Le 11 juin 2018
Une belle édition, complète et soignée, pour ce documentaire au postulat singulier.


- Réalisateur : Andrei Ujică
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français, Allemand, Russe
- Distributeur : Les Films du Camélia
- Editeur vidéo : Blaq Out
- Durée : 1h32mn
- Date de sortie : 3 décembre 1997

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– Année de production : 1995
– Sortie DVD : le 5 juin 2018
Résumé : En mai 1991, les cosmonautes soviétiques de la mission Ozon, Anatoli Artsebarski et Sergeï Krikalev sont envoyés sur la station orbitale MIR. Tandis que le commandant revient sur terre à la date fixée, c’est-à-dire cinq mois plus tard, Krikalev, contraint par les circonstances politiques, passe près de dix mois à bord… Parti de l’URSS, il revient en Russie…
Notre avis : En trois films, le réalisateur roumain s’est fait une spécialité du montage d’archives, que ce soit pour des événements (Vidéogrammes d’une révolution, 1992), la vie d’un dictateur (Autobiografia lui Nicolae Ceausescu, 2010), ou la présente épopée spatiale, sortie plutôt confidentiellement en 1997. Ici, le documentaire et son savant montage sont bâtis sur un contraste fort entre la révolution en URSS et la vie paisible, joyeuse, à bord de la station, c’est à dire entre le réel et l’utopique. Forcément, on se prend à rêver d’un monde plus joyeux, incarné par des cosmonautes facétieux, dont l’apesanteur devient aussi réelle que métaphorique : s’émerveiller devant le spectacle d’une terre lointaine, d’un ballet spatial (au son de Strauss, clin d’œil malicieux à Kubrick) ou d’une goutte de soda en suspension, c’est s’opposer au monde comme il va en une rêverie qui en devient politique. D’autant que les cosmonautes vivent en harmonie, détachés des conflits et petitesses qui encombrent notre existence. Le décalage est accentué par des scènes de tank en feu et autres violences brutales.
En ce sens, l’arrivée sur terre de cosmonautes vidés d’énergie correspond assez bien à une chute désespérée dans le réel. Exilés d’un Éden rêvé, ils ne peuvent plus marcher et répondent d’un sourire las à des questions convenues. Loin des « enfantillages » badins et des fous rires, ils sont réduits à y penser à regret. Peut-être ont-ils acquis plus de sagesse, puisque quand on leur demande quel est le changement qui les étonne le plus dans le passage de l’URSS à la Russie, ils hésitent sur la réponse, avant que l’un d’entre eux conclue que le plus étonnant, c’est la succession des jours et des nuits. On le voit, la juxtaposition des deux espaces conduit le spectateur à s’interroger autant qu’à laisser aller son esprit, surtout dans les passages muets qui forment des répits contemplatifs bienvenus.
Car, bien sûr, les images de l’espace de toute beauté sont propices à divagations et forment un contrepoint poétique à la sinistre réalité dont se moquent les deux cosmonautes qui parlent de la Bourse. Une allumette enflammée qui danse dans l’air, une orange qui se superpose à la Terre (le vers d’Eluard est cité), le lever d’un soleil écrasé, voilà l’essentiel, qui fait de nous des êtres inexistants en même temps que grands par le simple fait de pouvoir les contempler.
Certes, on pourra parfois trouver le temps long ou juger désagréable la musique répétitive heureusement rare. Mais dans l’ensemble,si on prend le temps de s’y installer, ce beau documentaire recèle assez de splendeurs et de questionnements induits pour mériter une diffusion plus large.
Les suppléments :
L’entretien avec le réalisateur (9mn) est intéressant pour qui le découvre ; il fait l’effort de parler français, mais il faut tendre l’oreille pour tout comprendre. Néanmoins son approche du film est édifiante et pousse à s’interroger sur le statut du documentaire. Suit un débat enregistré sur le vif (1h14), auquel participent entre autres Ujica et Cédric Villani en animateur vivace. Technique, science, biologie, philosophie, psychologie : tout y est abordé en termes simples, avec humour parfois.
L’image :
Évidemment, la qualité d’image dépend des sources : les plans officiels sont assez mal définis, par exemple ; cependant la copie, sans gommer ces défauts, retranscrit fidèlement, flous compris, ce qui a été enregistré, avec un confort visuel satisfaisant.
Le son :
Là encore, selon les sources, les voix ont plus ou moins de présence ; la redoutable musique en revanche se détache nettement.