vie parisienne expliquent sans doute qu’il n’ait pas été distribué en France.
Il a pourtant acquis un statut de mini-film culte, notamment auprès de la communauté gay, le thème de l’homosexualité étant abordé sans caricature, et de manière très décomplexée pour l’époque, à travers le personnage du frère de Delia.
C’est en tous cas un film inclassable et très attachant qui fait regretter que la carrière de metteur en scène de Caprioli se soit arrêtée là.
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